Coup de coeur 💓
Titre : Roman fleuve
Auteur : Philibert HUMM
Parution : 2022 (Equateurs)
Pages : 288
Présentation de l'éditeur :
Ce périple, les trois jeunes gens l’ont entrepris au mépris du danger,
au péril de leur vie, et malgré les supplications de leurs fiancées
respectives. Ils l’ont fait pour le rayonnement de la France, le progrès
de la science et aussi un peu pour passer le temps.
Il en résulte un roman d’aventure avec de l’action à l’intérieur et aussi des temps calmes et du passé simple. Ceci est une expérience de lecture immersive. Hormis deux ou trois passages inquiétants, le suspense y est supportable et l’œuvre reste accessible au public poitrinaire. A noter la présence de nombreux adverbes.
L’éditeur ne saurait être tenu responsable des mauvaises idées que ce livre ne manquera pas d’instiller dans le cerveau vicié des nouvelles générations gavées d’écran et pourries à la moelle.
Il en résulte un roman d’aventure avec de l’action à l’intérieur et aussi des temps calmes et du passé simple. Ceci est une expérience de lecture immersive. Hormis deux ou trois passages inquiétants, le suspense y est supportable et l’œuvre reste accessible au public poitrinaire. A noter la présence de nombreux adverbes.
L’éditeur ne saurait être tenu responsable des mauvaises idées que ce livre ne manquera pas d’instiller dans le cerveau vicié des nouvelles générations gavées d’écran et pourries à la moelle.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Philibert Humm, journaliste et écrivain est notamment l'auteur aux Equateurs du Tour de France par deux enfants d’aujourd’hui.Avis :
Qui ne se souvient du désormais classique Trois hommes dans un bateau, où, il y a plus d’un siècle, Jerome K. Jerome emmenait les doubles littéraires de deux de ses amis dans une descente de la Tamise parsemée d’anecdotes comiques et de réflexions philosophiques sur le cours de l’existence ? En hommage appuyé à son devancier, Philibert Humm s’autoproclame capitaine d’un frêle esquif rebaptisé Bateau, et, pomponné d’un bachi de matelot, se lance à l‘été 2018 sur le cours de la Seine, de Paris à la mer, pour d’authentiques et savoureuses pseudo-aventures, pleines d’humour et d’auto-dérision, en compagnie de deux copains, Samuel Adrian et François Waquet, respectivement promulgués pour l’occasion quartier-maître écopier et major de l’expédition.« La pratique du canotage présente un inconvénient majeur : il est nécessaire de ramer pour avancer. » Optimistes et débrouillards, les trois compères ont bien bricolé une voile de fortune. Mais, entre leur maladresse, l’indocilité du vent et la précarité de leur matériel, il leur faudra huit jours de rame pour parcourir les 360 kilomètres jusqu’à la mer, un effort ridiculisé par la vitesse de la route et du rail qu’ils ne cessent de croiser sous la forme d’imposantes œuvres d’art plantées au milieu des détritus : viaducs ferroviaires et ponts autoroutiers. « Nous avions ramé la journée durant et n’étions qu’à neuf stations de la place de l’Étoile. » N’importe, la bonne humeur règne, et, nonobstant une ou deux prises de bec et quelques frayeurs dans les remous de péniches et les écluses, quand survient un orage ou lorsque Bateau chavire, le trio trace sa route entre les bivouacs à la belle étoile – même si souvent parmi les immondices -, et les rencontres inattendues ou programmées, comme ce pique-nique avec la famille Tesson sur l’île de Chatou.
Maniant fort bien la langue française, ses figures de style et son imparfait du subjonctif, l’auteur, faussement léger et très pince-sans-rire, profite des temps calmes de la navigation pour des « ventilations narratives », explorant très pittoresquement, voire même poétiquement, les lieux échelonnés tout au long de la Seine, et convoquant, l’air de rien, maintes références rares et érudites. Toujours drôle et railleur, le reportage de voyage devient jubilatoire lorsqu'avec le plus complet cynisme, l’auteur caricature son propre personnage dans un rôle de meneur autoritaire, arrogant et mesquin - « Je suis assez insensible aux grandes douleurs humaines, celles des autres en particulier » -, et lui fait endosser des réflexions amères, parfois très peu politiquement correctes : « La démocratie est une affaire trop sérieuse pour qu’on laisse s’en mêler n’importe qui. Ce qui met à mal ce régime, c’est qu’il s’adresse aux médiocres, à cause du nombre. (…) La loi du nombre mène immanquablement à la paresse et la ruine. »
L’on s’amuse de bon coeur au long de ce texte entièrement au second degré, dont l’esprit et l’humour ne déparent pas celui de son modèle anglo-saxon : une friandise que la qualité d’écriture et l’érudition de son auteur rendent franchement gastronomique. Coup de coeur. (5/5)
Citations :
Au cours de notre quatrième et dernière réunion, j’avertis mes hommes que je serais leur capitaine. Aussi bien j’aurais pu me nommer amiral ou lieutenant de vaisseau, mais nous possédions un canot et je ne voulais pas risquer de sombrer dans le ridicule. En outre, l’abus de galons dessert l’autorité. Mieux vaut demeurer au plus proche de ses hommes et s’en tenir à une ou deux barrettes supplémentaires. Un conseil : ne jamais porter d’épaulettes quand on n’a pas les épaules.
Les aventuriers ne font généralement pas grand cas du souci de leurs parents. La désobéissance est le premier jalon de l’aventure et l’aventurier ne va pas plus loin que la haie du jardin s’il obéit à sa maman. D’ailleurs aucun aventurier ne parle jamais de sa maman. On dirait qu’ils sont tous orphelins. Mon œil ! Les aventuriers ont des mamans, eux aussi, et qui se font du mouron. Combien de litres de sang d’encre ont dû se faire les mamans de Magellan, Marco Polo ou Mike Horn ? De quoi transfuser l’armée russe à mon avis. C’est pourquoi je me fis ce serment : à défaut d’être un bon fils, je serais comme un père pour mes hommes. « Vas-tu te grouiller un peu oui ou merde ? » demanda le major qui tenait la voile à bout de bras pour que j’y fixe l’antenne de notre mât. « L’ingratitude la plus commune et la plus ancienne est celle des enfants envers leurs pères », dit l’aphoriste Vauvenargues.
La réalité dépasse la fiction pour une raison simple : la fiction doit rester vraisemblable. La réalité, elle, n’y est pas tenue.
Bobby, donc, avait vu couler son bob à Mantes. Il l’avait remplacé par une casquette de cycliste. À un été de là, l’écopier s’était en effet trouvé livreur coursier à Paris. Huit semaines durant, il avait sillonné la capitale à vélo pour le compte de la société belge Take it Easy (« Allez-y doucement », en français). Il n’en avait pas tiré de revenu substantiel mais avait conservé par-devers lui cette gapette, semblable à celles que portaient autrefois les coureurs du Tour de France. Les gapettes de cycliste sont reconnaissables par leur petite visière en croissant de lune qui donne automatiquement l’air idiot à qui la porte et n’est pas Eddy Merckx. Bobby ne quittait plus la sienne. J’observai qu’il en orientait la visière suivant la course du soleil : à peine avait-il un rayon dans l’œil, à peine décalait-il la gapette de quelques degrés, et cela toute la sainte journée. De sorte qu’un bon observateur aurait pu déterminer l’heure d’un seul coup d’œil à la casquette de Bobby. Le regardant, je vis qu’il était 15 heures ; 15 h 30 en réalité. Bobby retardait un peu.
Je repensai au combat perdu contre le silure. Ces bêtes étaient redoutables. L’an passé, avait dit un client des Tilleuls, aux environs de Saint-Dizier (Haute-Marne), un silure avait gobé un poulain. « Vous pouvez vérifier, c’est allé dans les journaux. » « Plaisanterie ! » avait répliqué Bertrand. « D’accord les silures sont agressifs quand ils couvent leurs œufs mais ils ne s’attaquent pas à plus gros. » L’autre insistait. Il disait qu’à Albi, dans le Tarn, les silures avaient décimé la population de pigeons. « De pigeons ? » s’était étonné Bobby. Oui de pigeons. Car pour ce qui les concerne, les pigeons d’Albi vont se désaltérer sur les rives du Tarn, en un endroit où le fond est si faible, voire inexistant, qu’on ne peut d’aucune manière imaginer tapis là des silures. C’est le cas pourtant. Dans vingt centimètres d’eau, parfois moins, les silures attendent leur proie, immobiles. Quand le pigeon s’aventure un peu trop près de la gueule du monstre, soudain le silure jaillit, saisit l’oiseau à l’aile et le coule par le fond dans l’abominable dessein de le dévorer. Une équipe de télévision a capturé cette scène invraisemblable et de courts extraits se trouvent sans mal sur Internet. J’invite le lecteur à les visionner.
À mesure que Rouen approchait, le temps se gâtait. D’après mon expérience, il pleut continuellement à Rouen. L’autre jour encore, un Rouennais humide a tenté de me convaincre du contraire mais les statistiques officielles le détrompent : 805 millimètres de précipitations annuelles à Rouen contre 700 de moyenne pour le reste du territoire. On me dira que le différentiel n’est pas si grand et on aura tort : ces 105 millimètres sont précisément ceux qui font déborder le vase. Aussi, ai-je remarqué, à Rouen les précipitations ne se précipitent pas. Elles prennent leur temps pour vous tomber dans le col en grosses gouttes molles, imbiber votre loden et vous détremper jusqu’aux os. Rien ne sert à Rouen d’attendre sous un abribus le temps que ça passe. Ça ne passe pas. L’autobus non plus, d’ailleurs. Je ne m’étendrai pas sur la médiocrité des transports urbains de l’agglomération rouennaise qui ne respectent jamais les horaires affichés sur les panonceaux pourtant prévus à cet effet et se dispensent d’attendre quand ils passent en avance, parce que j’aurais l’air de tirer sur l’ambulance. Ce n’est pas mon intention. Je n’ai rien contre les Rouennais ni contre leur ville que je connais assez mal pour n’y avoir séjourné qu’une seule fois, en famille, à l’occasion du mariage d’un cousin. Il pleuvait, le bus n’est jamais venu et nous avons manqué la noce.
Un formulaire de décharge de vie est un document signé par deux parties dans lequel la partie A ou « Renonciateur » libère l’autre partie – partie B ou « Renonciataire » – de toute responsabilité quant à l’interruption prématurée de son existence. Simplement dit, B promet à A de ne pas en vouloir à A si B décède. Je me reconnais assez en B. Comme lui, j’ai toujours vécu « à mes risques et périls », selon la formule consacrée. On trouvait autrefois des panneaux « À vos risques et périls » devant les ravins ou au commencement des sentiers dangereux. C’était l’époque où l’on croyait l’homme intelligent et responsable. De nos jours, l’homme est présumé con comme une truffe et procédurier. Non content de prendre des risques il poursuit celui qui l’a laissé les encourir. C’est pourquoi il est spécifié sur les bidons d’eau de Javel, par exemple, de ne pas s’en servir pour étancher la soif. L’eau de Javel ne saurait désaltérer quiconque et surtout pas les enfants ou les femmes enceintes. De même, il est déconseillé d’en avaler le bouchon. Ainsi le fabricant se prémunit-il de toute action en justice.
Quand donc les gens avaient-ils commencé d’attacher un tel prix à la vie, à la retraite, à la sécurité sociale ? Quand donc étaient-ils devenus gagne-petit ? À quelle époque avaient-ils cessé de prendre des risques et de mettre leur vie en jeu pour un rien ? La roulette russe n’est plus aujourd’hui considérée comme un passe-temps honnête. Les gens sont prêts à tout pour vivre vieux. Si on leur proposait de respirer toute leur vie par un tuba pour gagner quinze jours, ils s’y emploieraient.
Un proverbe breton décrit ainsi les marins : « Loups à terre, chiens en mer. » Cela se comprend. Les grandes gueules ont la queue basse quand vient le mauvais temps.
Nous ne prîmes pas de photo, ne partageâmes aucun contenu ni ne fîmes la moindre story susceptible d’être likée, commentée puis relayée. Le décor s’y prêtait pourtant. « Être heureux seul n’est pas à la portée de tout le monde, soliloqua Bobby. C’est pourquoi tant de gens exhibent leurs instants de bonheur. Ils ne peuvent jouir que si on les envie. »
Un panneau d’information m’apprit qu’un certain Philibert, « pieux cénobite et fin abbé », avait fondé l’abbaye de Jumièges. J’en conçus une certaine fierté. C’est vrai, les Philibert célèbres ne courent pas les rues de nos jours. On peut penser que ça n’ira pas en s’arrangeant. En France, où ils vivent pour la plupart, l’âge moyen des Philibert est de 69 ans. Ainsi deux Philibert sur trois souffrent de la prostate. Si cette dynamique ne s’inverse pas rapidement, il se pourrait que nous disparaissions de la surface du globe d’ici à trente ou quarante ans, avant même la calotte polaire ou le panda roux. Évidemment, personne n’en parle.
La mer basse déshabillait les berges hautes. Villequier semblait avoir ôté ses bas. Il bruinait. Nous nous échouâmes au pied du perré. L’épaisse couche de marne avait la consistance d’une gencive de nonagénaire. On s’enfonça dans cette mélasse jusqu’aux genoux.
On le sait maintenant, seul un brusque coup de vent avait scellé le destin de Léopoldine. En villégiature avec Juliette Drouet du côté de La Rochelle, Victor Hugo avait pris connaissance de l’événement cinq jours plus tard, en ouvrant le journal. Profondément meurtri, il en avait composé d’innombrables quatrains. C’est cela le génie : transmuer la peine en chef-d’œuvre comme d’autres changent le plomb en or et le vent en cryptomonnaie. À la question de savoir quel est le plus grand écrivain français, Gide répondait : « Hugo, hélas. » Et Jules Renard observait dans son Journal : « Victor Hugo est si grand qu’on ne s’aperçoit pas qu’il s’appelle ridiculement Victor, comme vous et moi. »
On se gargarisait d’avoir vu du pays mais n’étaient-ce pas les paysages en définitive qui avaient défilé devant notre barque immobile ? Les choses vont et viennent, de même que celui qui s’assied toute une vie au bord de la rivière en voit davantage que celui qui la suit. « Si quelqu’un t’a offensé, dit Lao Tseu à ce propos, ne cherche pas à te venger. Assieds-toi au bord de la rivière et bientôt tu verras passer son cadavre. »
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