Coup de coeur 💓💓
Titre : Tsubaki
Auteur : Aki SHIMAZAKI
Parution : 1999
Editeur : Léméac / Actes Sud
Pages : 104
Présentation de l'éditeur :
À la mort de sa mère, survivante de la bombe atomique de Nagasaki,
Namiko se voit remettre deux enveloppes. La première est adressée à un
oncle maternel dont elle ignorait l’existence et qu’elle est chargée de
retrouver. La seconde contient une lettre en forme de confession à sa
fille, sans laquelle elle n’aurait pu partir en paix. Elle y raconte son
quotidien pendant la guerre, son premier amour, et révèle le secret qui
l’a poussée à commettre l’indicible.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Née au Japon, Aki Shimazaki vit à Montréal depuis 1991. Toute son œuvre
est disponible chez Actes Sud, notamment ses trois pentalogies : Le Poids des secrets, Au cœur du Yamato et L’Ombre du chardon.
Ces quinze volumes peuvent parfaitement se lire individuellement, ou
dans le désordre - c'est bien là l'étonnant art de la construction que
maîtrise Aki Shimazaki.
Avis :
Au soir de sa vie, Yukiko décide de se libérer enfin du terrible secret qui pèse sur son âme depuis plus de cinquante ans. Dans une lettre à sa fille rédigée juste avant de se donner la mort, elle raconte son enfance et son adolescence, jusqu’à ce jour pour elle doublement fatidique du 9 août 1945, où la bombe atomique qui anéantissait Nagasaki effaçait du même coup toute trace de l'acte indicible qu’elle, Yukiko, venait de commettre à quatorze ans.
La concision et le dépouillement du texte, sa manière de ne laisser qu’entrevoir les abîmes intérieurs de ses personnages, démultiplient la force de cette histoire, toute de pudeur, de délicatesse et de non-dit. L’essentiel de la charge émotionnelle du roman vient de ce qu’il suggère au-delà des mots et du récit lui-même : en particulier, la béance qu’a dû devenir la vie de Yukiko, quand l’atroce et inimaginable destruction de sa ville, bientôt suivie par l’effondrement de son pays, est venue, telle un terrible châtiment, démultiplier son crime à l’infini, en même temps que le réduire à l’état d’un minuscule et invisible fait divers. L’adolescente se retrouvait désormais, et à jamais, sous le poids d'un secret familial et d'une culpabilité d’autant plus écrasants qu’ils étaient devenus dérisoires et indécents face à l’Histoire.
En un tour de force d’une seule centaine de pages, drame personnel et tragédie historique s’entremêlent dans une confusion de douleur, de stupeur et de honte qui, malgré le temps, le silence et la poursuite de la vie, laisseront des traces indélébiles destinées à resurgir malgré tout. L’on demeure durablement hanté par la puissance d’évocation, les profondeurs abyssales et la beauté épurée de cette œuvre. Coup de coeur. (5/5)
- La justice, donc, n'est pas importante ?
- Il n'y a pas de justice. Il y a seulement la vérité.
Au moment où nous partions, ma mère dit, en se mettant au lit :
- Il y a des cruautés qu'on n'oublie jamais. Pour moi, ce n'est pas la guerre ni la bombe atomique.
J’aimais la vie simple et les gens en qui je pouvais avoir confiance, comme madame S. aujourd’hui. Vivre dans ce monde, c’est déjà assez compliqué. Pourquoi doit-on chercher une autre complication ? »
Ce matin, j’ai vu un jeune travailleur fouetter le dos d’un Coréen jusqu’au sang. Il l’accusait d’avoir volé de la nourriture. J’ai saisi le jeune travailleur par les bras et je lui ai dit : « Tout le monde a faim. Pardonnez-lui, s’il vous plaît. » Le Coréen s’est défendu : « J’ai toujours faim, mais ce n’est pas moi qui ai volé. » J’ai demandé alors à ce jeune travailleur qui semblait avoir le même âge que moi : « Vous l’avez vu voler ? » Il m’a répondu, très fâché : « Non, mais il était là-bas ! Il n’y avait que lui, ce Coréen. C’est une preuve suffisante ! » J’ai insisté : « Ce n’en est pas une et ce n’est pas nécessaire de fouetter quelqu’un de toute façon. » Aussitôt après, le travailleur en a parlé au commandant. On m’a ordonné d’aller le voir. Il m’a dit : « Tu dois lui obéir. Il travaille ici depuis plus longtemps que toi, il est plus âgé que toi et tu n’es qu’un étudiant. C’est clair. Nous nous battons contre les Américains pour l’unité et la paix en Asie. Pour l’unité, l’ordre est très important. Comprends-tu ? » Je lui ai dit : « Je voulais dire simplement la vérité. Ce garçon coréen disait qu’il n’avait pas volé et le travailleur ne l’avait pas vu voler. » Au lieu de me laisser finir, le commandant m’a donné un coup sur le bras gauche avec un bâton, ajoutant : « Tu n’as pas encore compris ! Ce n’est pas le temps de chercher la vérité. C’est l’unité qu’on doit chercher. Pour l’unité, il faut obéir aux ordres. Si tout est bien ordonné et bien respecté, la paix arrivera automatiquement. Donc tu dois obéir aux ordres. C’est tout. Va-t’en ! »
La concision et le dépouillement du texte, sa manière de ne laisser qu’entrevoir les abîmes intérieurs de ses personnages, démultiplient la force de cette histoire, toute de pudeur, de délicatesse et de non-dit. L’essentiel de la charge émotionnelle du roman vient de ce qu’il suggère au-delà des mots et du récit lui-même : en particulier, la béance qu’a dû devenir la vie de Yukiko, quand l’atroce et inimaginable destruction de sa ville, bientôt suivie par l’effondrement de son pays, est venue, telle un terrible châtiment, démultiplier son crime à l’infini, en même temps que le réduire à l’état d’un minuscule et invisible fait divers. L’adolescente se retrouvait désormais, et à jamais, sous le poids d'un secret familial et d'une culpabilité d’autant plus écrasants qu’ils étaient devenus dérisoires et indécents face à l’Histoire.
En un tour de force d’une seule centaine de pages, drame personnel et tragédie historique s’entremêlent dans une confusion de douleur, de stupeur et de honte qui, malgré le temps, le silence et la poursuite de la vie, laisseront des traces indélébiles destinées à resurgir malgré tout. L’on demeure durablement hanté par la puissance d’évocation, les profondeurs abyssales et la beauté épurée de cette œuvre. Coup de coeur. (5/5)
Citations :
- Il n'y a pas de justice. Il y a seulement la vérité.
Au moment où nous partions, ma mère dit, en se mettant au lit :
- Il y a des cruautés qu'on n'oublie jamais. Pour moi, ce n'est pas la guerre ni la bombe atomique.
J’aimais la vie simple et les gens en qui je pouvais avoir confiance, comme madame S. aujourd’hui. Vivre dans ce monde, c’est déjà assez compliqué. Pourquoi doit-on chercher une autre complication ? »
Ce matin, j’ai vu un jeune travailleur fouetter le dos d’un Coréen jusqu’au sang. Il l’accusait d’avoir volé de la nourriture. J’ai saisi le jeune travailleur par les bras et je lui ai dit : « Tout le monde a faim. Pardonnez-lui, s’il vous plaît. » Le Coréen s’est défendu : « J’ai toujours faim, mais ce n’est pas moi qui ai volé. » J’ai demandé alors à ce jeune travailleur qui semblait avoir le même âge que moi : « Vous l’avez vu voler ? » Il m’a répondu, très fâché : « Non, mais il était là-bas ! Il n’y avait que lui, ce Coréen. C’est une preuve suffisante ! » J’ai insisté : « Ce n’en est pas une et ce n’est pas nécessaire de fouetter quelqu’un de toute façon. » Aussitôt après, le travailleur en a parlé au commandant. On m’a ordonné d’aller le voir. Il m’a dit : « Tu dois lui obéir. Il travaille ici depuis plus longtemps que toi, il est plus âgé que toi et tu n’es qu’un étudiant. C’est clair. Nous nous battons contre les Américains pour l’unité et la paix en Asie. Pour l’unité, l’ordre est très important. Comprends-tu ? » Je lui ai dit : « Je voulais dire simplement la vérité. Ce garçon coréen disait qu’il n’avait pas volé et le travailleur ne l’avait pas vu voler. » Au lieu de me laisser finir, le commandant m’a donné un coup sur le bras gauche avec un bâton, ajoutant : « Tu n’as pas encore compris ! Ce n’est pas le temps de chercher la vérité. C’est l’unité qu’on doit chercher. Pour l’unité, il faut obéir aux ordres. Si tout est bien ordonné et bien respecté, la paix arrivera automatiquement. Donc tu dois obéir aux ordres. C’est tout. Va-t’en ! »
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