Coup de coeur 💓💓
Titre : Les maisons vides
Auteur : Laurine THIZY
Parution : 2022 (Editions de l'Olivier)
Pages : 272
Présentation de l'éditeur :
« Par une nuit aux étoiles claires, Gabrielle court à
travers champs. Elle court, je crois, sans penser ni faiblir, court vers
la ferme, la chambre, le lit, s'élance minuscule dans un labyrinthe de
maïs, poussée par une urgence aiguë, par le besoin soudain de voir,
d'être sûre. »
Des premiers pas à l'adolescence, dans cette campagne qui l'a vue naître, Gabrielle, avec une énergie prodigieuse, grandit, lutte, s'affranchit. Gymnaste précoce, puis soudain jeune femme, Gabrielle ignore les araignées dans son souffle comme les regards sur son corps. Elle avance chaque jour un peu plus vers la fin de l'enfance.
Des premiers pas à l'adolescence, dans cette campagne qui l'a vue naître, Gabrielle, avec une énergie prodigieuse, grandit, lutte, s'affranchit. Gymnaste précoce, puis soudain jeune femme, Gabrielle ignore les araignées dans son souffle comme les regards sur son corps. Elle avance chaque jour un peu plus vers la fin de l'enfance.
Porté par une écriture aussi puissante que sensible, Les Maisons vides laisse entendre le vibrant chœur de femmes autour de Gabrielle : Suzanne, Joséphine, María... Générations sacrifiées ou mal aimées, elles ont appris à se dévouer, à faire face et, souvent, à se taire.
Un mot sur l'auteur :
Née en 1991, Laurine Thizy est sélectionnée par trois fois, entre ses dix-neuf et vingt-quatre ans, pour le Prix du jeune
écrivain, et publie plusieurs textes dans un recueil édité par
Buchet-Chastel. Doctorante en sociologie, elle enseigne à l’Université de Lyon 2. Les maisons vides est son premier roman.
Avis :
Gabrielle a treize ans et doit se rendre à l’évidence : son arrière-grand-mère est bien morte et ne reviendra plus. Entre l’adolescente et la vieille femme dont les trajectoires, ascendante et descendante, ont cheminé un peu plus d’une décennie de concert, le lien a toujours été fort. Bébé prématuré à la survie incertaine, puis petite gymnaste douée en passe aujourd’hui de devenir femme, Gabrielle n’a jamais cessé de faire preuve d’un caractère bien trempé. Tout comme son aïeule, Maria, débarquée autrefois de l’Espagne franquiste avec pour seul bagage son inflexible volonté. Lorsque Maria rend son dernier souffle, c’est la vie de Gabrielle qui bascule.
Ouvert sur la mort de Maria, le récit reconstitue ensuite le parcours du combattant qu’a été dès le premier instant la vie de Gabrielle. Précipitée trois mois avant terme dans une existence à laquelle elle s’accroche contre toute attente, longtemps chétive malgré une pratique intensive de la gymnastique artistique, elle grandit au sein d’une famille rassemblant quatre générations avec son lot de rancunes et de frictions, dans une campagne présidée par une Ville Rose, où les hommes vénèrent le rugby et la chasse à la palombe, autant que les femmes la Vierge Marie de la Ville de la Grotte.
Encore et toujours, en délicats pointillés, se précise à travers Gabrielle la silhouette tutélaire de l’antique octogénaire, bientôt nonagénaire de plus en plus fragile, si touchante dans la simplicité sincère et impétueuse de son attachement pour son arrière-petite-fille. Sans doute a-t-elle reconnu la dureté de sa propre trajectoire dans le combat éperdu de la nouvelle-née pour sa vie, puis dans les efforts de la gamine pour compenser sa différence malingre. Entre ces deux-là, c’est une question de complicité et de solidarité à toute épreuve, commencée dès le premier âge de l’une, terminée dans les derniers jours de l’autre.
Alors l’émotion est immanquablement au rendez-vous, surtout lorsque la narration, menée par une voix dont on perçoit toute la tendresse en se demandant longtemps à qui elle peut bien appartenir, nous conduit enfin à comprendre ce que cache la conduite de plus en plus troublée de Gabrielle depuis la disparition de son aïeule. Car l’adolescente s’enfonce dans un malaise de plus en plus palpable, aux très curieux et inquiétants symptômes. Et l’on s’inquiète et s’interroge d’autant plus que dans le récit se glissent, de loin en loin, quelques saynètes de clowns s’évertuant à ramener le sourire sur le visage d’enfants malades et hospitalisés.
Et comme, pris par le coeur par les personnages autant que captivé par le fil du récit, le lecteur se retrouve aussi sous le charme d'une plume admirablement ciselée, c’est un très grand coup de coeur que lui réserve ce premier roman, révélateur d’un talent en tout point prometteur. (5/5)
Ouvert sur la mort de Maria, le récit reconstitue ensuite le parcours du combattant qu’a été dès le premier instant la vie de Gabrielle. Précipitée trois mois avant terme dans une existence à laquelle elle s’accroche contre toute attente, longtemps chétive malgré une pratique intensive de la gymnastique artistique, elle grandit au sein d’une famille rassemblant quatre générations avec son lot de rancunes et de frictions, dans une campagne présidée par une Ville Rose, où les hommes vénèrent le rugby et la chasse à la palombe, autant que les femmes la Vierge Marie de la Ville de la Grotte.
Encore et toujours, en délicats pointillés, se précise à travers Gabrielle la silhouette tutélaire de l’antique octogénaire, bientôt nonagénaire de plus en plus fragile, si touchante dans la simplicité sincère et impétueuse de son attachement pour son arrière-petite-fille. Sans doute a-t-elle reconnu la dureté de sa propre trajectoire dans le combat éperdu de la nouvelle-née pour sa vie, puis dans les efforts de la gamine pour compenser sa différence malingre. Entre ces deux-là, c’est une question de complicité et de solidarité à toute épreuve, commencée dès le premier âge de l’une, terminée dans les derniers jours de l’autre.
Alors l’émotion est immanquablement au rendez-vous, surtout lorsque la narration, menée par une voix dont on perçoit toute la tendresse en se demandant longtemps à qui elle peut bien appartenir, nous conduit enfin à comprendre ce que cache la conduite de plus en plus troublée de Gabrielle depuis la disparition de son aïeule. Car l’adolescente s’enfonce dans un malaise de plus en plus palpable, aux très curieux et inquiétants symptômes. Et l’on s’inquiète et s’interroge d’autant plus que dans le récit se glissent, de loin en loin, quelques saynètes de clowns s’évertuant à ramener le sourire sur le visage d’enfants malades et hospitalisés.
Et comme, pris par le coeur par les personnages autant que captivé par le fil du récit, le lecteur se retrouve aussi sous le charme d'une plume admirablement ciselée, c’est un très grand coup de coeur que lui réserve ce premier roman, révélateur d’un talent en tout point prometteur. (5/5)
Citations :
Le papy a parlé gravement, les yeux rivés sur les gestes de Gabrielle. Georges a l’habitude de mâcher son silence comme une chique. Les mots dans sa bouche pèsent plus lourd qu’aux autres.
Avec les années la María a moulé ses gammes à cette église. Sa voix tutoie les colombes sculptées dans la voûte de la sacristie, niche dans les arcs gothiques de la croisée, se déploie en ailes ouvertes sous les arcs-boutants. Mais, avec les années, la María a aussi pris de l’âge. Subrepticement, les muscles qui tendent ses cordes vocales se sont atrophiés.
Au beau milieu du chant d’entrée, la vieillesse la rattrape. Sa voix déraille à la reprise du troisième couplet, au changement de registre. C’est sa première fausse note. La Vierge sursaute avant de sourire avec indulgence, tandis que la mémé poursuit son hommage sans faiblir, de cette voix qui soudain n’est plus la sienne. Elle n’a pas envie de se taire, la María, elle continue de s’époumoner allègrement ; mais, à l’intérieur, je crois qu’elle sait que la mort vient de lui tapoter la gorge.
Il faut plusieurs mois à Raphaël pour s’apercevoir que Gabrielle maigrit ; les parents quant à eux ne s’en rendent pas compte. Suzanne a découvert, en fouillant le téléphone de son mari, des textos érotiques échangés l’année précédente avec la femme du trésorier. Ils datent d’une époque a priori révolue, d’avant le drame des assiettes qui volent. Depuis, Peyo a renouvelé ses promesses et Suzanne le croit. Mais il a conservé ces messages, et c’est insupportable. Il devait faire table rase. La mère en veut à Peyo, moins d’avoir archivé la conversation que de l’avoir trop mal cachée ; surtout, elle lui en veut pour son cœur qui désormais accélère au moindre retard, pour ses mains moites dès qu’il consulte son téléphone, pour les nœuds dans son ventre pendant l’amour, elle lui en veut pour cette angoisse suffocante qui la pousse à fouiller et en fouillant à trouver, et se blesser encore. Suzanne cherche sa douleur avec l’obstination d’une enfant qui appuie sur un bleu, ne s’avoue pas que les messages découverts sont un prétexte à sa rancune. Au fond, elle ne pardonne pas à Peyo d’avoir fait d’elle une femme jalouse. L’idée du divorce commence à faire son chemin, à peine modérée par l’âge du petit Jean.
Derrière la vitre, contre le ciel de septembre, se dressent les montagnes de la fin de l’été, crocs noirs et nus. Dans le blanc uniforme de la chambre, la fenêtre semble un tableau immobile, comme peint à même le mur, ne serait la lumière de midi qui découpe l’air en faisceaux jaunes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire