J'ai beaucoup aimé
Titre : Seule en sa demeure
Auteur : Cécile COULON
Editeur : L'Iconoclaste
Parution : 2021
Pages : 333
Présentation de l'éditeur :
Cécile Coulon nous plonge dans les affres
d’un mariage arrangé comme il en existait tant au XIXe siècle. À
dix-huit ans, Aimée se plie au charme froid de Candre Marchère, un riche
propriétaire terrien du Jura. Pleine d’espoir et d’illusions, elle
quitte sa famille pour le domaine de la Forêt d’Or. Mais très vite, elle
se heurte au silence de son mari, à la toute-puissance d’Henria, la
servante. Encerclée par la forêt dense, étourdie par les cris d’oiseaux,
Aimée cherche sa place. La demeure est hantée par le fantôme d’Aleth,
la première épouse de Candre, morte subitement peu de temps après son
mariage. Aimée dort dans son lit, porte ses robes, se donne au même
homme. Que lui est-il arrivé ? Jusqu’au jour où Émeline, venue donner
des cours de flûte, fait éclater ce monde clos. Au fil des leçons, sa
présence trouble Aimée, éveille sa sensualité. La Forêt d’Or devient
alors le théâtre de désirs et de secrets enchâssés.
Seule en sa demeure est une histoire de domination, de passions et d’amours empêchés.
Le roman haletant d’une autrice confirmée.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Avis :
C’est d’abord la prégnance soigneusement entretenue de son cadre oppressant qui ancre cette histoire dans une angoisse diffuse. Encerclée par une épaisse forêt qui l’isole aussi sûrement qu’elle semble vouloir l’étouffer dans le silence bruissant de ses obscures futaies et de ses brouillards aveugles, la demeure des Marchère prend déjà des allures de manoir écossais ou de château des Carpates, quand on la découvre en plus le théâtre d’une tragédie scellée dans le secret du passé. La présence fantomatique de celle qui l’a devancée dans la position d’épouse devient pour Aimée d’autant plus insidieuse et troublante, qu’elle s’assortit d’un mystère que l’énigmatique comportement des hôtes du domaine a tôt fait de faire paraître suspect. C’est donc désormais avec l’obsédante sensation d’une menace incertaine que, piqué par l’intrigue, le lecteur s’achemine peu à peu vers des révélations inattendues.
Au fil des pages, viennent à l’esprit de nombreuses références de la littérature britannique du 19ème siècle, comme Jane Austen et les sœurs Brontë, avec en particulier Jane Eyre. Cécile Coulon joue avec les thèmes gothiques et sentimentaux, y associe une pointe de critique sociale et de féminisme en évoquant le mariage et la condition des femmes dans la société conventionnelle d’alors. Le ton restant moderne, sans la tournure des dialogues de l’époque, l’on se sent immergé dans l’un de ces contes contemporains en vogue, versions revisitées de grands classiques intemporels. Chez le lecteur, l’amusement en finit presque par l’emporter sur l’inquiétude et le suspense…
Si ce nouveau roman de Cécile Coulon, moins âpre et légèrement plus fantaisiste qu’Une bête au paradis, se lit peut-être avec moins de passion, il possède un charme qui, à défaut de foudroyer, se savoure avec quelques frissons d'angoisse. (4/5)
Citations :
– Vous parlez à vos chevaux comme vous parlez à mon père, c’est une drôle de façon de faire. (…)
– Dieu a créé l’homme et les animaux terrestres le même jour, répondit-il. Il n’y a aucune raison que je les traite différemment. Sans compter qu’on n’est jamais trahi par un cheval, un cochon ou une abeille.
Avant de passer devant l’écurie, Aimée sentirait passer dans son cou ce vent qui mordait, même au cœur des étés forts, tantôt sec et brûlant, tantôt dur et glacial, elle aviserait, avant le dernier virage, la grande croix d’un bois sombre et perlé qui marquait l’entrée de la forêt d’Or. Mme Marchère frissonnerait, comme chaque fois qu’un étranger pénétrait les terres de Candre en sa compagnie. Aimée apprendrait que cette forêt deviendrait son empire ; sa noirceur et ses secrets avaient éduqué, formé, protégé Candre dès son enfance. Son époux ne travaillait pas ses bois comme ses scieurs, ses renardiers et ses colporteurs, non, mais comme un homme qui aime plus la forêt que ses semblables.
Une bâtisse de pierre et de bois, aussi large qu’un couvent, aussi haute qu’une église, trônait au cœur du paysage. Le toit était de tuiles rouges ou noires qui tombaient sur des fenêtres rondes à l’étage supérieur, puis rectangulaires et longues. Les volets, de bois huilé, mangeaient la façade et le lierre courait de haut en bas, enroulant sur les vantaux de longs doigts verts et noueux. (…)
Le château se fondait dans la végétation, comme s’il était né de la forêt, protégé par elle sans qu’elle le dévore, habillé par ses feuilles et ses plantes grimpantes, bourdonnant d’abeilles, et pourtant étincelant et propre comme les costumes et chevaux de Candre. Elle imaginerait un œil géant, de lumière et de verdure, tandis que la voiture s’arrêterait devant l’escalier, usé, vestige des caprices de Jeanne Marchère. Un œil immense posé sur elle, aux cils de vantaux plats, aux cernes de vitres impeccables.
Amand Deville avait été fait général de cavalerie trente ans plus tôt. Maniant les rênes et l’arme avec la même souplesse, on l’avait affecté au 56e régiment de cavalerie légère, au commandement des carabiniers, et lorsque la guerre éclata, que les Prussiens avancèrent en nombre sur la France, Amand, fier d’être appelé, guida ses troupes à travers les rases lignes de la plaine. Il quitta son domaine sous les hourras des villageois, et quand il revint, un mois plus tard, sur quatre jambes, on laissa le jeune général éclopé rejoindre sa chambre sans poser de questions. Il apprit lentement à tenir sur ce corps de bois, haïssant ses cannes. Le temps passa sur lui comme une eau glacée : il devint maigre et tendu, ne souffrant plus de ses jambes mais de son âme.
La lettre était courte. L’écriture minutieuse et tremblante. Celle d’une bonne élève fatiguée par son devoir. Aimée devinait la maladie qui immobilisait le bras, elle imaginait cette jeune femme aux yeux mauves, dans ce décor à la fois sublime et cauchemardesque. Les premiers sanatoriums, ouverts une dizaine d’années plus tôt, faisaient parler d’eux : on envoyait les malades en montagne pour les habituer au paradis.
La chambre était petite. Aménagée pour recevoir un mort, au premier étage, elle donnait sur l’étang à l’arrière de la maison, au bord duquel Aimée et Candre avaient cheminé ensemble. Le ciel s’arrêtait aux vitres. Aimée, en montant l’escalier, avait pensé que la mort aurait envahi la chambre. Elle se trompait : seule l’absence nichait dans cette pièce aux murs verts. La mort, elle, attendait dehors qu’on lui amène enfin son nouveau passager.
Depuis que son cousin était rentré, Aimée l’avait trouvé dur. Cassé. Il avait à peine frôlé sa cousine. Il parlait par à-coups – « oui », « nous ferons cela », « ce sera à telle heure » –, sa voix était comme une porte claquée par le vent, elle battait au grand air, désespérée. Claude avait perdu plus que son oncle ; sa vie, déjà mutilée, s’effritait un peu plus, et dans ces saccades Aimée voyait comme les hommes restaient, à jamais, des garçons, vifs, chahuteurs, déséquilibrés par la perte. En elle, le chagrin creusait des galeries : Amand était parti, elle avait vécu à ses côtés des jours forts et heureux, dont elle emplissait ces chemins intérieurs. Dans sa douleur, une voix apaisée lui murmurait qu’elle avait eu de la chance ; elle aimait son père mort autant qu’elle l’avait aimé vivant. Claude, lui, comprenait ce qu’il perdait, et sous son âme s’ouvrait un vide immense, au bord duquel sa fierté reculait. Alors il ruait.
En cette saison, les arbres se rapprochaient des hommes : leurs doigts attrapaient les vestes, grattaient les cheveux, froissaient les pantalons, les feuilles rousses dessinaient sous le ciel un deuxième toit pourpre, les ouvriers marchaient sous une mer de sang suspendue aux branches, l’air circulait à peine, prisonnier entre les troncs larges comme des cercueils. La terre suffoquait, écrasée par ces géants, et les hommes, moins agiles que les bêtes, plus violents que les cieux, se contorsionnaient, ils brûlaient de désir et de mélancolie dans des maisons fragiles qu’ils croyaient solides, ils s’enfonçaient dans des femmes à la peau malade, qui voyaient, elles, la forêt d’en haut, lui parlant dans la nuit, comme on parle à Dieu ou à une meilleure amie.
Mon père est mort, ma mère vit seule sur le peu de rentes qu’il a laissé. Mon cousin est parti faire la guerre. Il ne me reste personne, et vous savez bien ce qui arrive aux femmes qui fuient leurs époux, vous savez bien ce qu’il en est, ensuite, de leur réputation et de celle de leur famille.
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