mercredi 12 janvier 2022

[Ventura, Maud] Mon mari

 

 

 

 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Mon mari

Auteur : Maud VENTURA

Parution : 2021 (L'Iconoclaste)

Pages : 355

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Un premier roman drôle et féroce sur le face-à-face conjugal.
C’est une femme toujours amoureuse de son mari après quinze ans de vie commune. Ils forment un parfait couple de quadragénaires : deux enfants, une grande maison, la réussite sociale. Mais sous cet apparent bonheur conjugal, elle nourrit une passion exclusive à son égard. Cette beauté froide est le feu sous la glace. Lui semble se satisfaire d’une relation apaisée : ses baisers sont rapides, et le corps nu de sa femme ne l’émeut plus. Pour se prouver que son mari ne l’aime plus – ou pas assez – cette épouse se met à épier chacun de ses gestes comme autant de signes de désamour. Du lundi au dimanche, elle note méthodiquement ses « fautes », les peines à lui infliger, les pièges à lui tendre, elle le trompe pour le tester. Face aux autres femmes qui lui semblent toujours plus belles, il lui faut être la plus soignée, la plus parfaite, la plus désirable.

On rit, on s’effraie, on se projette et l’on ne sait sur quoi va déboucher ce face-à-face conjugal tant la tension monte à chaque page. Un premier roman extrêmement original et dérangeant.

  

Un mot sur l'auteur : 

Maud Ventura a vingt-huit ans et vit à Paris. Normalienne et diplômée d’HEC, elle rejoint France Inter juste après ses études. Elle est aujourd’hui rédactrice en chef des podcasts dans un grand groupe de radios, NRJ. Elle ne cesse d’explorer la complexité du sentiment amoureux dans son podcast Lalala et dans son premier roman Mon mari.

 

 

Avis :

En apparence, tout lui sourit : quinze ans de mariage, deux enfants, une vie confortable et un métier qui lui plaît. Pourtant, la narratrice n’est pas heureuse. Son amour toujours passionné pour son mari ne rencontre plus en retour qu’un attachement tiède et distrait. Tandis qu’elle s’astreint à la perfection dans la peur qu’une autre femme, plus belle, plus séduisante, ne finisse par l’éclipser, elle en vient à tenir la comptabilité précise de ses manquements à son égard, des peines qu’il lui inflige, des ruses pour le confondre autant que pour se l’attacher. La tension du récit ne cesse de croître. Comment cela finira-t-il ?

Si la situation des personnages paraît au départ tout à fait ordinaire, le lecteur s’aperçoit rapidement que quelque chose n’y tourne pas rond. Cette femme active contemporaine, à laquelle on pourrait à première vue facilement s'identifier, est en réalité obsédée par son mari et la peur de le perdre, sans que rien de concret paraisse justifier sa hantise. Peu à peu, se révèle un tempérament, plutôt risible au départ, mais en vérité de plus en plus inquiétant, au fur et à mesure qu’il semble multiplier les signes d’une possessivité maladive et d’une paranoïa injustifiée. C’est avec un malaise grandissant que l’on observe son égocentrisme prendre un tour dérangeant, lorsqu’il en vient à lui rendre ses enfants tout à fait secondaires. Et l’étrange spirale qui la conduit à tenir une maniaque et vengeresse comptabilité de ses griefs, en même temps qu’elle la pousse à endosser de manière calculatrice le rôle d’une femme artificiellement irrésistible, crée une tension anxieuse quant à la manière dont cette histoire de dépendance et de manipulation va bien pouvoir se terminer. L’épilogue sera d'ailleurs à la hauteur, et la surprise au rendez-vous…

Ce premier roman, qui, sur un ton joyeusement acidulé, réussit à nous dévoiler les ressorts psychologiques d’un couple aux névroses insoupçonnables sous ses dehors bien sous tous rapports, est une lecture originale, que son machiavélisme consommé, sous ses airs de ne pas y toucher, rend fascinante. (3,5/5)

 

Citations :

J’envie les amours interdites, les passions transgressives que l’on ne peut pas vivre au grand jour. J’envie encore plus l’amour quand il n’est pas ou plus partagé, quand le cœur bat à sens unique, sans cœur qui bat de l’autre côté. J’envie les veuves, les maîtresses et les femmes abandonnées, car je vis depuis quinze ans dans le malheur permanent et paradoxal d’être aimée en retour, de connaître une passion sans obstacle apparent.

J’ai lu L’Amant pour la première fois quand j’avais quinze ans et demi.
(…) une phrase m’est toujours restée, elle se termine ainsi : « Je n’ai jamais rien fait qu’attendre devant la porte fermée. »
(...) Des années plus tard, j’ai su que cette phrase n’appartenait pas à mon passé mais à mon futur. Elle n’était pas une réminiscence, mais un programme : « Je n’ai jamais rien fait qu’attendre devant la porte fermée. »

On m’a déjà demandé si mon travail en tant que traductrice m’avait donné envie d’écrire à mon tour. La réponse a toujours été la même : je ne me sens pas autrice. Quand je traduis, je ne suis qu’une interprète, et cet état de fait me convient parfaitement. Je n’ai rien à inventer, et cela tombe bien parce que je n’ai pas beaucoup d’imagination. Je préfère observer, analyser, déduire ; décortiquer un texte, en dévoiler les sous-entendus, en découvrir le ton implicite – être aux aguets, telle une enquêtrice à la recherche d’indices cachés. En plus, je repense souvent à Marguerite Duras : « Je n’ai jamais écrit, croyant le faire. » La suite de ma citation préférée contenait depuis toujours cet avertissement : attention, ne pense pas que tu écris, tu traduis.

Objectivement, je suis plus belle que Louise. Je détaille ses défauts d’un regard : je suis plus grande et plus mince qu’elle, mes traits sont plus fins. Quand elle se déplace avec grâce à travers son grand appartement immaculé et que sa robe flotte à chacun de ses mouvements, oui, on pourrait penser que Louise est belle. Mais si on s’approche pour la regarder plus attentivement, on remarque assez vite que son visage n’est pas si gracieux (son nez, surtout) et qu’elle a quelques kilos en trop (c’était déjà le cas avant et sa grossesse n’a rien arrangé). Sa beauté apparente ne résisterait pas à une tenue moins sophistiquée et à un appartement en banlieue à la décoration douteuse. Louise n’est pas vraiment belle : elle paie pour être jolie.
 
Le cas est triste, pourtant je ne l’ai jamais trouvé tragique. Phèdre connaît l’objet de sa tristesse : elle aime d’un amour interdit et incestueux sans être aimée en retour. (…) Phèdre n’est pas aimée et peut pleurer tranquillement sa peine.
Si je pouvais lui parler, je dirais à Phèdre qu’il est plus douloureux encore d’aimer celui qu’on possède déjà. Moi, je n’ai aucune raison d’être triste. Si je devais expliquer à un passant pourquoi je pleure, qu’est-ce que je pourrais lui dire ? Que je suis dévastée parce que mon mari pense que je suis une clémentine ? Que je m’effondre parce qu’il a pris les lasagnes ? Que je suis en pleurs parce qu’il a laissé un pourboire important ? Au fond, je sais que mes larmes n’ont aucune raison d’être. Celles de Phèdre sont limpides comme du cristal, les miennes sont monstrueuses.
Malgré nos différences, nous nous rejoignons au moins sur une chose avec Phèdre : notre refus de l’amour. Toutes les deux, nous aurions préféré ne pas aimer. Nous subissons les conséquences d’un amour trop intense et inapproprié. Aucune complaisance à être une femme amoureuse. Aucune autosatisfaction à vivre une telle passion. Aucune indulgence envers moi-même quand je me mets dans un tel état.
J’aime. Ne pense pas qu’au moment que je t’aime,
Innocente à mes yeux, je m’approuve moi-même.


Depuis que j’ai rencontré mon mari, mes parents, mes sœurs, mes collègues n’ont cessé de commenter mon bonheur. Ils l’affirment tous avec assurance : « Tu en as de la chance ». On me dit que j’ai de la chance comme si j’avais gagné mon mari au loto. On se comporte avec moi comme si j’avais déjoué les statistiques et les probabilités en l’épousant. En d’autres termes, on suggère qu’il aurait pu trouver mieux.

« C’est vraiment n’importe quoi en ce moment. Il fait un temps de mois de mars alors qu’on est déjà début juin » : je ne peux pas accepter que mon mari me parle météo. Je ne peux pas accepter que nous n’ayons plus rien à nous dire. Pas après tous mes efforts pour maintenir entre nous des conversations stimulantes et variées.
« C’est vraiment n’importe quoi en ce moment. Il fait un temps de mois de mars alors qu’on est déjà début juin » : j’en ai aujourd’hui la preuve. Nous étions une fusée en direction de l’espace, notre amour échappait à l’attraction terrestre. Nous ressemblons désormais à un train de marchandises, lent, lourd et monotone.
 
J’avais peur que mon mari ne meure d’envie de divorcer, mais qu’il n’ait pas le courage de passer à l’acte. Plus le temps passait et moins sa présence dans notre lit chaque soir me garantissait qu’il avait vraiment envie d’être là. Je savais que notre mariage, nos deux enfants et notre maison le maintenaient de force auprès de moi. Paradoxalement, j’étais plus rassurée quand nous venions tout juste de nous rencontrer. Son amour pour moi était alors plus pur car rien ne le retenait à mes côtés. Aujourd’hui, je voudrais le crier partout autour de moi, le dire à toutes les femmes qui attendent le mariage comme ultime preuve d’amour : le mariage ne garantit rien, sinon qu’il ne vous avouera pas vous avoir trompée avec une collègue car il aurait alors trop à perdre. Je ne parle même pas d’avoir des enfants avec l’homme qu’on aime : le voilà retenu à vous pendant des années sans désir.

Quand on a un amoureux à l’école primaire, tout peut se jouer le temps d’une récréation. Au collège c’est une semaine : le lundi on est ensemble, et après le dernier cours du vendredi c’est terminé. Au lycée, c’est peut-être un mois ou deux : on tombe amoureux en septembre, tout est fini à la Toussaint. Voilà déjà les délais de la rupture qui s’allongent. Pendant la vingtaine, la séparation peut prendre une année entière ; mais pourvu que l’un des deux manque de courage, et c’est deux années de plus au compteur. À partir de quarante ans, on met au moins dix ans à se séparer. Dix ans entre le moment où l’on constate que ça ne fonctionne plus et le moment où l’on se décide à partir.


 

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