vendredi 20 octobre 2023

[Mizubayashi, Akira] Suite inoubliable

 



 

J'ai aimé

 

Titre : Suite inoubliable

Auteur : MIZUBAYASHI Akira

Parution : 2023 (Gallimard)

Pages : 256

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

« En lui, la musique parlait français depuis qu’il l’avait vécue en France. En se livrant à la conversation avec Hortense, il avait la sensation d’interpréter un duo avec elle, sensation qu’il ne connaissait pas lorsqu’il s’exprimait dans sa langue maternelle, le japonais. »

Pamina est une jeune luthière brillante, digne petite-fille d’Hortense Schmidt, qui avait exercé le même métier au Japon pendant la Seconde Guerre mondiale. Embauchée dans l’atelier d’un fameux luthier parisien, Pamina se voit confier un violoncelle très précieux, un Goffriller. En le démontant pour le réparer, la jeune femme découvre, dissimulée dans un tasseau, une lettre qui la mènera sur les traces de destins brisés par la guerre. Des mots, écrits à la fois pour résister contre l’oppresseur et pour transmettre l’histoire d’un grand amour, auront ainsi franchi les frontières et les années. Les histoires entremêlées des personnages d’Akira Mizubayashi, tous habités par une même passion mélomane, pointent chacune à sa façon l’horreur de la guerre. La musique, recours contre la folie des hommes, unit les générations par-delà la mort et les relie dans l’amour d’une même langue.

 

Un mot sur l'auteur :

Akira Mizubayashi est un écrivain japonais né en 1951. Professeur de français dans une université de Tokyo, il a rédigé six essais en japonais avant de commencer à écrire en français.

 

Avis :  

Après le violon dans Ame brisée et l’alto dans Reine de coeur, Akira Mizubayashi complète sa trilogie musicale – son trio à cordes littéraire ? - avec le violoncelle. Cette troisième partition romanesque, jouant elle aussi l’alternance entre les années quarante et nos jours, est une nouvelle variation sur le thème de la résistance et de la transmission, à travers la musique, des valeurs humanistes mises à mal par la guerre.

Violoniste prodige formé à Paris dans les années 1930, le jeune Ken Mizutani, revenu à Tokyo, reçoit en 1945 « le fatidique petit papier rouge d’incorporation ». Forcé de rejoindre les rangs d’une armée impériale que « le démon de la guerre et du despotisme, bafou[ant] les consciences », emmène de manière suicidaire vers une déroute inexorable, le jeune homme doit se résoudre à quitter les siens et son violoncelle. Quelque soixante-dix ans plus tard, Pamina, la luthière à qui l’illustre violoncelliste Guillaume Walter a confié pour révision son Goffriller de 1712 à la si particulière teinte « rouge cerise sombre », découvre en détablant l’instrument, cachée dans un tasseau, une lettre datée de 1945 et signée d’un certain Ken Mizutani...

Découpée en six danses comme chacune des six suites pour violoncelle de Bach, qui, avec le concerto d'Elgar et le chant des oiseaux – devenu un symbole de paix et de liberté depuis son arrangement pour violoncelle par le catalan Pablo Casals engagé contre le franquisme –, forment la bande originale du roman, la narration est une nouvelle fois une ode vibrante à la musique, en même temps qu’un chant d’amour à la langue française. Comme l’auteur, à ce point épris du français que c’est en cette langue qu’il choisit d’écrire ses romans, le personnage Ken Mizutani sent « en lui la musique parler français depuis qu’il l’a vécue en France ». Alors que son pays, « gangrené par une dictature exacerbée fondée sur le culte fanatique de l’empereur », sombre dans une « folie cauchemardesque », cette musique et cette langue, qu’il associe à l’époque des Lumières en Europe, représentent pour lui « une lueur d’espoir », la voix de l’humanité qui survivra aux ténèbres passagères de l’Histoire.

Est-ce la répétition du schéma narratif d’un livre à l’autre de la trilogie ? Le charme de la jolie parabole qui, dans l’opus initial, prenait pour la première fois tout son sens, perd de sa puissance dans cette ultime variation qui, faute d’ajouter au propos, parvient aussi beaucoup moins bien à occulter la récurrence des stéréotypes et la tendance à l’idéalisation de la narration. Reste une lecture agréable, non dénuée de beauté, emplie d’un plaisir mélomane et tout entière vouée au culte de la musique et des hommes qui la composent, l’interprètent et en fabriquent les instruments d’exception. (3/5)

 

Citations : 

Le violoncelle du luthier vénitien Matteo Goffriller l’emmène rejoindre un ailleurs lointain, à des hauteurs vertigineuses au-dessus du territoire nippon où, dit-il, la raison et la conscience subissent une torture permanente infligée par un fanatisme exacerbé. Ken est un aigle qui déploie ses ailes pour planer en toute liberté dans le firmament des sentiments humains, pour parcourir toute l’étendue des émotions mises en résonance par le foisonnement des notes de Bach.


Le Divertimento de Mozart fut sublime. Tatsuya Ono fut touché jusqu’au plus profond de son être. Il se dit que le trio à cordes était une vraie conversation amicale, une discussion intellectuelle et courtoise à l’image des échanges d’idées qui se pratiquaient entre les personnes raisonnables dans les salons du siècle des Lumières européennes.
— Quand j’écoute une merveille pareille, je crois apercevoir une lueur d’espoir.


Nous entendons, en effet, dans ce chant à la fois merveilleux et si profondément triste, sa douleur devant le spectacle des atrocités de la guerre et la force de sa prière pour la paix qui monte vers le ciel à l’image de l’envolée des oiseaux catalans. (...) J’aimerais tant que ce chant résonne sur tous les champs de bataille, dans la tête des présidents qui commandent les armées, dans la conscience des soldats qui se livrent à des tueries aussi bien que dans le cœur de ceux qui tirent profit de l’industrie et du commerce des armes…

 

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