Coup de coeur 💓
Titre : Les terres indomptées
(The Vaster Wilds)
Auteur : Lauren GROFF
Traduction : Carine CHICHEREAU
Parution : en anglais (Etats-Unis) en 2023
en français (l'Olivier) en 2025
Pages : 272
Présentation de l'éditeur :
« Sa capuche tombait bas sur son visage, frêle était-elle, osseuse,
menue, telle une enfant, réduite par la faim à presque rien, à sa
racine, ses nerfs, ses fibres, ses tendons. Bien qu’affamée et aveuglée
par les ténèbres, elle était vive. »
Une jeune fille semble perdue au cœur de la forêt la plus obscure. Nous sommes au XVIIe siècle, dans un territoire qui deviendra les États-Unis. Elle vient de s’échapper, elle court loin de la servitude et des brimades. Maintenant, il faut survivre.
Dans ce conte sauvage, une fille sans avenir s’affirme en désobéissant, pour devenir au gré des épreuves une véritable héroïne. Les terres indomptées est un grand roman d’aventures, haletant, lyrique, porté par une écriture en état de grâce.
Une jeune fille semble perdue au cœur de la forêt la plus obscure. Nous sommes au XVIIe siècle, dans un territoire qui deviendra les États-Unis. Elle vient de s’échapper, elle court loin de la servitude et des brimades. Maintenant, il faut survivre.
Dans ce conte sauvage, une fille sans avenir s’affirme en désobéissant, pour devenir au gré des épreuves une véritable héroïne. Les terres indomptées est un grand roman d’aventures, haletant, lyrique, porté par une écriture en état de grâce.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Née en 1978, Lauren Groff est notamment l’auteur des Monstres de Templeton et d’Arcadia (Plon, 2010 et 2012). Les Furies (l’Olivier, 2017), livre préféré de Barack Obama en 2015, a connu un immense succès aux États-Unis, et un extraordinaire accueil critique et public en France (100 000 exemplaires vendus, toutes éditions confondues).Avis :
Après Matrix où l’Angleterre du XIIe siècle et un personnage librement inspiré de la poète Marie de France servaient une fable féministe ancrée dans le rejet d’une société insupportable et violente, Lauren Groff poursuit sa trilogie sur les errements au cours des siècles d’une civilisation occidentale malade de ses désirs sur le monde avec une nouvelle héroïne en rupture de ban, une servante qui, vers 1609, fuit Jamestown, première colonie anglaise sur le sol des futurs Etats-Unis.
Au coeur d’une nuit d’hiver sombre et glacée, une petite silhouette encapuchonnée quitte furtivement un fort anglais pour s’élancer, la peur au ventre et la besace bien vide face au froid, la faim et les multiples dangers de la forêt sauvage, dans une fuite éperdue dont l’urgence immédiate est d’échapper à un mortel poursuivant. Commencent une course effrénée, toujours plus loin d’on ne sait encore quelle monstruosité des hommes, et le récit d’une survie au jour le jour, à gratter l’écorce des arbres pour se nourrir de mousses et de larves entre menus gibiers et poissons gelés, à redouter ours et Indiens même si, comparés à ceux qu’elle fuit, les plus dangereux ne sont pas les plus « sauvages », enfin à surmonter les mille épreuves d’un quotidien ramené à un corps-à-corps des plus physiques avec une nature âpre et hostile.
Dans cette aventure où la solitude et la souffrance prennent aussi le goût enivrant de la liberté, l’hostilité de la nature s’avérant de toute façon préférable à la violence des hommes, les souvenirs affluent pour ne raconter qu’une existence malheureuse : sa petite enfance abandonnée aux soins d’un asile de pauvres, sa vie de domestique chez une riche famille anglaise et, sans qu’on lui demande son avis, son embarquement pour le Nouveau Monde et son installation avec ses maîtres dans une petite colonie terrée au sein d’un fort en proie à la famine, la maladie et la plus complète déréliction. En choisissant le point de vue de cette laissée-pour-compte, amenée à préférer fuir dans une nature encore intacte plutôt que de continuer à subir l’insupportable auprès de ses semblables, ce sont ni plus ni moins que les mythologies du progrès civilisationnel, et en particulier celle de la conquête du Nord américain, que ce récit prend à rebours dans un questionnement aux résonances très actuelles.
Si les jours passent et se ressemblent ici dans l’unique obsession de la survie et de la souffrance du corps entre faim, froid et épuisement, les péripéties ne s’en accumulent pas moins, excluant l’ennui, dans une tension de tous les instants. Cette prééminence très physique des besoins élémentaires n’empêche pas pour autant les questionnements existentiels et le tour de force d’une profondeur se profilant au détour de presque rien. Mais c’est la magnificence de la langue et de sa traduction, envoûtante d’expressivité, de musicalité et d’onirisme sous les fausses tournures du XVIIe siècle - une Carole Martinez version américaine ? -, qui achève de conquérir le lecteur.
Experte à tirer de l’Histoire de fort parlants contes politiques et écoféministes, Lauren Groff dispose d’une arme imparable : l’immense séduction d’une plume superbement travaillée. Coup de coeur. (5/5)
Dans cette aventure où la solitude et la souffrance prennent aussi le goût enivrant de la liberté, l’hostilité de la nature s’avérant de toute façon préférable à la violence des hommes, les souvenirs affluent pour ne raconter qu’une existence malheureuse : sa petite enfance abandonnée aux soins d’un asile de pauvres, sa vie de domestique chez une riche famille anglaise et, sans qu’on lui demande son avis, son embarquement pour le Nouveau Monde et son installation avec ses maîtres dans une petite colonie terrée au sein d’un fort en proie à la famine, la maladie et la plus complète déréliction. En choisissant le point de vue de cette laissée-pour-compte, amenée à préférer fuir dans une nature encore intacte plutôt que de continuer à subir l’insupportable auprès de ses semblables, ce sont ni plus ni moins que les mythologies du progrès civilisationnel, et en particulier celle de la conquête du Nord américain, que ce récit prend à rebours dans un questionnement aux résonances très actuelles.
Si les jours passent et se ressemblent ici dans l’unique obsession de la survie et de la souffrance du corps entre faim, froid et épuisement, les péripéties ne s’en accumulent pas moins, excluant l’ennui, dans une tension de tous les instants. Cette prééminence très physique des besoins élémentaires n’empêche pas pour autant les questionnements existentiels et le tour de force d’une profondeur se profilant au détour de presque rien. Mais c’est la magnificence de la langue et de sa traduction, envoûtante d’expressivité, de musicalité et d’onirisme sous les fausses tournures du XVIIe siècle - une Carole Martinez version américaine ? -, qui achève de conquérir le lecteur.
Experte à tirer de l’Histoire de fort parlants contes politiques et écoféministes, Lauren Groff dispose d’une arme imparable : l’immense séduction d’une plume superbement travaillée. Coup de coeur. (5/5)
Citations :
Dans la nuit elle courait, courait, et le froid et le noir et la peur et l’ampleur de sa perte, les étendues sauvages, toutes ces choses rassemblées diminuaient en elle celle qu’elle connaissait, jusqu’à n’être plus rien.
Être rien, c’est ne point exister, être rien, c’est être sans passé.
Il était aussi vrai, pensa la jeune fille, qu’un rien sans passé pouvait se trouver libre.
Être rien, c’est ne point exister, être rien, c’est être sans passé.
Il était aussi vrai, pensa la jeune fille, qu’un rien sans passé pouvait se trouver libre.
La fillette découvrit plus tard qu’elle avait joué de chance, car une brèche venait juste de s’ouvrir dans l’attention de la maîtresse. Quelques jours plus tôt seulement, son singe de compagnie avait rassemblé sa laisse d’or entre ses mains, et sur la pointe des pieds, il s’en était allé au milieu de la rue, attendant tout tremblant d’être écrasé par un cheval car il ne pouvait plus supporter cette vie de servitude. La maîtresse lui cherchait un remplaçant, et bientôt, par plaisanterie, et puis sans y penser, elle appela l’enfant du nom du singe mort, Zed. Non, ma femme, protesta l’orfèvre consterné, cela n’est point correct, cette enfant est un être humain, votre animal de compagnie n’était qu’un singe pouilleux acheté sur les quais à un marin. Mais la maîtresse n’écoutait que son cœur plein de joie, elle trouvait amusant d’appeler l’enfant ainsi, de sorte que la fillette, pour la maîtresse, devint Zed, quant aux autres, ils luttaient pour se remémorer son véritable nom, Lamentations.
Néanmoins, disait la maîtresse dans ses rares moments de tendresse pour sa fille, même si elle est faible d’esprit, notre Bess porte bien une couronne sur la tête.
Car en effet la petite Bess montrait une luxuriance de boucles soyeuses et luisantes ; c’était son glorieux ornement.
Mais toute sa force allait dans ses cheveux, et il n’en restait goutte pour quoi que ce fût d’autre. Cependant elle maîtrisait une poignée de mots, elle était de nature joyeuse, et elle passait des heures dans le jardin, riant du vol irrégulier d’un papillon parmi les fleurs, sa bouche humide et rouge toujours ouverte, et tous les palefreniers la regardaient, bien qu’ils sussent qu’ils ne le devaient point. Il fallait du temps à un étranger pour deviner quelle bourbe elle avait dans la tête, car elle se taisait et souriait, et son visage et ses cheveux étaient d’une telle beauté que tous restaient muets devant elle, et la maîtresse, si d’aventure elle acceptait de poser les yeux sur sa fille, souriait amèrement et disait, Nous marierons cette fille à un vieil aristocrate riche, car ils aiment les femmes belles et blondes, et d’une bêtise monstrueuse. Et la petite Bess souriait à sa mère de sa bouche rose, béate et pleine de bave, ses dents déjà gâtées par le sucre qu’elle aimait tant et volait par poignées à la cuisine, la cuisinière faisant semblant de ne point voir ses gauches tentatives pour se rendre discrètement dans le cellier, elle qui lui laissait par-ci, par-là des friandises, quoiqu’on le lui eût interdit.
Elle songea tristement à tous ses autres noms, aucun n’ayant jamais été vraiment à elle : Lamentations Meretrix, la Fille, la Souillon, Zed. Son souffleur de verre l’appelait autrement dans sa langue, quelque chose comme Mineheleafda, et cela lui semblait plus proche de celle qu’elle était.
Seulement il était mort et allait en silence, derrière elle. Lamentations Meretrix était une insulte, pas un nom ; Zed aussi, une insulte, qui était morte là-bas au fort, en ces temps de famine.
Elle se donnerait un nouveau nom né de sa lutte pour survivre sur ces terres nouvelles. Il y avait quelque chose de mal à voyager sans nom à travers ce pays sauvage ; elle avait l’impression de traverser le monde sans peau.
Et peut-être, pensa-t-elle, dieu n’était-il ni singulier ni trinité mais démultiplié, aussi varié que les créatures qui vivaient sur cette terre.
Peut-être que dieu est tout.
Peut-être que dieu déjà vivait en tout.
Et que ces lieux, leurs habitants n’avaient pas besoin des anglais pour leur apporter dieu.
Et la voix qui de temps en temps lui parlait à l’oreille lui dit très doucement, Or donc, ma fille, si dieu est tout, cela signifie-t-il qu’au centre de ce tout, il n’y a rien ?
Peut-être que dieu est tout.
Peut-être que dieu déjà vivait en tout.
Et que ces lieux, leurs habitants n’avaient pas besoin des anglais pour leur apporter dieu.
Et la voix qui de temps en temps lui parlait à l’oreille lui dit très doucement, Or donc, ma fille, si dieu est tout, cela signifie-t-il qu’au centre de ce tout, il n’y a rien ?
Il n’était point de rédemption, car aucun dieu n’était venu les rédimer.
Un néant, un abcès, un grand trou qui grouillait. Les hommes de son pays avaient toujours senti ce néant au fond d’eux ; ils le sentaient se tordre et s’étirer aux tréfonds de leur être, et ils croyaient que cette sensation était l’éternité. Ils grandissaient, tordus autour de ce néant ; comme les cicatrices d’une blessure d’enfance qui se déforment ensuite tout autour, et ainsi pervertis, ils devenaient terribles, effrayés, bruyants et affamés. Cela créait en eux le besoin d’écraser tout ce qu’ils voyaient sous leurs bottes.
Et sa vision s’approfondit. Elle vit les fantômes de ce qui avait existé auparavant, ce qui avait vécu sous les rais du soleil.
Elle vit la force invisible et silencieuse qui animait toute la création. Naguère elle avait cru qu’au fond de toute chose il y avait un rien où les hommes avaient semé dieu ; à présent elle savait que plus profond encore dans ce rien, il y avait autre chose, une chose faite de lumière et de chaleur.
Et cette lumière et cette chaleur qui perduraient existaient à jamais. Au centre, il n’y avait pas rien, non. De cette lumière et cette chaleur se déversait toute bonté.
L’unique chose faite pour être seule, c’est le bon soleil qui brille et darde sans fin sa chaleur et sa lumière, l’unique grand créateur qui seul peut brûler contre le rien.
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