Coup de coeur 💓
Titre : A la demande d'un tiers
Auteur : Mathilde FORGET
Année de parution : 2019
Editeur : Grasset
Pages : 162
Présentation de l'éditeur :
« La folie n’est pas donnée à tout le monde. Pourtant j’avais essayé de toutes mes forces. »
C’est le genre de fille qui ne réussit jamais à pleurer quand on l’attend. Elle est obsédée par Bambi, ce personnage larmoyant qu’elle voudrait tant détester. Et elle éprouve une fascination immodérée pour les requins qu’elle va régulièrement observer à l’aquarium.
Mais la narratrice et la fille avec qui elle veut vieillir ont rompu. Elle a aussi dû faire interner sa sœur Suzanne en hôpital psychiatrique. Définitivement atteinte du syndrome du cœur brisé, elle se décide à en savoir plus sur sa mère, qui s’est suicidée lorsqu’elle et Suzanne étaient encore enfants.
C’est le genre de fille qui ne réussit jamais à pleurer quand on l’attend. Elle est obsédée par Bambi, ce personnage larmoyant qu’elle voudrait tant détester. Et elle éprouve une fascination immodérée pour les requins qu’elle va régulièrement observer à l’aquarium.
Mais la narratrice et la fille avec qui elle veut vieillir ont rompu. Elle a aussi dû faire interner sa sœur Suzanne en hôpital psychiatrique. Définitivement atteinte du syndrome du cœur brisé, elle se décide à en savoir plus sur sa mère, qui s’est suicidée lorsqu’elle et Suzanne étaient encore enfants.
Elle retourne sur les lieux, la plus haute tour du château touristique d’où sa mère s’est jetée. Elle interroge la famille, les psychiatres. Aucun d’eux ne porte le même diagnostic. Quant aux causes : « Ce n’est pas important de les savoir ces choses-là, vous ne pensez pas ? » Déçue, méfiante, elle finit par voler des pages du dossier médical qu’on a refusé de lui délivrer.
Peu à peu, en convoquant tour à tour Blade Runner, la Bible ou l’enfance des tueurs en série, en rassemblant des lettres écrites par sa mère et en prenant le thé avec sa grand-mère, elle réussit à reconquérir quelques souvenirs oubliés.
Mais ce ne sont que des bribes. Les traces d’une enquête où il n’y a que des indices, jamais de preuves.
La voix singulière de Mathilde Forget réussit à faire surgir le rire d’un contexte sinistre et émeut par le moyen détourné de situations cocasses. Sur un ton à la fois acide et décalé, elle déboussole, amuse et ébranle le lecteur dans un même élan.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Avis :
La narratrice est assaillie par l’angoisse : sa mère a été longtemps enfermée en hôpital psychiatrique avant de se suicider quand ses deux filles étaient enfants. Récemment, elle a dû se résoudre à faire interner sa sœur après une crise de délire paranoïaque. Et elle-même montre des signes de fragilité : obsession maniaque de l’ordre, phobie, difficultés relationnelles… Elle entreprend alors une recherche sur la maladie de sa mère, tentant de percer l’omerta familiale et médicale. Exhumer les vieux secrets l’aidera-t-elle à mieux vivre ?
La personnalité compliquée de celle qui mène le récit jette le trouble dans l’esprit du lecteur qui se prend aussi à douter. Un doute qui va vite devenir le motif en filigrane de ce livre : celui qui inquiète le lecteur quant à la santé psychologique de la narratrice, celui qu’ont toujours eu les médecins quant à la véritable folie de sa mère, celui que n’avaient pas certains membres de la famille qui se sont pourtant tus.
Acide et percutant, le texte frappe par la justesse des détails et des ressentis : choisis de façon apparemment décousue, ils dessinent un ensemble saisissant de véracité, que l’on n'aurait aucune peine à accepter comme biographique. Les courts chapitres ne cessent de prendre le lecteur au dépourvu, instaurant un rythme qui le happe sans répit. Jamais larmoyant, le ton oscille constamment entre émotion et dérision, faisant naître le rire des perpétuels décalages du personnage principal et transformant le drame en une tragi-comédie ouverte sur l’espoir.
Ce singulier roman sur l’enfance blessée et les désordres laissés par la difficile relation à une mère est une réussite sur tous les plans : touchant, drôle, terriblement juste, il révèle une plume aussi délicate que percutante et une maîtrise de la construction romanesque qui me feront guetter les prochains romans de l’auteur. Coup de coeur. (5/5)
La personnalité compliquée de celle qui mène le récit jette le trouble dans l’esprit du lecteur qui se prend aussi à douter. Un doute qui va vite devenir le motif en filigrane de ce livre : celui qui inquiète le lecteur quant à la santé psychologique de la narratrice, celui qu’ont toujours eu les médecins quant à la véritable folie de sa mère, celui que n’avaient pas certains membres de la famille qui se sont pourtant tus.
Acide et percutant, le texte frappe par la justesse des détails et des ressentis : choisis de façon apparemment décousue, ils dessinent un ensemble saisissant de véracité, que l’on n'aurait aucune peine à accepter comme biographique. Les courts chapitres ne cessent de prendre le lecteur au dépourvu, instaurant un rythme qui le happe sans répit. Jamais larmoyant, le ton oscille constamment entre émotion et dérision, faisant naître le rire des perpétuels décalages du personnage principal et transformant le drame en une tragi-comédie ouverte sur l’espoir.
Ce singulier roman sur l’enfance blessée et les désordres laissés par la difficile relation à une mère est une réussite sur tous les plans : touchant, drôle, terriblement juste, il révèle une plume aussi délicate que percutante et une maîtrise de la construction romanesque qui me feront guetter les prochains romans de l’auteur. Coup de coeur. (5/5)
Citations :
Dans les couloirs, il y a ceux qui parlent tout seuls, ceux qui ne parlent pas et ceux qui parlent tout seuls sans que cela se voie car ils ne sont pas seuls. J’apprécie leur compagnie, avec eux j’ai toujours l’impression d’avoir de la conversation. Impression que je connais peu. Avoir un avis à donner, une chose à dire, me demande un temps si long qu’il fait de moi une personne peu bavarde.
Ranger permet de maîtriser au moins un des désordres possibles de notre existence. L’expression de tueur en série a été inventée par l’agent du FBI Robert K. Ressler dans les années soixante-dix à l’occasion du procès de Ted Bundy. Avant ce procès, c’est l’expression tueur en séquence qui était utilisée, séquence signifiant une suite ordonnée d’opérations. Je range en séquence.
La fille avec qui je veux vieillir voulait qu’on habite ensemble. Un jour elle me l’a dit. Moi je préférais que l’on vieillisse ensemble dans deux appartements distincts. Après notre rupture, j’ai tout de suite su où ranger le pull qu’elle avait oublié. Concernant les gens que j’aime, je m’organise mieux avec leur absence.
Ça rassure d’avoir un coupable quand on perd quelqu’un, c’est important d’avoir un visage à détester. Quand une personne se donne la mort, le visage que l’on déteste est aussi celui qui nous manque. (…) L’autre problème avec l’absence de coupable, c’est que tout le monde se sent accusé. Les gens qui se suicident sont un sujet désagréable pour les gens qui ne se suicident pas. Les conversations deviennent des interrogatoires, les souvenirs de potentielles preuves (…)
Ranger permet de maîtriser au moins un des désordres possibles de notre existence. L’expression de tueur en série a été inventée par l’agent du FBI Robert K. Ressler dans les années soixante-dix à l’occasion du procès de Ted Bundy. Avant ce procès, c’est l’expression tueur en séquence qui était utilisée, séquence signifiant une suite ordonnée d’opérations. Je range en séquence.
La fille avec qui je veux vieillir voulait qu’on habite ensemble. Un jour elle me l’a dit. Moi je préférais que l’on vieillisse ensemble dans deux appartements distincts. Après notre rupture, j’ai tout de suite su où ranger le pull qu’elle avait oublié. Concernant les gens que j’aime, je m’organise mieux avec leur absence.
Ça rassure d’avoir un coupable quand on perd quelqu’un, c’est important d’avoir un visage à détester. Quand une personne se donne la mort, le visage que l’on déteste est aussi celui qui nous manque. (…) L’autre problème avec l’absence de coupable, c’est que tout le monde se sent accusé. Les gens qui se suicident sont un sujet désagréable pour les gens qui ne se suicident pas. Les conversations deviennent des interrogatoires, les souvenirs de potentielles preuves (…)
Le syndrome du cœur brisé, aussi appelé tako-tsubo, a été découvert dans les années quatre-vingt par des médecins japonais. Mon cœur alors avait à peine deux ans. Dans certains cas cette défaillance cardiaque peut mener au décès. À Zurich, vingt-six scientifiques ont étudié les causes de cette maladie. Entre 1998 et 2014 ils ont brisé le cœur de 1 750 patients volontaires. Quand c’est volontaire c’est moins douloureux. Dans les décès liés à cette maladie, 27 % sont dus à un choc émotionnel. Sous l’effet d’un très grand stress, pour se défendre, le cerveau envoie un signal aux glandes surrénales pour qu’elles libèrent de l’adrénaline. Les petits vaisseaux se contractent et accélèrent le cœur. Sous l’effet d’un stress particulièrement important, comme la perte d’un conjoint, il peut arriver que le cœur se paralyse et arrête de battre. Parfois, en croyant se protéger, le cœur se blesse. Comme si en préparant sa garde, le boxeur avait vivement reculé sa main trop près de son visage, et s’était ouvert l’arcade sourcilière. Se protéger, c’est dangereux. Les symptômes sont pratiquement identiques à ceux d’une crise cardiaque : de violentes douleurs thoraciques suivies d’un essoufflement. Le plus souvent, les médecins prescrivent aux malades des bêtabloquants qui ont pour effet d’inhiber l’angiotensine II, l’hormone qui augmente la pression artérielle. Mais l’efficacité de ce traitement d’appoint reste incertaine. « Il n’existe pas de traitement à long terme », regrette Jeremy Pearson, médecin à la British Heart Foundation. Je regrette avec lui.
Récemment, à l’université britannique d’Aberdeen, des médecins ont mené une nouvelle étude qui valide l’hypothèse que le cœur est réellement touché lors d’un chagrin d’amour. Des petites cicatrices sont visibles sur le muscle et le système de pompe est affecté de manière permanente. Au moment du choc, le ventricule gauche se gonfle sans jamais retrouver sa forme initiale.
Le tako-tsubo touche environ 3 000 individus par an au Royaume-Uni, précise l’étude. Les cœurs se brisent différemment selon les pays. Dana Dawson, la seule femme nommée dans cette grande enquête sur le cœur, déclare que les personnes souffrant du cœur brisé peuvent se rétablir sans intervention médicale, avant d’ajouter : « Nous avons montré que cette maladie provoque des dommages irréparables. C’est une maladie dévastatrice qui peut frapper des personnes d’ordinaire en bonne santé. »
J’ai pensé que la folie de ma mère n’était rien d’autre que des instants où elle refusait le silence imposé par son histoire. Délirer, c’était résister. J’ai pensé que les fous sont des résistants méprisés.
Récemment, à l’université britannique d’Aberdeen, des médecins ont mené une nouvelle étude qui valide l’hypothèse que le cœur est réellement touché lors d’un chagrin d’amour. Des petites cicatrices sont visibles sur le muscle et le système de pompe est affecté de manière permanente. Au moment du choc, le ventricule gauche se gonfle sans jamais retrouver sa forme initiale.
Le tako-tsubo touche environ 3 000 individus par an au Royaume-Uni, précise l’étude. Les cœurs se brisent différemment selon les pays. Dana Dawson, la seule femme nommée dans cette grande enquête sur le cœur, déclare que les personnes souffrant du cœur brisé peuvent se rétablir sans intervention médicale, avant d’ajouter : « Nous avons montré que cette maladie provoque des dommages irréparables. C’est une maladie dévastatrice qui peut frapper des personnes d’ordinaire en bonne santé. »
J’ai pensé que la folie de ma mère n’était rien d’autre que des instants où elle refusait le silence imposé par son histoire. Délirer, c’était résister. J’ai pensé que les fous sont des résistants méprisés.
Glenn Gould passait plus de temps à travailler ses morceaux en lisant la partition qu’en la jouant. Il pouvait rester des jours entiers sans toucher son piano, à étudier chaque note. Depuis, Pauline travaille essentiellement son piano sur son bureau. « Il faut avoir la sensation que chaque partie de ton corps a choisi, désiré, attendu les moindres détails de la partition. Rien en toi, rien physiquement ne doit résister à la partition, comme si le noir de l’encre pouvait disparaître sans te mettre en danger. Il faut donner l’impression d’improviser quelque chose que tu connais au millimètre près. »
Schumann avait inventé une machine, la Cigarrenmechanik, qui lui permettait d’immobiliser son annulaire droit pendant les exercices pour travailler sa dextérité, mais au lieu d’améliorer sa souplesse, son annulaire fut définitivement paralysé, ce qui l’empêcha par la suite de devenir pianiste concertiste.
Ce qui est gênant avec les scientifiques, c’est que le ton solennel et assuré qu’ils emploient n’est pas vraiment rassurant. Parfois on pourrait même croire qu’ils disent l’inverse de ce qu’ils pensent pour calmer les foules. Au cinéma, dans les situations de menace réelle, il y a souvent un scientifique qui, sous le contrôle des autorités, affirme très sérieusement : « Chers concitoyens, vous pouvez rentrer chez vous, plus aucun danger ne pèse sur la ville de Grinwood », alors même que les extraterrestres sont en train de dévorer les derniers membres de l’USAPH, l’Unité spéciale américaine de protection de l’humanité. Dans ces situations-là, les super-héros sont plus honnêtes. En général, quand ils déclarent que tout est rentré dans l’ordre, c’est qu’ils ont endigué la menace et que tout est réellement rentré dans l’ordre.
Schumann avait inventé une machine, la Cigarrenmechanik, qui lui permettait d’immobiliser son annulaire droit pendant les exercices pour travailler sa dextérité, mais au lieu d’améliorer sa souplesse, son annulaire fut définitivement paralysé, ce qui l’empêcha par la suite de devenir pianiste concertiste.
Ce qui est gênant avec les scientifiques, c’est que le ton solennel et assuré qu’ils emploient n’est pas vraiment rassurant. Parfois on pourrait même croire qu’ils disent l’inverse de ce qu’ils pensent pour calmer les foules. Au cinéma, dans les situations de menace réelle, il y a souvent un scientifique qui, sous le contrôle des autorités, affirme très sérieusement : « Chers concitoyens, vous pouvez rentrer chez vous, plus aucun danger ne pèse sur la ville de Grinwood », alors même que les extraterrestres sont en train de dévorer les derniers membres de l’USAPH, l’Unité spéciale américaine de protection de l’humanité. Dans ces situations-là, les super-héros sont plus honnêtes. En général, quand ils déclarent que tout est rentré dans l’ordre, c’est qu’ils ont endigué la menace et que tout est réellement rentré dans l’ordre.
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