lundi 18 mars 2024

[McEwan, Ian] Leçons

 




Coup de coeur 💓

 

Titre : Leçons (Lessons)

Auteur : Ian McEWAN

Traduction : France CAMUS-PICHON

Parution : 2022 en anglais,
                   2023 en français (Métailié)

Pages : 656

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Alors que la menace de Tchernobyl plane sur l’Europe, la vie londonienne de l’aspirant poète Roland Baines se fissure soudainement. Peu après la naissance de leur fils, son épouse l’abandonne pour se consacrer à l’écriture de son roman, plutôt qu’à son rôle de mère. Commence alors pour Roland une trépidante exploration de son passé afin de remonter aux prémices d’un tel échec. Par bribes se dévoilent ses premières années vécues en Libye auprès d’un père tyrannique. Puis son arrivée forcée en Angleterre en 1962 où il rejoint un pensionnat austère à l’âge de douze ans. Là débutent de curieuses leçons de piano, avec sa très sévère et follement lubrique professeure, Miriam Cornell. Roland prend ensuite le large vers l’Allemagne, puis il tombe amoureux d’Alissa qui partage son goût pour la littérature.
Les années passent, le monde dysfonctionne toujours davantage, et Roland ne parvient jamais à reprendre sa vie en main ni à en tirer de leçons. Et si retrouver son ancienne professeure de piano pouvait le libérer ?
Roman ambitieux au souffle impressionnant, Leçons raconte la grande épopée d’une vie faite de rêves abîmés. L’intime se mêle ici magistralement à la grande Histoire, dépeinte brillamment par Ian McEwan qui nous offre un antihéros au charme irrésistible et une réflexion passionnante sur la vocation artistique.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Ian McEwan est l’un des écrivains anglais les plus doués de sa génération. Il est l’auteur d’une quinzaine de romans, parmi lesquels L’enfant volé (prix Femina étranger 1993), Expiation, Sur la plage de Chesil, L’intérêt de l’enfant, Dans une coque de noix et Une machine comme moi. Leçons a connu un immense succès en Angleterre.

 

 

Avis :

Qu’est-ce qui fait une vie ? Tous les destins sont le produit de circonstances, « événements et accidents, personnels et mondiaux, minuscules et capitaux » , qui nous lancent sur un chemin plutôt qu’un autre. « Le monde se divise à chaque instant concevable en une infinitude de possibilités invisibles. » Et si, « tous ces itinéraires qui n’[ont] pas été empruntés », l’on jouait le temps d’un livre à les imaginer « encore présents et praticables » ?

C’est un peu l’aventure dans laquelle, avec génie et humour, Ian McEwan s’est lancé en imaginant une sorte d’envers, à la fois à sa propre histoire et au point de vue habituel de la société, au travers des mémoires d’un homme, non seulement passé à côté de sa vocation artistique, mais aussi abusé par une femme pendant l’adolescence, puis abandonné avec un bébé sur les bras par une autre, prête à tous les sacrifices pour le bien de sa carrière littéraire. Et toujours, infléchissant le destin de ses doubles de fiction, le poids de l’Histoire, avec ses hauts et ses bas plus ou moins visibles sur l’instant, mais qui n’en tissent pas moins l’inextricable toile d’araignée dans laquelle tous tentent avec plus ou moins de bonheur de tracer leur chemin.

Lorsque s’ouvre le récit, Roland Baines, trente-sept ans et vivotant de ses petits métiers, se retrouve seul avec Lawrence, son fils âgé de six mois. Alissa vient de les abandonner tous deux, avec pour seule explication qu’elle s’était trompée de vie. Pour Roland commence une longue rumination de ses échecs, lui dont l’existence, sautée brutalement, comme celle de l’auteur, de Tripoli où son père, officier écossais de l’armée britannique, était en poste, à un pensionnat britannique, fut comme « reprogrammée » à partir de ses onze ans par l’influence d’un professeur. Si, dans la vie réelle, ce « professeur extraordinaire » transmit à Ian McEwan le feu sacré de la littérature, geste essentiel dans le parcours du futur écrivain, le rôle est tenu dans le roman par une professeur de piano, autoritaire et possessive, qui, éprise de l’adolescent plus encore que de ses réels talents musicaux, le tiendra sous son emprise sexuelle entre ses quatorze et seize ans. Une expérience – en ces années 1970 où d’aucuns défendaient la pédophilie au nom de la liberté sexuelle – qui devait secrètement, mais irrémédiablement, bouleverser sa future vie sentimentale, lui interdisant longtemps le bonheur, mais aussi mettre un terme à ses études et gâcher son avenir artistique. Ainsi réduit à la précarité, seul et sans formation, c’est lui qui, plus tard, se retrouvera empêché, comme les filles-mères autrefois, par une paternité célibataire dans des conditions économiques difficiles.

On le voit, l’ironie n’est pas exempte de ce récit d’une réalité parallèle, produit d’événements aussi fortuits que celle vécue en vrai par l’auteur, que la narration s’emploie à malaxer avec les mêmes ingrédients historiques. Fait des mille riens – et pourtant –  d’une existence anonyme, ce récit de toute une vie est aussi, avec un naturel incroyable d’aisance, de précision et de clairvoyance, une fresque, ample et ambitieuse, retraçant cent ans d’évolution de la société britannique en particulier, du monde en général. Des étudiants antinazis de la Rose Blanche éliminés par le régime hitlérien au temps du père allemand d’Alissa à la chute du mur de Berlin en passant par la crise des missiles à Cuba ou encore par le nuage de Tchernobyl, des excès du libéralisme thatchérien au Brexit mais aussi, plus largement, à la prise de conscience de la vulnérabilité de la planète, tous les baby-boomers retrouveront en ces pages l’écrin historique de leur propre parcours de vie.

S’il est ici question de leçons, ce n’est sûrement pas de vie, alors que, balle dans le flipper de la vie, chacun pourra, comme l’auteur et ses personnages, entre ironie, tendresse et nostalgie, calquer son propre itinéraire sur la vitre de l’Histoire, mais, sans conteste, de génie littéraire, confirmant, s’il en était besoin, la place de choix occupée par Ian McEwan dans le paysage littéraire britannique et mondial. Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citations :

De temps à autre, lorsqu’il se sentait d’humeur durablement introspective, Roland réfléchissait aux événements et accidents, personnels et mondiaux, minuscules et capitaux qui avaient façonné et déterminé son existence. Son cas n’avait rien de particulier – tous les destins se constituent de la sorte. Rien de tel qu’une guerre pour faire pénétrer de force les événements publics dans la vie privée. Si Hitler n’avait pas envahi la Pologne, déroutant ainsi la division écossaise du soldat Baines de sa mission en Égypte vers le nord de la France, puis vers Dunkerque et les graves blessures aux jambes du soldat, jamais celui-ci n’aurait été déclaré inapte au combat et posté à Aldershot, lieu de sa rencontre avec Rosalind, et Roland n’existerait pas. Si la jeune Jane Farmer avait fait un saut de l’autre côté des Alpes, comme le demandait Cyril Connolly dans sa tentative pour améliorer l’alimentation de la nation après guerre, Alissa n’existerait pas. Banal et merveilleux. Au début des années 1930, si le soldat Baines ne s’était pas mis à l’harmonica, peut-être aurait-il eu moins envie que son fils prenne des leçons de piano pour accroître sa popularité. Ensuite, si Khrouchtchev n’avait pas installé de missiles nucléaires à Cuba et si Kennedy n’avait pas ordonné un blocus naval de l’île, Roland ne serait pas allé à vélo chez Miriam Cornell à Erwarton ce fameux samedi matin, la licorne serait restée enchaînée dans son enclos, et Roland aurait été reçu aux examens lui donnant accès à l’université pour étudier la littérature et les langues. Il n’aurait pas été à la dérive pendant plus d’une décennie, parvenant finalement à chasser Miriam Cornell de ses pensées pour devenir à l’approche de la trentaine un autodidacte passionné. Il n’aurait pas pris de cours de conversation allemande en 1977 à l’institut Goethe de South Kensington avec Alissa Eberhardt. Et Lawrence n’existerait pas.
 

Dès que tu avais des enfants, lui expliquait Ruth, tu étais prisonnier du système [RDA]. Un écart des parents, une critique irréfléchie, et les enfants risquaient de se voir interdire l’accès à l’université ou à une carrière digne de ce nom. Une de leurs amies, mère célibataire, avait fait des demandes de visa répétées – n’écoutant aucune mise en garde. Résultat : l’État avait menacé de lui retirer son fils, un adolescent timide de treize ans, pour le placer à l’Assistance publique, institution réputée pour sa brutalité. Cette mère n’avait jamais refait de demande de visa. Ruth et Florian se tenaient donc « à carreau ». Oui, il y avait la musique et les livres, mais c’était un risque tolérable et nécessaire. Ruth veillait, disait-elle, à ce que son mari ait les cheveux coupés court, malgré ses protestations. Un look vaguement hippie – celui d’un « dissident normal », selon les termes officiels – pouvait attirer l’attention. Si le rapport d’un informateur laissait entendre que Florian avait « un mode de vie asocial », appartenait à « un groupe négativiste » ou était en proie à « l’égocentrisme », les ennuis commenceraient.
 

Comme il était facile de se laisser porter par une vie que l’on n’avait pas choisie, par des réactions successives aux événements. Jamais il n’avait pris de décision importante. Sauf d’arrêter ses études. Non, c’était aussi par réaction. Il supposait s’être bricolé une sorte d’éducation, mais l’avait fait n’importe comment, en proie à la gêne et à la honte. Alors qu’Alissa… Il voyait la beauté du geste. Par une matinée venteuse et ensoleillée en milieu de semaine, elle avait radicalement transformé son existence lorsque, sa petite valise faite et laissant ses clés derrière elle, elle avait franchi la porte d’entrée, dévorée par une ambition pour laquelle elle était prête à souffrir et à faire souffrir. 
 
 
Selon la préface de l’édition de poche de Roland, Flaubert était lui-même tombé amoureux à quatorze ans d’une femme de vingt-six ans, mariée elle aussi. Elle avait fait partie de sa vie, par intermittence, durant près d’un demi-siècle. Quant à savoir si leur amour avait été consommé, les avis des universitaires divergeaient. Roland éteignit sa lampe et, quoique gagné par le sommeil, il fixa l’obscurité, cherchant à se rappeler son propre monde supérieur. Aucun bruit dans la chambre voisine. Avec Madame* Cornell, avait-il fait un pas de plus que Flaubert et son Frédéric sur le Pont-Neuf, ou était-il resté loin derrière ? Il ne pensait pas que le simple contact d’une main eût pu le transporter jusqu’à une telle félicité. Mme Arnoux avait offert la sienne à ses autres invités, et quand était venu le tour de Frédéric il avait éprouvé « comme une pénétration à tous les atomes de sa peau ». Un état d’excitation enviable dont tous les enfants des années 1960 s’étaient privés dans leur impatience à découvrir le plaisir charnel. Il ferma les yeux. Il faudrait des conventions sociales très strictes, un déni généralisé et beaucoup de malheur pour connaître des sensations si intenses après une poignée de main de pure courtoisie. Alors que le sommeil l’emportait sur ses pensées la réponse s’imposa : il était resté très loin derrière.


Une première intervenante se leva. Il y avait un sujet tabou, déclara-t-elle. À coup sûr, la discussion devait porter sur l’attitude des artistes hommes envers leurs épouses, leurs compagnes et les enfants qu’ils avaient contribué à mettre au monde. Ces hommes fuyaient leurs responsabilités, avaient des aventures, buvaient ou devenaient violents, et se retranchaient comme de bien entendu derrière les exigences de leur noble vocation, de leur art. Historiquement, on avait très peu d’exemples de femmes ayant sacrifié autrui à leur art et elles encouraient alors une réprobation sévère. Elles risquaient davantage de s’en prendre à elles-mêmes, de se refuser le droit d’être mères, pour devenir artistes. On jugeait les hommes avec plus d’indulgence. Dès qu’il était question d’art, de poésie, de peinture ou autre, on avait simplement affaire à un cas banal de domination masculine. Les hommes voulaient tout : enfants, réussite, femmes entièrement dévouées à leur créativité. Applaudissements nourris. Le professeur semblait perplexe. Il n’avait pas envisagé le problème en ces termes, ce qui était surprenant puisqu’une nouvelle vague de féminisme avait gagné les universités une génération plus tôt.


Parlant sans notes, il rappela à l’assemblée l’année de naissance de Rosalind : 1915. Difficile, dit-il, de penser à une autre période de l’histoire où en quatre-vingt-dix ans d’existence on aurait pu vivre autant de changements que Rosalind. Elle était née deux ans avant la révolution russe, et les horribles massacres de la Première Guerre mondiale commençaient. Les inventions qui transformeraient le vingtième siècle – la radio, la voiture, le téléphone, l’avion – n’étaient pas encore entrées dans la vie des habitants d’Ash. L’avènement de la télévision, des ordinateurs, d’internet prendrait des années et était inimaginable. Comme la Seconde Guerre mondiale, avec ses massacres encore plus horribles. Elle transformerait l’existence de Rosalind et de ses proches. En 1915, Ash en était encore à la voiture à cheval, un monde hiérarchisé, agricole, replié sur lui-même. Une visite chez le médecin pouvait grever le budget d’une famille d’ouvriers. Rosalind portait des bottines orthopédiques à trois ans pour remédier aux effets de la malnutrition. À la fin de sa vie un vaisseau spatial était entré dans l’orbite de Mars, on redoutait les inconnues du réchauffement climatique et on se demandait si l’intelligence artificielle ne remplacerait pas un jour les humains. 
 
 
Historiquement, affirma-t-il, le christianisme avait été un éteignoir pour l’imagination européenne. L’expiration de sa tyrannie, quel cadeau ! Ce qui passait pour de la piété n’était que du conformisme imposé par un totalitarisme intellectuel d’État. Contester ou défier celui-ci au seizième siècle équivalait à risquer sa vie. Comme protester contre le réalisme socialiste dans l’Union soviétique de Staline. Cinquante générations durant, le christianisme avait fait obstacle non seulement au progrès scientifique mais plus ou moins à toute vie culturelle, à toute liberté d’expression et à tout questionnement. Il avait mis aux oubliettes pendant une éternité les philosophies tolérantes de l’Antiquité classique, condamné des milliers d’esprits brillants au puits sans fond d’ineptes querelles théologiques. Il avait propagé son prétendu Verbe au prix d’horribles violences et s’était maintenu en place par la torture, les persécutions et la mort. Doux Jésus, laissez-moi rire ! L’expérience que l’humanité avait du monde comprenait une infinité de sujets, et pourtant dans l’Europe entière les grands musées étaient pleins de la même camelote criarde. Pire que la musique de variétés. C’était le concours de l’Eurovision peint à l’huile et dans un cadre doré. En discourant il s’étonnait de la véhémence de ses sentiments et de son plaisir à se défouler. Ce flot de paroles – cette explosion – disait autre chose. Quel soulagement, conclut-il en se calmant, de voir une représentation d’un intérieur bourgeois, d’une miche de pain sur une planche en bois près d’un couteau, d’un couple de patineurs main dans la main sur un canal pris par les glaces, essayant de s’offrir un peu de bon temps « pendant que le foutu prêtre avait le dos tourné. Bénie soit la peinture hollandaise ! ».


Deux siècles s’étaient écoulés avant que les sommités en place ne jugent utile d’examiner au microscope les micro-organismes décrits par Antonie Van Leeuwenhoek en 1673. Elles avaient pris position contre l’hygiène parce que c’était une insulte à la profession, contre l’anesthésie parce que la douleur était un élément de la maladie voulu par Dieu, contre la théorie des microbes parce qu’Aristote et Gallien pensaient différemment, contre la médecine basée sur les preuves parce qu’on ne procédait pas ainsi. Elles se cramponnèrent le plus longtemps possible à leurs sangsues et à leurs ventouses. Au milieu du vingtième siècle, elles défendirent l’ablation généralisée des amygdales chez les enfants, malgré les preuves de son inefficacité. Au bout du compte, la profession finissait toujours par s’incliner. Un jour ces sommités s’inclineraient, et reconnaîtraient le droit d’une personne sensée de choisir la mort plutôt que des souffrances insupportables et incurables.  
 
 
Les traits dont il se souvenait étaient bien là, prisonniers de joues et de paupières bouffies. Il dut imaginer que la beauté de la femme qu’il avait aimée était peinte à la surface d’un ballon dégonflé. En soufflant aussi fort qu’il l’oserait, il les retrouverait, ces yeux, ce nez, cette bouche et ce menton familiers, s’éloignant les uns des autres, flottant telles des galaxies dans l’univers en expansion. Alissa était là quelque part, le fixant, essayant elle aussi de le retrouver, lui, parmi ses propres débris, ce non-être chauve et porcin à l’air déçu.  
 
 
Quelle logique, quelles motivations, quel renoncement désespéré pouvaient, d’heure en heure, tous nous transporter à l’intérieur d’une génération de l’optimisme enthousiaste lors de la chute du Mur de Berlin à l’assaut du Capitole américain ? Roland avait cru que 1989 serait un portail largement ouvert sur l’avenir, par lequel tout le monde s’engouffrerait. Ce n’avait été qu’un point culminant. À présent, de Jérusalem au Nouveau-Mexique, on construisait des murs. Tant de leçons non retenues. Cet assaut de janvier contre le Capitole pouvait n’être qu’une faille, un moment singulier de honte dont on discuterait avec étonnement pendant des années. Ou un portail ouvrant sur une nouvelle sorte d’Amérique, l’administration actuelle étant un simple interrègne, une variante de la république de Weimar. Rendez-vous sur l’avenue des Héros-du-6-Janvier. D’un point culminant à un tas de fumier en trente ans. Seuls un regard rétrospectif, des recherches historiques bien conduites pouvaient distinguer les points culminants et les failles des portails.


La tentation des vieillards, nés au beau milieu des événements, était de voir dans leur mort la fin de tout, la fin des temps. De cette façon leur mort aurait plus de sens. Il acceptait de voir le pessimisme comme un bon compagnon de la réflexion et de l’étude, et l’optimisme comme l’affaire des hommes politiques, que personne ne croyait. Il connaissait les raisons de se réjouir et avait parfois cité les indicateurs, les taux d’alphabétisation et ainsi de suite. Mais c’était par comparaison avec un passé épouvantable. Impossible de le nier, de nouvelles horreurs nous entouraient. Des nations gouvernées par des gangs criminels en cols blancs ne cherchant que leur enrichissement personnel, maintenus en place par des services de sécurité, par la réécriture de l’Histoire et un nationalisme passionné. La Russie n’était qu’un exemple parmi d’autres. Les États-Unis en proie à un délire colérique, conspirationniste et suprémaciste pouvaient en devenir un autre. La Chine faisait mentir l’affirmation selon laquelle le commerce avec le monde extérieur ouvrait les esprits et les sociétés. Avec les technologies à sa disposition, elle pouvait perfectionner l’État totalitaire et offrir un nouveau modèle d’organisation sociale pour concurrencer ou remplacer les démocraties libérales – une dictature reposant sur une circulation fiable des biens de consommation et un certain degré de génocides ciblés. Le cauchemar de Roland était que la liberté d’expression, un privilège en recul, ne disparaisse pendant mille ans. L’Europe chrétienne du Moyen Âge s’en était passée tout aussi longtemps. L’islam n’y avait jamais attaché beaucoup d’importance.
Mais chacun de ces problèmes était local, limité à la modeste échelle du temps humain. Ils se réduisaient à un noyau amer contenu dans la coque d’un problème plus vaste, le réchauffement de la planète, la disparition des animaux et des plantes, la perturbation des systèmes interdépendants que sont les océans, la terre, l’atmosphère et la vie, magnifiques équilibres nourriciers que nous forcions à changer sans bien les comprendre.


 

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