J'ai beaucoup aimé
Titre : Là où brillent les étoiles
(Sparks like Stars)
Auteur : Nadia HASHIMI
Traductrice : Emmanuelle GHEZ
Parution : en anglais (Etats-Unis) en 2020,
en français (Hauteville) en 2021
Pages : 544
Présentation de l'éditeur :
Je porte en moi un monde disparu.
Kaboul, 1978. Sitara,
dix ans, mène une vie heureuse avec sa famille au palais. Son père est
le bras droit du président. Un soir, elle quitte sa chambre sur la
pointe des pieds pour regarder les étoiles. Cette nuit-là, c’est le coup
d’État ; aucun des siens n’y survivra. Si elle a la vie sauve, c’est
grâce aux étoiles.
Mais l’orpheline n’est en sécurité nulle part
dans ce pays qui a changé de visage. Confiée aux soins de deux femmes
prêtes à tout pour lui assurer de meilleurs lendemains, Sitara trouve
refuge aux États-Unis. Des années après son exil, le passé revient
frapper à la porte, ne lui laissant d’autre choix que de retourner en
Afghanistan pour faire toute la lumière sur cette nuit où sa vie a
basculé et rendre hommage à ceux qui n’ont pas été sauvés par les
étoiles. Ce douloureux retour aux sources est peut-être sa seule chance
de se réconcilier avec le passé.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Nadia Hashimi vit avec sa famille dans la banlieue
de Washington, où elle exerce le métier de pédiatre. Ses parents ont
quitté l’Afghanistan dans les années 1970, avant l’invasion soviétique.
Ils sont retournés dans leur pays d’origine pour la première fois en
2002 avec leur fille. Un voyage marquant qui lui permet de
découvrir sous un nouveau jour l’histoire et la culture afghanes dont
ses romans sont imprégnés.
Avis :
Cette nuit de 1978 éclate un coup d’état qui instaure en Afghanistan un gouvernement communiste d’obédience soviétique. Sitara, qui, à dix ans, vivait avec sa famille au palais présidentiel, échappe de peu au sort de tous les siens, abattus sous ses yeux. Elle trouve refuge chez deux Américaines du milieu diplomatique qui parviennent à lui faire gagner les Etats-Unis. Trente ans plus tard, alors qu’elle vit à New York où elle est devenue médecin, Sitara voit resurgir le passé sous les traits d’un de ses patients. Alors qu’un charnier vient d’être découvert à Kaboul, elle décide de retourner en Afghanistan dans l’espoir d’enfin comprendre toute la vérité sur la mort de ses proches.
Si la narration de Sitara est l’occasion de se plonger dans un pan d’histoire afghane, elle est surtout l’expression de la douleur des exilés qui ont dû fuir leur pays, se réinventer une vie et une identité sans que jamais la déchirure cicatrise, et qui, hantés par le passé, finissent par découvrir, lorsqu’ils y retournent enfin, des lieux si transformés qu’ils y sont devenus des étrangers. En Sitara, personnage romanesque sans aucun doute en partie nourri des blessures familiales de l’auteur, s’incarnent aussi la souffrance muette des grands traumatisés de la violence et de la guerre, la culpabilité qui fait des survivants des morts-vivants, et l’impossibilité d’envisager l’avenir sans réconciliation avec le passé.
Aussi terrible soit-il, le récit s’abstient de tout pathos et se lit facilement, dans un tourbillon d’événements propre à tenir le lecteur en haleine. L’on s’attache à la courageuse Sitara et à ces deux Américaines au grand coeur, l’on tremble des dangers qui les menacent et des risques qu’il leur faudra prendre pour sauver leur peau, et, tout en savourant les mille et un détails culturels afghans qui accompagneront les personnages en véritables madeleines de Proust, l’on s’interroge sur la responsabilité des Etats-Unis, qui, en pare-feu à l’influence soviétique, encouragèrent, pendant la guerre froide, la montée d’un intégrisme religieux dont l’Afghanistan paie aujourd’hui le prix fort.
Sur le fond coloré d’un Afghanistan cher à l’auteur, une épopée romanesque passionnante, pour mieux pénétrer les réalités du drame, qui, depuis des décennies, secoue ce pays. (4/5)
Si la narration de Sitara est l’occasion de se plonger dans un pan d’histoire afghane, elle est surtout l’expression de la douleur des exilés qui ont dû fuir leur pays, se réinventer une vie et une identité sans que jamais la déchirure cicatrise, et qui, hantés par le passé, finissent par découvrir, lorsqu’ils y retournent enfin, des lieux si transformés qu’ils y sont devenus des étrangers. En Sitara, personnage romanesque sans aucun doute en partie nourri des blessures familiales de l’auteur, s’incarnent aussi la souffrance muette des grands traumatisés de la violence et de la guerre, la culpabilité qui fait des survivants des morts-vivants, et l’impossibilité d’envisager l’avenir sans réconciliation avec le passé.
Aussi terrible soit-il, le récit s’abstient de tout pathos et se lit facilement, dans un tourbillon d’événements propre à tenir le lecteur en haleine. L’on s’attache à la courageuse Sitara et à ces deux Américaines au grand coeur, l’on tremble des dangers qui les menacent et des risques qu’il leur faudra prendre pour sauver leur peau, et, tout en savourant les mille et un détails culturels afghans qui accompagneront les personnages en véritables madeleines de Proust, l’on s’interroge sur la responsabilité des Etats-Unis, qui, en pare-feu à l’influence soviétique, encouragèrent, pendant la guerre froide, la montée d’un intégrisme religieux dont l’Afghanistan paie aujourd’hui le prix fort.
Sur le fond coloré d’un Afghanistan cher à l’auteur, une épopée romanesque passionnante, pour mieux pénétrer les réalités du drame, qui, depuis des décennies, secoue ce pays. (4/5)
Citations :
— Ce regard que tu as lorsque tu sais que tu as raison, tu me rappelles tellement la légendaire Malalaï et ses cris de combat. Des hommes à moitié morts ont vaincu les Anglais grâce à elle. L’arme secrète de l’Afghanistan a toujours été ses femmes.
— Mais, Boba, je ne suis qu’une petite fille.
— Comment peux-tu dire ça ! Comme si une petite fille était faite d’une étoffe moins riche. As-tu oublié les mots de Rumi ? Tu n’es pas une goutte dans l’océan. Tu es l’océan tout entier contenu dans une goutte.
Avant les cours de notre répétiteur, mon père m’avait appris les termes anglais désignant les membres de la famille, s’émerveillant des similitudes avec notre langue.
Daughter – Dokhtar.
Mother – Madar.
Father – Padar.
Brother – Braadar.
« Dans les mots les plus précieux, disait-il, les différences entre l’Est et l’Ouest s’annulent. »
Mais je sais que les enfants sont très doués pour prendre à pleines mains les citrons amers de la vie et en faire de la limonade.
Beaucoup d’adultes me traitaient comme un canari en cage, s’attendant à ce que je gazouille et batte des ailes lorsqu’ils tapaient contre les barreaux, et me demandant d’être immobile et silencieuse lorsqu’ils tournaient le dos.
Les États-Unis ont toujours été désireux de faire passer des armes et de l’argent à tous ceux qui combattaient ces maudits communistes. Les Américains n’ont pas rencontré les talibans après le 11 Septembre. C’est à ce moment-là qu’ils sont devenus l’ennemi.
J’ai une fâcheuse tendance à dire ce que je pense, dis-je.
— Vraiment ? Eh bien, ça vous disqualifie pour beaucoup de jobs.
La musique a un pouvoir miraculeux, les mélodies trouvent leur chemin jusqu’à une boîte noire dans les recoins de notre hippocampe. Elles peuvent nous revenir à la vitesse de la lumière, des décennies plus tard, réactivées par une image ou quelques notes.
Je me rappelle l’amusement de mon père voyant les Américains et les Russes se faire concurrence pour investir dans les ressources de notre nation.
« Un dollar entre, deux roubles suivent. L’un construit une université, l’autre un tunnel. Un jour, j’ai dit aux Américains que les Russes préparaient un projet d’irrigation pour une des provinces. Le lendemain, les Américains ont demandé à me rencontrer pour discuter de la construction d’une autoroute. Ils se battent comme deux frères, et nous sommes leur jouet préféré. »
Des années plus tard, j’ai appris que cette bagarre d’enfants s’appelait la guerre froide et que tout le monde, de Ronald Reagan à Rocky Balboa, était impliqué.
— Mais, Boba, je ne suis qu’une petite fille.
— Comment peux-tu dire ça ! Comme si une petite fille était faite d’une étoffe moins riche. As-tu oublié les mots de Rumi ? Tu n’es pas une goutte dans l’océan. Tu es l’océan tout entier contenu dans une goutte.
Avant les cours de notre répétiteur, mon père m’avait appris les termes anglais désignant les membres de la famille, s’émerveillant des similitudes avec notre langue.
Daughter – Dokhtar.
Mother – Madar.
Father – Padar.
Brother – Braadar.
« Dans les mots les plus précieux, disait-il, les différences entre l’Est et l’Ouest s’annulent. »
Mais je sais que les enfants sont très doués pour prendre à pleines mains les citrons amers de la vie et en faire de la limonade.
Beaucoup d’adultes me traitaient comme un canari en cage, s’attendant à ce que je gazouille et batte des ailes lorsqu’ils tapaient contre les barreaux, et me demandant d’être immobile et silencieuse lorsqu’ils tournaient le dos.
Les États-Unis ont toujours été désireux de faire passer des armes et de l’argent à tous ceux qui combattaient ces maudits communistes. Les Américains n’ont pas rencontré les talibans après le 11 Septembre. C’est à ce moment-là qu’ils sont devenus l’ennemi.
J’ai une fâcheuse tendance à dire ce que je pense, dis-je.
— Vraiment ? Eh bien, ça vous disqualifie pour beaucoup de jobs.
La musique a un pouvoir miraculeux, les mélodies trouvent leur chemin jusqu’à une boîte noire dans les recoins de notre hippocampe. Elles peuvent nous revenir à la vitesse de la lumière, des décennies plus tard, réactivées par une image ou quelques notes.
Je me rappelle l’amusement de mon père voyant les Américains et les Russes se faire concurrence pour investir dans les ressources de notre nation.
« Un dollar entre, deux roubles suivent. L’un construit une université, l’autre un tunnel. Un jour, j’ai dit aux Américains que les Russes préparaient un projet d’irrigation pour une des provinces. Le lendemain, les Américains ont demandé à me rencontrer pour discuter de la construction d’une autoroute. Ils se battent comme deux frères, et nous sommes leur jouet préféré. »
Des années plus tard, j’ai appris que cette bagarre d’enfants s’appelait la guerre froide et que tout le monde, de Ronald Reagan à Rocky Balboa, était impliqué.
L’Ouzbékistan. La CIA avait probablement envoyé des armes et des Corans aux Ouzbeks. Le directeur semblait penser qu’attiser leur ferveur religieuse les pousserait à combattre plus ardemment les communistes sans Dieu.
(...)
Je suis une Américaine à présent, et je vois clairement ce que les ingérences de la CIA ont provoqué à travers le monde. Je n’en suis pas moins reconnaissante de ne pas avoir vu mon pays s’enliser dans les guerres, d’avoir Antonia pour mère, et de pouvoir, ici, mener la carrière dont mon père avait rêvé pour moi. Bien sûr, j’ai été sauvée ici. Mais peut-être n’en aurais-je pas eu besoin si des gens comme Leo n’avaient pas été si obsédés par la menace communiste.
Les guerriers ne mènent pas les combats en rêvant d’immortalité. Ils se lancent dans la bataille en adoptant la posture dans laquelle ils veulent qu’on se souvienne d’eux, comme s’ils posaient pour une sculpture.
C’est en hiver que les cimetières apparaissent dans leur vérité la plus profonde, quand les arbres sont dénudés, et l’herbe jaunie, aplatie contre la terre froide. Quand tout ce qui fleurit s’annonce comme une fiction, un artifice. Quand les proches récitent leurs prières en vitesse, en frissonnant dans le vent glacé.
Nous nous agitons vainement pour des choses insensées : la révolution, le martyre, les lingots d’or, poursuit-il. Alors que la seule chose pour laquelle il vaille la peine de se battre, c’est un aperçu du paradis dans cette vie.
Un passant fait un commentaire sur ma silhouette. Un autre me souffle sa fumée de cigarette au visage avec lubricité. Je retiens ma respiration et me mords la langue pour éviter d’aggraver la situation. Les femmes du monde entier ont appris cette astuce.
Je songe à l’article que j’ai lu récemment dans un magazine, décrivant l’emprise délétère de l’opium sur les Afghans, qui en fument pour oublier leur pauvreté ou apaiser leurs douleurs. Un pays traumatisé s’est auto-médicalisé avec ce qui pousse en abondance sur ses terres, avec les récoltes qui permettent aux gens de nourrir leurs familles et de satisfaire les seigneurs de guerre. L’article était accompagné d’une photo montrant une mère soufflant de cette fumée tranquillisante sur le visage de son nouveau-né, avec une expression remplie d’amour. Elle faisait cela, expliquait le journaliste, pour pouvoir rester assise devant un métier à tisser des heures durant, et nouer fil après fil de ses doigts engourdis et teintés de henné.
(...)
Je suis une Américaine à présent, et je vois clairement ce que les ingérences de la CIA ont provoqué à travers le monde. Je n’en suis pas moins reconnaissante de ne pas avoir vu mon pays s’enliser dans les guerres, d’avoir Antonia pour mère, et de pouvoir, ici, mener la carrière dont mon père avait rêvé pour moi. Bien sûr, j’ai été sauvée ici. Mais peut-être n’en aurais-je pas eu besoin si des gens comme Leo n’avaient pas été si obsédés par la menace communiste.
Les guerriers ne mènent pas les combats en rêvant d’immortalité. Ils se lancent dans la bataille en adoptant la posture dans laquelle ils veulent qu’on se souvienne d’eux, comme s’ils posaient pour une sculpture.
C’est en hiver que les cimetières apparaissent dans leur vérité la plus profonde, quand les arbres sont dénudés, et l’herbe jaunie, aplatie contre la terre froide. Quand tout ce qui fleurit s’annonce comme une fiction, un artifice. Quand les proches récitent leurs prières en vitesse, en frissonnant dans le vent glacé.
Nous nous agitons vainement pour des choses insensées : la révolution, le martyre, les lingots d’or, poursuit-il. Alors que la seule chose pour laquelle il vaille la peine de se battre, c’est un aperçu du paradis dans cette vie.
Un passant fait un commentaire sur ma silhouette. Un autre me souffle sa fumée de cigarette au visage avec lubricité. Je retiens ma respiration et me mords la langue pour éviter d’aggraver la situation. Les femmes du monde entier ont appris cette astuce.
Je songe à l’article que j’ai lu récemment dans un magazine, décrivant l’emprise délétère de l’opium sur les Afghans, qui en fument pour oublier leur pauvreté ou apaiser leurs douleurs. Un pays traumatisé s’est auto-médicalisé avec ce qui pousse en abondance sur ses terres, avec les récoltes qui permettent aux gens de nourrir leurs familles et de satisfaire les seigneurs de guerre. L’article était accompagné d’une photo montrant une mère soufflant de cette fumée tranquillisante sur le visage de son nouveau-né, avec une expression remplie d’amour. Elle faisait cela, expliquait le journaliste, pour pouvoir rester assise devant un métier à tisser des heures durant, et nouer fil après fil de ses doigts engourdis et teintés de henné.
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