J'ai beaucoup aimé
Titre : Hôtel Lebac
Auteur : Carlos CAILLABET
Traduction : Thomas EVELLIN
Parution : en espagnol (Uruguay) en 2017
en français en 2022 (Baromètre)
Pages : 192
Présentation de l'éditeur :
Montevideo, automne 1960. Marta et son fils Tomy sont contraints de quitter leur maison pour s'installer dans une pension de famille des faubourgs de la capitale. Du haut de ses 14 ans, l'adolescent dépeint son nouveau lieu de vie, populaire et bigarré, et ses pérégrinations hors de la pension. Dans ce monde d'adultes, entre Lebac, l'imposant propriétaire de l'établissement, Elsa, l’infirmière revêche, et don Manuel, le patron de bar douteux,
sans oublier sa mère en quête d’émancipation, comment grandir et trouver
sa place ?
Narré avec sobriété et humour, ce roman d’initiation nous plonge dans l’univers intimiste d’une microsociété contrastée. Un regard tendre et acéré sur un monde en mutation, entre tragédie et comédie humaine.
Narré avec sobriété et humour, ce roman d’initiation nous plonge dans l’univers intimiste d’une microsociété contrastée. Un regard tendre et acéré sur un monde en mutation, entre tragédie et comédie humaine.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Carlos Caillabet est né en 1948 à Paysandu (Uruguay). Engagé dans le mouvement d'extrême gauche MLN-Tupamaros, il est incarcéré de 1972 à 1985, durant toute la période de la dictature militaire. A sa sortie de prison, il exerce la profession de journaliste et publie divers essais. Hôtel Lebac est le dernier volet d'une trilogie composée de deux autres romans, Otro mundo et Verano, portant sur les années antérieures à la dictature uruguayenne.
Avis :
Devenu journaliste après treize ans d’emprisonnement politique, l’Uruguayen Carlos Caillabet s’est lancé dans la littérature avec une série de trois romans centrés sur des adolescents découvrant la vie et ses vicissitudes dans la période qui a précédé la dictature militaire. Chaque volet de la trilogie met en scène un très jeune homme, issu d’un quartier chaque fois différent de la capitale Montevideo, au travers duquel l’on découvre le quotidien de la population au cours des années soixante, alors que la crise économique commence à déliter à son insu une société jusqu’ici citoyenne et pacifique.
Seul des trois romans aujourd’hui traduit en français, Hôtel Lebac clôt le triptyque mais se lit indépendamment sans problème. En 1960, alors que, licencié pour avoir fait grève, son père est parti chercher du travail en Argentine et ne donne plus signe de vie, Tomy et sa mère, privés de ressources, se voient contraints de quitter leur maison et de se rabattre sur une modeste pension de famille dans un quartier populaire de Montevideo. Soutenu par les encourageants commentaires du voisinage : « Quand on part, on meurt », « Vous allez y rester si vous déménagez », le garçon de quatorze ans qui n'avait « jamais imaginé un jour devenir pauvre » aborde cette épreuve avec angoisse, leur ancienne vie désormais toute entière contenue dans un sac et une valise, le minuscule pécule tiré de la vente de leurs possessions ne leur laissant que deux mois pour voir venir.
Déroulée sobrement au gré des souvenirs de Tomy, se retournant à l’âge adulte sur cet épisode de sa vie, aussi marquant pour lui que représentatif des tragiques mutations de la société uruguayenne à cette époque, la narration excelle à recréer le micromonde de la pension, fièrement baptisée « Hôtel Lebac » du nom de son imposant propriétaire, où les pensionnaires, qui ont tous connu des jours meilleurs, apprennent à cohabiter avec plus ou moins de bonheur. Si chacun donne soigneusement le change, personne n’est dupe : tous se savent sur l’étroit chemin de crête qui les sépare de l’abîme de la grande pauvreté, et, s’efforçant de n’en pas regarder le fond, s’évertuent par tous les moyens possibles de conserver un équilibre qu’ils n’auraient jamais imaginé devenir un jour aussi incertain.
Dans cet échantillon humain bigarré, nageant entre deux eaux dans une dangereuse précarité et souvent, bien malgré lui, à la lisière de l’interlope – usure, prostitution, paris clandestins – et de sa violence associée, finissent par se dessiner des personnalités croquées avec autant de tendresse que de férocité, en une galerie de portraits d’une singulière véracité démontrant que, dans ce climat menaçant, c’est uniquement sa solidarité qui préserve alors encore tant bien que mal cette frange fragilisée de la population.
Le journaliste engagé réussit ici en peu de pages un roman plus social que politique, qui, au travers du regard d’un adolescent découvrant le monde des adultes, nous montre les lézardes de la société uruguayenne des années soixante, préfigurant le basculement à venir du pays. C’est avec un serrement de coeur que l’on achève cette lecture sur l’écho de son épigraphe empruntée à J.D. Salinger : « Dès lors que l’on commence à raconter, le monde entier se met à nous manquer ». Car, l’on se doute bien que si, après en avoir eu si peur, le narrateur repense maintenant avec tant de nostalgie « à ce monde, si petit et si grand, de l’Hôtel Lebac », c’est bien parce que, à l’image du parcours de l’auteur, de bien plus terribles épreuves l’attendaient par la suite. (4/5)
Avis :
Seul des trois romans aujourd’hui traduit en français, Hôtel Lebac clôt le triptyque mais se lit indépendamment sans problème. En 1960, alors que, licencié pour avoir fait grève, son père est parti chercher du travail en Argentine et ne donne plus signe de vie, Tomy et sa mère, privés de ressources, se voient contraints de quitter leur maison et de se rabattre sur une modeste pension de famille dans un quartier populaire de Montevideo. Soutenu par les encourageants commentaires du voisinage : « Quand on part, on meurt », « Vous allez y rester si vous déménagez », le garçon de quatorze ans qui n'avait « jamais imaginé un jour devenir pauvre » aborde cette épreuve avec angoisse, leur ancienne vie désormais toute entière contenue dans un sac et une valise, le minuscule pécule tiré de la vente de leurs possessions ne leur laissant que deux mois pour voir venir.
Déroulée sobrement au gré des souvenirs de Tomy, se retournant à l’âge adulte sur cet épisode de sa vie, aussi marquant pour lui que représentatif des tragiques mutations de la société uruguayenne à cette époque, la narration excelle à recréer le micromonde de la pension, fièrement baptisée « Hôtel Lebac » du nom de son imposant propriétaire, où les pensionnaires, qui ont tous connu des jours meilleurs, apprennent à cohabiter avec plus ou moins de bonheur. Si chacun donne soigneusement le change, personne n’est dupe : tous se savent sur l’étroit chemin de crête qui les sépare de l’abîme de la grande pauvreté, et, s’efforçant de n’en pas regarder le fond, s’évertuent par tous les moyens possibles de conserver un équilibre qu’ils n’auraient jamais imaginé devenir un jour aussi incertain.
Dans cet échantillon humain bigarré, nageant entre deux eaux dans une dangereuse précarité et souvent, bien malgré lui, à la lisière de l’interlope – usure, prostitution, paris clandestins – et de sa violence associée, finissent par se dessiner des personnalités croquées avec autant de tendresse que de férocité, en une galerie de portraits d’une singulière véracité démontrant que, dans ce climat menaçant, c’est uniquement sa solidarité qui préserve alors encore tant bien que mal cette frange fragilisée de la population.
Le journaliste engagé réussit ici en peu de pages un roman plus social que politique, qui, au travers du regard d’un adolescent découvrant le monde des adultes, nous montre les lézardes de la société uruguayenne des années soixante, préfigurant le basculement à venir du pays. C’est avec un serrement de coeur que l’on achève cette lecture sur l’écho de son épigraphe empruntée à J.D. Salinger : « Dès lors que l’on commence à raconter, le monde entier se met à nous manquer ». Car, l’on se doute bien que si, après en avoir eu si peur, le narrateur repense maintenant avec tant de nostalgie « à ce monde, si petit et si grand, de l’Hôtel Lebac », c’est bien parce que, à l’image du parcours de l’auteur, de bien plus terribles épreuves l’attendaient par la suite. (4/5)
Citations :
- Maaaaarta...! Ma grand-mère dit que quand les choses vont mal, il faut pas bouger et rester calme pour éviter ce qui est arrivé aux Rodriguez.
- Ah bon ? a répondu ma mère en se retournant.
Puis, elle a laissé la valise par terre et a foncé vers Paquito.
Lui n’a pas reculé. Il l’a attendu de pied ferme et, quand ils se sont retrouvés face à face, il lui a lâché :
Quand on part, on meurt, Marta. Voilà ce que dit ma grand-mère.
- Ah bon ? a répondu ma mère en se retournant.
Puis, elle a laissé la valise par terre et a foncé vers Paquito.
Lui n’a pas reculé. Il l’a attendu de pied ferme et, quand ils se sont retrouvés face à face, il lui a lâché :
Quand on part, on meurt, Marta. Voilà ce que dit ma grand-mère.
Jusqu’alors, je n’avais jamais imaginé un jour devenir pauvre. Pourtant, c’était bel et bien le cas. Je découvrais que personne n’est vraiment à l’abri, que tout le monde peut se trouver à court d’argent. En plus, nous n’avions pas d’autres pauvres sur qui compter pour nous filer un coup de main comme c’est souvent le cas chez les pauvres. Nous étions de nouveaux pauvres. Deux nouveaux pauvres, inconnus, assis dans un bus, avec une valise et un sac sur les genoux. Pendant que je pensais à tout cela, ma mère continuait de parler.
- Dans la vie,il faut aller de l’avant. Tu comprends, Tomy ? De l’avant. Tomy, tu m’écoutes ? Il faut regarder loin qu’elle disait même si, elle, pour le coup, ne voyait pas plus loin que la nuque du type chauve assis juste devant.
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