J'ai aimé
Titre : 1793
Auteur : Niklas NATT OCH DAG
Traduction : Rémi CASSAIGNE
Parution : en suédois en 2017,
en français en 2019 (Sonatine)
Pages : 448
Présentation de l'éditeur :
1793. Le vent de la Révolution française souffle
sur les monarchies du nord. Un an après la mort du roi Gustav III de
Suède, la tension est palpable. Rumeurs de conspirations, paranoïa, le
pays est en effervescence. C’est dans cette atmosphère irrespirable que
Jean Michael Cardell, un vétéran de la guerre russo-suédoise, découvre
dans un lac de Stockholm le corps mutilé d’un inconnu. L’enquête est
confiée à Cecil Winge, un homme de loi tuberculeux. Celui-ci va bientôt
devoir affronter le mal et la corruption qui règnent à tous les échelons
de la société suédoise, pour mettre au jour une sombre et terrible
réalité.
Puissant, noir et fiévreux, 1793 évoque les univers de James Ellroy, de Tim Willocks et d’Umberto Eco. En tête des ventes dès sa sortie en Suède, célébré par une critique dithyrambique dans plus de trente pays, c’est un coup de maître. On n’a pas fini d’en entendre parler.
Puissant, noir et fiévreux, 1793 évoque les univers de James Ellroy, de Tim Willocks et d’Umberto Eco. En tête des ventes dès sa sortie en Suède, célébré par une critique dithyrambique dans plus de trente pays, c’est un coup de maître. On n’a pas fini d’en entendre parler.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Niklas Natt och Dag est né en 1979. L’histoire familiale de l’auteur est
intimement liée à l’Histoire de Suède. Il est issu de la famille
suédoise noble la plus ancienne qui ait survécu. Ses ancêtres furent
responsables du meurtre du rebelle Engelbrekt en 1436. Ils dirigèrent
l’armée qui céda la ville de Stockholm aux Danois en 1520. Sa famille
fut contrainte à l’exil après avoir demandé l’abdication de Charles XIV
en 1820.
Le nom de famille de l’auteur, Natt och Dag, peut se traduire littéralement par Nuit et Jour. L’origine de ce nom provient des armoiries familiales qui représentent un bouclier scindé horizontalement, en doré et en bleu.
Quand il n’est pas en train de lire ou d’écrire, l’auteur s’adonne à une autre de ses passions, la musique. Il joue de la guitare, de la mandoline, du violon ou encore du shakuhachi, une flûte en bambou japonaise. Niklas Natt och Dag vit à Stockholm avec son épouse et leurs deux fils.
Nous sommes en 1793. La Révolution française n’en finit plus d’échauffer les esprits en Europe. En Suède, la tension est à son maximum, depuis qu’un an auparavant, le roi Gustav III a été assassiné par des partisans révolutionnaires. C’est dans ce contexte explosif que le boudin Mickel Cardell – sobriquet attribué aux vétérans invalides de la garde séparée – repêche dans le lac de Stockholm un corps non identifié et atrocement mutilé. Il fait équipe avec l’homme de loi Cecil Winge qui est chargé de l’enquête. Entre la tuberculose qui le ronge et l’arrivée imminente d’un nouveau chef de la police réputé corrompu, Winge ne dispose que de jours comptés pour faire toute la lumière sur ce crime.
Impossible de demeurer indemne sur la berge : ce livre est une plongée en apnée dans l’infâme abîme des bas-fonds de Stockholm au XVIIIe siècle. La misère la plus noire y enserre dans ses griffes des quartiers ignoblement insalubres, où épidémies et incendies parachèvent le mortifère travail de sape de la faim et du froid sur une population éreintée par des conditions de vie et de travail dont l’indignité dépasse l’imagination. Pourtant, chaque détail est le reflet d’une réalité historique soigneusement investiguée par l’auteur, et c’est donc avec le plus profond effroi que l’on s’efforce de digérer cette peinture sans fard d’un enfer gouverné par le désespoir, la violence et le crime. L’impunité y est quasiment assurée pour ceux qui y exercent le pouvoir, et qui du coup ne se privent pas d’en abuser. Le lecteur horrifié découvre ainsi le terrifiant fonctionnement de la filature de Långholmen, inextricable prison où étaient incarcérées les femmes dites « sans défense », c’est-à dire coupables de n’avoir ni foyer ni profession, et où sévissaient, de manière avérée, d'odieux tortionnaires.
Dans ce cadre historique véritable, évoqué de manière saisissante en ce qu’il peut présenter de plus sordide, l’auteur a imaginé un crime des plus atroces, dont la reconstitution, incluant ce qu’il faut appeler des scènes de torture, a de quoi paraître abominable. Trop peut-être, même s’il est vrai que la réalité ambiante rivalise assez bien avec cette fiction. Ce qui se justifie à la lecture parce que représentatif d’une vérité, peut susciter le malaise lorsqu’inventé de toutes pièces. Je me suis ainsi sentie parfois au bord de l’overdose, avec le vague sentiment d’une sorte de surenchère à l’ignoble, destinée à frapper les esprits des lecteurs les plus blasés. Et si la maîtrise de l’intrigue et l’art consommé de la narration, si soigneusement étayée par la documentation historique de l’auteur, ont eu raison de ce trouble passager, persiste le regret que ce livre addictif et immersif ait, à mon goût, un peu trop cédé à la tentation du spectaculaire et du sensationnel.
Mérité pour l’intensité et l’authenticité de sa restitution historique comme pour l’habileté de son intrigue envoûtante, l’énorme succès de ce thriller ne doit-il pas aussi, quelque part, à ce qu’on pourrait y voir d’outrance un rien racoleuse dans le sordide ? (3,5/5)
Le nom de famille de l’auteur, Natt och Dag, peut se traduire littéralement par Nuit et Jour. L’origine de ce nom provient des armoiries familiales qui représentent un bouclier scindé horizontalement, en doré et en bleu.
Quand il n’est pas en train de lire ou d’écrire, l’auteur s’adonne à une autre de ses passions, la musique. Il joue de la guitare, de la mandoline, du violon ou encore du shakuhachi, une flûte en bambou japonaise. Niklas Natt och Dag vit à Stockholm avec son épouse et leurs deux fils.
Avis :
Impossible de demeurer indemne sur la berge : ce livre est une plongée en apnée dans l’infâme abîme des bas-fonds de Stockholm au XVIIIe siècle. La misère la plus noire y enserre dans ses griffes des quartiers ignoblement insalubres, où épidémies et incendies parachèvent le mortifère travail de sape de la faim et du froid sur une population éreintée par des conditions de vie et de travail dont l’indignité dépasse l’imagination. Pourtant, chaque détail est le reflet d’une réalité historique soigneusement investiguée par l’auteur, et c’est donc avec le plus profond effroi que l’on s’efforce de digérer cette peinture sans fard d’un enfer gouverné par le désespoir, la violence et le crime. L’impunité y est quasiment assurée pour ceux qui y exercent le pouvoir, et qui du coup ne se privent pas d’en abuser. Le lecteur horrifié découvre ainsi le terrifiant fonctionnement de la filature de Långholmen, inextricable prison où étaient incarcérées les femmes dites « sans défense », c’est-à dire coupables de n’avoir ni foyer ni profession, et où sévissaient, de manière avérée, d'odieux tortionnaires.
Dans ce cadre historique véritable, évoqué de manière saisissante en ce qu’il peut présenter de plus sordide, l’auteur a imaginé un crime des plus atroces, dont la reconstitution, incluant ce qu’il faut appeler des scènes de torture, a de quoi paraître abominable. Trop peut-être, même s’il est vrai que la réalité ambiante rivalise assez bien avec cette fiction. Ce qui se justifie à la lecture parce que représentatif d’une vérité, peut susciter le malaise lorsqu’inventé de toutes pièces. Je me suis ainsi sentie parfois au bord de l’overdose, avec le vague sentiment d’une sorte de surenchère à l’ignoble, destinée à frapper les esprits des lecteurs les plus blasés. Et si la maîtrise de l’intrigue et l’art consommé de la narration, si soigneusement étayée par la documentation historique de l’auteur, ont eu raison de ce trouble passager, persiste le regret que ce livre addictif et immersif ait, à mon goût, un peu trop cédé à la tentation du spectaculaire et du sensationnel.
Mérité pour l’intensité et l’authenticité de sa restitution historique comme pour l’habileté de son intrigue envoûtante, l’énorme succès de ce thriller ne doit-il pas aussi, quelque part, à ce qu’on pourrait y voir d’outrance un rien racoleuse dans le sordide ? (3,5/5)
Citations :
Adieu donc, les bâches crasseuses et les nuits à la belle étoile, mais aussi les établissements que nous fréquentions autrefois, où ivrognes et gros porcs vomissent sur leurs voisins de table, se passent le mal français en échangeant des putains et en viennent aux poings à la première occasion. Nous allions désormais plutôt à la Bourse, dans les tavernes renommées de la ville et les bals dans les palais. C’est amusant de voir comme tout un chacun est disposé à aider celui qui ne semble pas avoir besoin d’aide, mais fait des détours pour éviter la détresse qui saute aux yeux. Nous avons très vite été à tu et à toi avec des fils de comtes, de grands bourgeois, de maîtres de corporation, veillant à toujours être aimables, farceurs, amusants.
Elle apprend lentement les us et coutumes de la Filature. Filer, c’est ce qu’elle doit faire, heure après heure, devant un rouet placé à côté de dizaines d’autres identiques, rendus polis et grinçants par les heures innombrables passées à enfoncer la pédale pour faire tourner leur roue. À 4 heures du matin, elles sont toutes réveillées et se traînent pour assister à la prière assurée par le pasteur croisé en arrivant, qui a le plus souvent une telle gueule de bois que ses mains tremblent au bord de la chaire. On leur donne ensuite en guise de petit déjeuner des croûtes de pain et de la petite bière dans leurs salles de travail, où elles dorment également la nuit dans des lits étroits alignés le long des murs. Le déjeuner est servi à midi, et le souper après la fin du travail, vers 9 heures du soir. Durs morceaux de viande salée, hareng gâté, complété par de l’avoine mouillée et des raves. Les repas sont servis par écuelles de quatre dans un service en bois usé. On n’en est pas rassasié. Elle comprend bientôt pourquoi. Un boudin est présent lors du déjeuner, auprès de qui on peut commander un supplément de nourriture, et qui tient les comptes dans un grand registre. Pour chaque fil terminé, les prisonnières reçoivent un chiche salaire, qu’on attend d’elles qu’elles dépensent pour acheter des denrées qui ne sont pas distribuées gratuitement : beurre, fromage, lait, viande n’ayant pas séjourné des mois dans la saumure. Toutes le font. Le choix est simple : ça ou mourir de faim à petit feu.
Le travail est mesuré en fils, chacun long de trois mille aunes. Il faut à Anna Stina toute sa première journée pour filer cent aunes. Elle a toujours eu plus de facilité à utiliser la main gauche que la droite, aussi peine-t-elle à apprendre les gestes pour manier le rouet. Le fil qui court entre ses doigts est soit trop gros soit trop fin, il n’arrête pas de se rompre. Elle doit le rafistoler, et vite, car un contremaître passe sans arrêt parmi les fileuses pour contrôler le travail. Au crépuscule, elle comprend qu’elle n’apprend pas assez vite. Si elle ne file pas plus et mieux, elle n’aura pas assez à manger et, sans nourriture, elle n’aura plus la force de filer. La faim ne lui est pas étrangère, elle sait qu’elle ralentit le corps et l’esprit.
Elle apprend lentement les us et coutumes de la Filature. Filer, c’est ce qu’elle doit faire, heure après heure, devant un rouet placé à côté de dizaines d’autres identiques, rendus polis et grinçants par les heures innombrables passées à enfoncer la pédale pour faire tourner leur roue. À 4 heures du matin, elles sont toutes réveillées et se traînent pour assister à la prière assurée par le pasteur croisé en arrivant, qui a le plus souvent une telle gueule de bois que ses mains tremblent au bord de la chaire. On leur donne ensuite en guise de petit déjeuner des croûtes de pain et de la petite bière dans leurs salles de travail, où elles dorment également la nuit dans des lits étroits alignés le long des murs. Le déjeuner est servi à midi, et le souper après la fin du travail, vers 9 heures du soir. Durs morceaux de viande salée, hareng gâté, complété par de l’avoine mouillée et des raves. Les repas sont servis par écuelles de quatre dans un service en bois usé. On n’en est pas rassasié. Elle comprend bientôt pourquoi. Un boudin est présent lors du déjeuner, auprès de qui on peut commander un supplément de nourriture, et qui tient les comptes dans un grand registre. Pour chaque fil terminé, les prisonnières reçoivent un chiche salaire, qu’on attend d’elles qu’elles dépensent pour acheter des denrées qui ne sont pas distribuées gratuitement : beurre, fromage, lait, viande n’ayant pas séjourné des mois dans la saumure. Toutes le font. Le choix est simple : ça ou mourir de faim à petit feu.
Le travail est mesuré en fils, chacun long de trois mille aunes. Il faut à Anna Stina toute sa première journée pour filer cent aunes. Elle a toujours eu plus de facilité à utiliser la main gauche que la droite, aussi peine-t-elle à apprendre les gestes pour manier le rouet. Le fil qui court entre ses doigts est soit trop gros soit trop fin, il n’arrête pas de se rompre. Elle doit le rafistoler, et vite, car un contremaître passe sans arrêt parmi les fileuses pour contrôler le travail. Au crépuscule, elle comprend qu’elle n’apprend pas assez vite. Si elle ne file pas plus et mieux, elle n’aura pas assez à manger et, sans nourriture, elle n’aura plus la force de filer. La faim ne lui est pas étrangère, elle sait qu’elle ralentit le corps et l’esprit.
Deux semaines passent avant qu’Anna Stina ne revoie la Dragonne mais, ce faisant, elle est frappée de constater qu’elle aurait pu la voir plus tôt parmi les fileuses sans la reconnaître. Son corps dégingandé est désormais racorni et voûté. Une de ses jambes est tordue vers l’intérieur, si bien qu’elle doit boiter en arquant les jambes pour que ses pieds ne s’accrochent pas. Chaque parcelle de peau qu’on aperçoit sous le bord de sa jupe varie du bleu-noir au jaune, autour de croûtes à demi cicatrisées. Elle semble incapable d’arrêter de trembler. En quelques jours, la Dragonne est devenue une vieille femme. Quand elle croise le regard d’Anna Stina, elle n’a pas l’air de la reconnaître. Si elle ne cesse pas de trembler, elle ne pourra pas filer, et Anna Stina en a déjà vu les conséquences parmi les fileuses de sa salle. Elles se mettent à se mouvoir plus lentement, et finissent apathiques devant leur rouet, ne touchant presque plus la laine, à part quand les boudins les menacent de leur fouet. Elles filent de moins en moins, ne reçoivent plus de salaire, ne peuvent plus couvrir leurs frais et, jour après jour, la chair s’évapore de leurs os. Elles finissent par s’effondrer et on les porte à l’infirmerie, pour une courte halte avant la tombe.
On dit souvent qu’on trouve son destin sur le chemin pris pour l’éviter.
Personne ne devient criminel sans d’abord avoir été victime.
On dit souvent qu’on trouve son destin sur le chemin pris pour l’éviter.
Personne ne devient criminel sans d’abord avoir été victime.
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