J'ai beaucoup aimé
Titre : La tentation
Auteur : Luc LANG
Editeur : Stock
Année de parution : 2019
Pages : 360
Présentation de l'éditeur :
C’est l’histoire d’un monde qui bascule. Le vieux monde qui s’embrase,
le nouveau qui surgit. Toujours la même histoire… et pourtant. François,
chirurgien, la cinquantaine, aime chasser. Il aime la traque, et même
s’il ne se l’avoue pas, le pouvoir de tuer. Au moment où il va abattre
un cerf magnifique, il hésite et le blesse. À l’instant où il devrait
l’achever, il le hisse sur son pick-up, le répare, le sauve. Quel
sentiment de toute-puissance venu du fond des âges l’envahit ? Quand la
porte du relais de chasse en montagne s’ouvre sur ses enfants, que
peut-il leur transmettre ? Une passion, des biens, mais en veulent-ils
seulement ? Son fils, banquier, a l’avidité du fauve. Sa fille,
amoureuse éperdue, n’est plus qu’une bête traquée. Ce sont désormais des
adultes à l’instinct assassin. Qui va trahir qui ? Luc Lang a écrit ici
son histoire familiale de la violence. Son héros croit encore à la
pureté. Cet ample roman nous raconte superbement sa chute et sa
rédemption.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Luc Lang est l’auteur de onze romans, dont Mille six cent ventres, prix
Goncourt des lycéens, La Fin des paysages, Mother et Au commencement du
septième jour.
Avis :
Chirurgien à Lyon et passionné de chasse, François, la cinquantaine, passe tout son temps libre à traquer et à tirer le gros gibier autour de sa résidence secondaire, isolée à l’écart de la commune de Lanslebourg, en Savoie. Par un jour neigeux de Novembre, son quotidien bascule brutalement : alors que s’impose intolérablement à son esprit l’abîme d’incompréhension creusé au fil du temps entre lui, son épouse de plus en plus absorbée par ses crises mystiques et ses retraites monacales, son fils qui mène grand train du haut de sa réussite dans la finance, et sa fille éperdument amoureuse d’un drôle de type aux affaires pas bien nettes, il en perd même l’envie d’ajouter à sa collection de trophées le grand cerf qu’il traquait depuis quelque temps. Encore est-il loin de se douter qu’il ne se trouve qu’aux prémices d’un véritable tsunami dans son existence et dans celle des siens…
L’histoire prend son temps pour laisser appréhender peu à peu par le lecteur le terreau des malentendus qui s’est accumulé dans cette famille depuis des décennies, un insidieux pourrissement amorcé il y a bien longtemps qui pourrait bien s’avérer une véritable bombe à retardement. Jusqu’ici plein de certitudes et fort de sa toute-puissance, lui qui partage son existence à sauver ou à prendre la vie d’autres êtres vivants, François doit bien s’avouer que le monde lui échappe et que ses enfants lui sont devenus étrangers. Bientôt, le doute et le désarroi vont laisser la place à une soudaine accélération et au rythme palpitant d’une tragédie cauchemardesque.
L’écriture est précise, voire experte quand elle aborde la chasse, la taxidermie ou la chirurgie. Elle réserve de beaux passages sur le cocon de nature en noir et blanc qui enserre l’intrigue jusqu’à l’étouffement, tandis que le mode narratif, souvent constitué des seuls dialogues, sans commentaires et avec leurs blancs, tels la restitution d’un enregistrement audio, donne aux personnages une profondeur et un réalisme réussis. Le texte revient parfois audacieusement sur les mêmes passages, les faisant redécouvrir à la lumière des réflexions survenues entre temps dans la tête de François comme dans celle du lecteur, renforçant encore l’impression d’originalité déjà générée.
Curieusement aussi méditatif que haletant, ce noir polar sur fond de paysages glacés livre un implacable tableau familial, aux personnages désespérément englués dans un attachement délétère et mortifère. (4/5)
Il écoute la forêt, aucun craquement de bois brisé, aucun froissement de feuilles piétinées, c’est un silence d’avant les hommes, baigné d’une ombre laineuse qui tisse ensemble l’ossature des arbres et tend l’obscurité. Une encre épaisse suppure dans les replis du sol (…).
Des paroles blessantes avaient été échangées, certaines cruelles… de cette cruauté exacte et mortelle qui ne s’élabore qu’au sein des familles, édifiant entre eux un mur de verre.
Le manteau neigeux se ternit, se disloque, des plaques épidémiques de terre marronnasse et d’herbe jaune s’élargissent, s’étendent, la frondaison nue des arbres laisse apparaître des squelettes charbonneux aux chevelures crépues, le gris cendreux monte dans l’hiver du décor, ça devient un goût dans la bouche. La route continue sa descente vers l’extinction des couleurs. Le fond de vallée industrielle s’impose au détour d’un virage, la lumière s’engloutit dans un écheveau de bitume et de voies ferrées, dans la matité du béton, la poussière, les fumées. Lorsque François quitte la splendeur des hauts plateaux et des contreforts montagneux, sa stupeur est intacte. L’hiver devient une pluie gluante, la route celle d’une lente submersion dans une fosse à vidange.
L’entrée dans le monde adulte, François l’a noté, est si résolue qu’elle signe chaque fois, sans le trouble d’une hésitation, la diaspora des enfants. Ils ont pourtant partagé les jeux et les rêves, les liens semblaient scellés pour l’éternité, mais rien ne résiste à l’euphorie du sacrement, devenir adulte, devenir, croit-on, libre et puissant, du moins le temps de se cogner aux limites des possibles, faisant alors remonter l’enfance en chacun comme un désir éperdu des confins où se vivaient pour de vrai les odyssées les plus folles.
L’histoire prend son temps pour laisser appréhender peu à peu par le lecteur le terreau des malentendus qui s’est accumulé dans cette famille depuis des décennies, un insidieux pourrissement amorcé il y a bien longtemps qui pourrait bien s’avérer une véritable bombe à retardement. Jusqu’ici plein de certitudes et fort de sa toute-puissance, lui qui partage son existence à sauver ou à prendre la vie d’autres êtres vivants, François doit bien s’avouer que le monde lui échappe et que ses enfants lui sont devenus étrangers. Bientôt, le doute et le désarroi vont laisser la place à une soudaine accélération et au rythme palpitant d’une tragédie cauchemardesque.
L’écriture est précise, voire experte quand elle aborde la chasse, la taxidermie ou la chirurgie. Elle réserve de beaux passages sur le cocon de nature en noir et blanc qui enserre l’intrigue jusqu’à l’étouffement, tandis que le mode narratif, souvent constitué des seuls dialogues, sans commentaires et avec leurs blancs, tels la restitution d’un enregistrement audio, donne aux personnages une profondeur et un réalisme réussis. Le texte revient parfois audacieusement sur les mêmes passages, les faisant redécouvrir à la lumière des réflexions survenues entre temps dans la tête de François comme dans celle du lecteur, renforçant encore l’impression d’originalité déjà générée.
Curieusement aussi méditatif que haletant, ce noir polar sur fond de paysages glacés livre un implacable tableau familial, aux personnages désespérément englués dans un attachement délétère et mortifère. (4/5)
Citations :
Des paroles blessantes avaient été échangées, certaines cruelles… de cette cruauté exacte et mortelle qui ne s’élabore qu’au sein des familles, édifiant entre eux un mur de verre.
Le manteau neigeux se ternit, se disloque, des plaques épidémiques de terre marronnasse et d’herbe jaune s’élargissent, s’étendent, la frondaison nue des arbres laisse apparaître des squelettes charbonneux aux chevelures crépues, le gris cendreux monte dans l’hiver du décor, ça devient un goût dans la bouche. La route continue sa descente vers l’extinction des couleurs. Le fond de vallée industrielle s’impose au détour d’un virage, la lumière s’engloutit dans un écheveau de bitume et de voies ferrées, dans la matité du béton, la poussière, les fumées. Lorsque François quitte la splendeur des hauts plateaux et des contreforts montagneux, sa stupeur est intacte. L’hiver devient une pluie gluante, la route celle d’une lente submersion dans une fosse à vidange.
L’entrée dans le monde adulte, François l’a noté, est si résolue qu’elle signe chaque fois, sans le trouble d’une hésitation, la diaspora des enfants. Ils ont pourtant partagé les jeux et les rêves, les liens semblaient scellés pour l’éternité, mais rien ne résiste à l’euphorie du sacrement, devenir adulte, devenir, croit-on, libre et puissant, du moins le temps de se cogner aux limites des possibles, faisant alors remonter l’enfance en chacun comme un désir éperdu des confins où se vivaient pour de vrai les odyssées les plus folles.
Comme tous les romans précédents de Luc Lang, j'ai adoré.
RépondreSupprimerSon style est brut, précis, sans trop de détails.
Il s'en dégage une force. C'est bien le mot lorsqu'il s'occupe du cerf blessé et plus tard de l'ami de sa fille.
J'aime ses obsessions également : la voiture occupe une place prépondérante dans ses romans.
Un déjà très grand écrivain, pour moi !
En effet Harry, nul doute que je lirai moi aussi d'autres romans de Luc Lang !
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