mercredi 24 mars 2021

[Plamondon, Eric] Aller aux fraises

 





 

J'ai beaucoup aimé

Titre : Aller aux fraises

Auteur : Eric PLAMONDON

Parution : 2021 (Quidam Editeur)

Pages : 88






 

 

Présentation de l'éditeur :  

Aller aux fraises, c’est une langue qui sillonne les bois, les champs, les usines, les routes sans fin, les bords de rivière. C’est le sort de ceux qui deviennent extraordinaires à force d’être ordinaires. On s’y laisse porter par les souvenirs d’un père qui s’agrègent pour devenir les légendes du fils. Ce fils qui veut construire son propre récit et qui retrouve sa mère le temps d’un nouveau cycle.  Eric Plamondon raconte la démesure de l’ordinaire. Sur le vif. C’est aussi drôle qu’émouvant.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Né au Québec en 1969, Eric Plamondon a étudié le journalisme à l’université Laval et la littérature à l’UQÀM (Université du Québec à Montréal). Il vit dans la région de Bordeaux depuis 1996 où il a longtemps travaillé dans la communication. Il a publié au Quartanier (Canada) le recueil de nouvelles Donnacona et la trilogie 1984 : Hongrie-Hollywood Express, Mayonnaise et Pomme S, publiée aussi en France aux éditions Phébus. 
Taqawan (Quidam 2018) a reçu les éloges tant de la presse que des libraires, et a obtenu le prix France-Québec 2018, ainsi que le prix des chroniqueurs Toulouse Polars du Sud.


Avis :

Ce mince volume est un recueil de trois nouvelles.

La première, Aller aux fraises, nous renvoie aux dix-sept ans de l’auteur, à l’insouciance d’une jeunesse pressée de vivre l’amour, la fête, l’alcool, et qui, tout entière tournée vers l’aube de ce qui lui semble encore la liberté parfaite, ne réalise pas encore tout ce qui finit aussi à cette saison de la vie. Il faudra quitter la maison sans savoir qu'on n'y reviendra jamais vraiment. C'est la fin de l'enfance, la fin d'une vie, le moment où on quitte ses parents et le début d'une autre. La nostalgie point dans les souvenirs de l’auteur, à son tour à l’âge qu’avait son père à l’époque. Elle se fait poignante, alors que se dessine toute la portée du constat paternel, si pudique et si poétique dans son laconisme, d’un fils parvenu au temps d’aller aux fraises.

La deuxième, Cendres, poursuit l’hommage de l’auteur à son père en rapportant une de ses anecdotes, dans une évocation révélatrice du puissant lien filial de l’écrivain. La narration se déploie autour de quelques personnages modestes, prompts à venir oublier leurs pénibles professions ouvrières autour du billard et au fond des bouteilles du bar local. Leurs légendaires et flamboyantes parties auront un prix, mais cimenteront une amitié touchante de sincérité et de maladresse. D’une irrévérencieuse drôlerie, le texte s’égaye de dialogues savoureux, aux accents profondément authentiques.

Enfin, Thetford Mines évoque les longues et parfois aventureuses allées et venues de l’auteur, encore étudiant, entre le domicile de sa mère et celui de sa blonde : deux heures de route aller, deux heures de route retour, beau temps mauvais temps, une tempête de neige n’arrêtant pas un Québécois pour si peu. La nouvelle nous emmène sur les grandes routes rectilignes qui, en traversant les forêts, se mettent à jouer aux montagnes russes à l’approche des Appalaches. Le décor varie du blanc neigeux au gris pierreux des terrils, la ville désormais économiquement sinistrée de Thetford Mines se prêtant au passage à l’évocation des mines d’amiante, de la grande grève de 1949 et du bouleversement politique et social qu’elle provoqua au Québec.

On ne se lasse pas du talent de conteur et de la finesse d’évocation d’Eric Plamondon, qui, au travers de l’ordinaire, sait si bien exprimer la fragilité des hommes, du temps qui passe et de la vie. Chacun de ces trois courts textes est un trésor d’émotions pudiquement suggérées, en même temps qu’un régal des mots et de la langue, alors qu’y chantent pour notre plus grand plaisir l’accent et les expressions québécoises. Sous le charme, le lecteur referme ce livre avec au coeur l’envie de faire encore, dès que possible, un p'tit boute en compagnie de cet auteur. (4/5)


Citations :

Je me dirigeais tout droit vers les responsabilités, les histoires d’amour compliquées, les haines partagées, les collègues insignifiants, le mariage, le divorce, avoir un enfant, voir ses parents vieillir, changer d’idée, douter, chercher des réponses, sombrer, se relever, tenter, recommencer et, souvent, me souvenir de la fois où mon père m’avait dit : « On dirait que t’es allé aux fraises. »

Il y avait de la magie dans cette roche qui résistait aux flammes et avec laquelle on pouvait faire du tissu à l’épreuve du feu. Et Gilles de me raconter que déjà à l’époque de César on confectionnait des nappes de banquet en fibre de chrysotile et que, pour les nettoyer, on les jetait dans les flammes d’où elles ressortaient d’un blanc immaculé.
 
Si les problèmes de santé des travailleurs de l’amiante avaient été reconnus officiellement en 1948, on savait déjà chez les Romains que les esclaves qui filaient le tissu avec des fibres d’amiante développaient des problèmes respiratoires parfois mortels. L’amiantose ne datait pas d’hier.

J’étais à peine arrivé que c’était déjà le dimanche matin, la langueur de ce jour entre deux où on hésite à terminer quelque chose en sachant que demain sera pénible. L’épaisseur des dimanches, leur lourdeur monotone, leurs heures à rallonge, l’angoisse du coucher, la tête qui va trop vite et le corps qui se refuse à l’attaque de la semaine et au réveille-matin.

J’avais l’impression de m’enfoncer dans la tempête, de plonger en son sein alors que ce n’étaient que les cieux qui passaient au-dessus de moi en balayant toute la Belle Province. Les phares de la Honda Civic creusaient un tunnel dans le blanc des tourbillons de cristaux. Ce n’était plus le véhicule qui avançait mais les éléments qui se précipitaient vers moi. J’étais comme Han Solo quand il fait passer le Faucon Millenium en hyper-espace et que des milliards de points lumineux semblent bombarder le cockpit : étoiles, super nova, naines blanches, soleils, galaxies… Mon retour devenait l’errance d’un naufragé solitaire.



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