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vendredi 27 décembre 2019

[Forget, Mathilde] A la demande d'un tiers






Coup de coeur đź’“

Titre : A la demande d'un tiers

Auteur : Mathilde FORGET

Année de parution : 2019

Editeur : Grasset

Pages : 162






 

 

Présentation de l'éditeur :

«  La folie n’est pas donnĂ©e Ă  tout le monde. Pourtant j’avais essayĂ© de toutes mes forces.  »

C’est le genre de fille qui ne réussit jamais à pleurer quand on l’attend. Elle est obsédée par Bambi, ce personnage larmoyant qu’elle voudrait tant détester. Et elle éprouve une fascination immodérée pour les requins qu’elle va régulièrement observer à l’aquarium.
Mais la narratrice et la fille avec qui elle veut vieillir ont rompu. Elle a aussi dû faire interner sa sœur Suzanne en hôpital psychiatrique. Définitivement atteinte du syndrome du cœur brisé, elle se décide à en savoir plus sur sa mère, qui s’est suicidée lorsqu’elle et Suzanne étaient encore enfants.

Elle retourne sur les lieux, la plus haute tour du château touristique d’oĂą sa mère s’est jetĂ©e. Elle interroge la famille, les psychiatres. Aucun d’eux ne porte le mĂŞme diagnostic. Quant aux causes  : « Ce n’est pas important de les savoir ces choses-lĂ , vous ne pensez pas ? » Déçue, mĂ©fiante, elle finit par voler des pages du dossier mĂ©dical qu’on a refusĂ© de lui dĂ©livrer.
Peu à peu, en convoquant tour à tour Blade Runner, la Bible ou l’enfance des tueurs en série, en rassemblant des lettres écrites par sa mère et en prenant le thé avec sa grand-mère, elle réussit à reconquérir quelques souvenirs oubliés.
Mais ce ne sont que des bribes. Les traces d’une enquête où il n’y a que des indices, jamais de preuves.

La voix singulière de Mathilde Forget réussit à faire surgir le rire d’un contexte sinistre et émeut par le moyen détourné de situations cocasses. Sur un ton à la fois acide et décalé, elle déboussole, amuse et ébranle le lecteur dans un même élan.



Le mot de l'Ă©diteur sur l'auteur :

Auteure, compositrice et interprète, Mathilde Forget a reçu le Prix Paris jeunes talents en 2014 pour son EP de chanson « Le sentiment et les forĂŞts Â». Elle a suivi un master de crĂ©ation littĂ©raire et publiĂ© des nouvelles dans les revues Jef Klak et Terrain vague. Ă€ la demande d’un tiers est son premier roman.


Avis : 

La narratrice est assaillie par l’angoisse : sa mère a Ă©tĂ© longtemps enfermĂ©e en hĂ´pital psychiatrique avant de se suicider quand ses deux filles Ă©taient enfants. RĂ©cemment, elle a dĂ» se rĂ©soudre Ă  faire interner sa sĹ“ur après une crise de dĂ©lire paranoĂŻaque. Et elle-mĂŞme montre des signes de fragilitĂ© : obsession maniaque de l’ordre, phobie, difficultĂ©s relationnelles… Elle entreprend alors une recherche sur la maladie de sa mère, tentant de percer l’omerta familiale et mĂ©dicale. Exhumer les vieux secrets l’aidera-t-elle Ă  mieux vivre ?

La personnalitĂ© compliquĂ©e de celle qui mène le rĂ©cit jette le trouble dans l’esprit du lecteur qui se prend aussi Ă  douter. Un doute qui va vite devenir le motif en filigrane de ce livre : celui qui inquiète le lecteur quant Ă  la santĂ© psychologique de la narratrice, celui qu’ont toujours eu les mĂ©decins quant Ă  la vĂ©ritable folie de sa mère, celui que n’avaient pas certains membres de la famille qui se sont pourtant tus.

Acide et percutant, le texte frappe par la justesse des dĂ©tails et des ressentis : choisis de façon apparemment dĂ©cousue, ils dessinent un ensemble saisissant de vĂ©racitĂ©, que l’on n'aurait aucune peine Ă  accepter comme biographique. Les courts chapitres ne cessent de prendre le lecteur au dĂ©pourvu, instaurant un rythme qui le happe sans rĂ©pit. Jamais larmoyant, le ton oscille constamment entre Ă©motion et dĂ©rision, faisant naĂ®tre le rire des perpĂ©tuels dĂ©calages du personnage principal et transformant le drame en une tragi-comĂ©die ouverte sur l’espoir.

Ce singulier roman sur l’enfance blessĂ©e et les dĂ©sordres laissĂ©s par la difficile relation Ă  une mère est une rĂ©ussite sur tous les plans : touchant, drĂ´le, terriblement juste, il rĂ©vèle une plume aussi dĂ©licate que percutante et une maĂ®trise de la construction romanesque qui me feront guetter les prochains romans de l’auteur. Coup de coeur. (5/5)


Citations : 

Dans les couloirs, il y a ceux qui parlent tout seuls, ceux qui ne parlent pas et ceux qui parlent tout seuls sans que cela se voie car ils ne sont pas seuls. J’apprécie leur compagnie, avec eux j’ai toujours l’impression d’avoir de la conversation. Impression que je connais peu. Avoir un avis à donner, une chose à dire, me demande un temps si long qu’il fait de moi une personne peu bavarde.

Ranger permet de maĂ®triser au moins un des dĂ©sordres possibles de notre existence. L’expression de tueur en sĂ©rie a Ă©tĂ© inventĂ©e par l’agent du FBI Robert K. Ressler dans les annĂ©es soixante-dix Ă  l’occasion du procès de Ted Bundy. Avant ce procès, c’est l’expression tueur en sĂ©quence qui Ă©tait utilisĂ©e, sĂ©quence signifiant une suite ordonnĂ©e d’opĂ©rations. Je range en sĂ©quence.

La fille avec qui je veux vieillir voulait qu’on habite ensemble. Un jour elle me l’a dit. Moi je préférais que l’on vieillisse ensemble dans deux appartements distincts. Après notre rupture, j’ai tout de suite su où ranger le pull qu’elle avait oublié. Concernant les gens que j’aime, je m’organise mieux avec leur absence.

Ça rassure d’avoir un coupable quand on perd quelqu’un, c’est important d’avoir un visage à détester. Quand une personne se donne la mort, le visage que l’on déteste est aussi celui qui nous manque. (…) L’autre problème avec l’absence de coupable, c’est que tout le monde se sent accusé. Les gens qui se suicident sont un sujet désagréable pour les gens qui ne se suicident pas. Les conversations deviennent des interrogatoires, les souvenirs de potentielles preuves (…)

Le syndrome du cĹ“ur brisĂ©, aussi appelĂ© tako-tsubo, a Ă©tĂ© dĂ©couvert dans les annĂ©es quatre-vingt par des mĂ©decins japonais. Mon cĹ“ur alors avait Ă  peine deux ans. Dans certains cas cette dĂ©faillance cardiaque peut mener au dĂ©cès. Ă€ Zurich, vingt-six scientifiques ont Ă©tudiĂ© les causes de cette maladie. Entre 1998 et 2014 ils ont brisĂ© le cĹ“ur de 1 750 patients volontaires. Quand c’est volontaire c’est moins douloureux. Dans les dĂ©cès liĂ©s Ă  cette maladie, 27 % sont dus Ă  un choc Ă©motionnel. Sous l’effet d’un très grand stress, pour se dĂ©fendre, le cerveau envoie un signal aux glandes surrĂ©nales pour qu’elles libèrent de l’adrĂ©naline. Les petits vaisseaux se contractent et accĂ©lèrent le cĹ“ur. Sous l’effet d’un stress particulièrement important, comme la perte d’un conjoint, il peut arriver que le cĹ“ur se paralyse et arrĂŞte de battre. Parfois, en croyant se protĂ©ger, le cĹ“ur se blesse. Comme si en prĂ©parant sa garde, le boxeur avait vivement reculĂ© sa main trop près de son visage, et s’était ouvert l’arcade sourcilière. Se protĂ©ger, c’est dangereux. Les symptĂ´mes sont pratiquement identiques Ă  ceux d’une crise cardiaque : de violentes douleurs thoraciques suivies d’un essoufflement. Le plus souvent, les mĂ©decins prescrivent aux malades des bĂŞtabloquants qui ont pour effet d’inhiber l’angiotensine II, l’hormone qui augmente la pression artĂ©rielle. Mais l’efficacitĂ© de ce traitement d’appoint reste incertaine. « Il n’existe pas de traitement Ă  long terme Â», regrette Jeremy Pearson, mĂ©decin Ă  la British Heart Foundation. Je regrette avec lui.

Récemment, à l’université britannique d’Aberdeen, des médecins ont mené une nouvelle étude qui valide l’hypothèse que le cœur est réellement touché lors d’un chagrin d’amour. Des petites cicatrices sont visibles sur le muscle et le système de pompe est affecté de manière permanente. Au moment du choc, le ventricule gauche se gonfle sans jamais retrouver sa forme initiale.

Le tako-tsubo touche environ 3 000 individus par an au Royaume-Uni, prĂ©cise l’étude. Les cĹ“urs se brisent diffĂ©remment selon les pays. Dana Dawson, la seule femme nommĂ©e dans cette grande enquĂŞte sur le cĹ“ur, dĂ©clare que les personnes souffrant du cĹ“ur brisĂ© peuvent se rĂ©tablir sans intervention mĂ©dicale, avant d’ajouter : « Nous avons montrĂ© que cette maladie provoque des dommages irrĂ©parables. C’est une maladie dĂ©vastatrice qui peut frapper des personnes d’ordinaire en bonne santĂ©. Â»

J’ai pensé que la folie de ma mère n’était rien d’autre que des instants où elle refusait le silence imposé par son histoire. Délirer, c’était résister. J’ai pensé que les fous sont des résistants méprisés.

Glenn Gould passait plus de temps Ă  travailler ses morceaux en lisant la partition qu’en la jouant. Il pouvait rester des jours entiers sans toucher son piano, Ă  Ă©tudier chaque note. Depuis, Pauline travaille essentiellement son piano sur son bureau. « Il faut avoir la sensation que chaque partie de ton corps a choisi, dĂ©sirĂ©, attendu les moindres dĂ©tails de la partition. Rien en toi, rien physiquement ne doit rĂ©sister Ă  la partition, comme si le noir de l’encre pouvait disparaĂ®tre sans te mettre en danger. Il faut donner l’impression d’improviser quelque chose que tu connais au millimètre près. Â»

Schumann avait inventé une machine, la Cigarrenmechanik, qui lui permettait d’immobiliser son annulaire droit pendant les exercices pour travailler sa dextérité, mais au lieu d’améliorer sa souplesse, son annulaire fut définitivement paralysé, ce qui l’empêcha par la suite de devenir pianiste concertiste.

Ce qui est gĂŞnant avec les scientifiques, c’est que le ton solennel et assurĂ© qu’ils emploient n’est pas vraiment rassurant. Parfois on pourrait mĂŞme croire qu’ils disent l’inverse de ce qu’ils pensent pour calmer les foules. Au cinĂ©ma, dans les situations de menace rĂ©elle, il y a souvent un scientifique qui, sous le contrĂ´le des autoritĂ©s, affirme très sĂ©rieusement : « Chers concitoyens, vous pouvez rentrer chez vous, plus aucun danger ne pèse sur la ville de Grinwood Â», alors mĂŞme que les extraterrestres sont en train de dĂ©vorer les derniers membres de l’USAPH, l’UnitĂ© spĂ©ciale amĂ©ricaine de protection de l’humanitĂ©. Dans ces situations-lĂ , les super-hĂ©ros sont plus honnĂŞtes. En gĂ©nĂ©ral, quand ils dĂ©clarent que tout est rentrĂ© dans l’ordre, c’est qu’ils ont endiguĂ© la menace et que tout est rĂ©ellement rentrĂ© dans l’ordre.


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