dimanche 12 juillet 2020

[Sijie, Dai] Balzac et la petite tailleuse chinoise





 

Coup de coeur 💓

 

Titre : Balzac et la petite tailleuse chinoise

Auteur : Dai SIJIE

Editeur : Gallimard

Année de parution : 2000

Pages : 240

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

«Nous nous approchâmes de la valise. Elle était ficelée par une grosse corde de paille tressée, nouée en croix. Nous la débarrassâmes de ses liens, et l'ouvrîmes silencieusement. À l'intérieur, des piles de livres s'illuminèrent sous notre torche électrique ; les grands écrivains occidentaux nous accueillirent à bras ouverts : à leur tête, se tenait notre vieil ami Balzac, avec cinq ou six romans, suivi de Victor Hugo, Stendhal, Dumas, Flaubert, Baudelaire, Romain Rolland, Rousseau, Tolstoï, Gogol, Dostoïevski, et quelques Anglais : Dickens, Kipling, Emily Brontë... Quel éblouissement !
Il referma la valise et, posant une main dessus, comme un chrétien prêtant serment, il me déclara :
- Avec ces livres, je vais transformer la Petite Tailleuse. Elle ne sera plus jamais une simple montagnarde.»

 

 

Un mot sur l'auteur :

Dai Sijie est un cinéaste et romancier chinois. Né en 1954 de parents médecins et emprisonnés pendant la Révolution Culturelle, il est envoyé en rééducation dans un village enclavé des montagnes du Sichuan de 1971 à 1974 : une expérience qui lui inspirera en 2000 son premier roman Balzac et la petite tailleuse chinoise. Il vit en France depuis 1984.

 

Avis :

Lors de la Révolution Culturelle de Mao Zedong, deux lycéens que leurs parents bourgeois rendent « ennemis du peuple » sont envoyés en rééducation dans un village pauvre et isolé des montagnes du Sichuan. Ils survivent au dénuement et aux éprouvantes conditions de travail des rizières et des mines de charbon en se racontant des histoires, jusqu’au jour où, de manière inespérée, ils tombent sur un roman de Balzac miraculeusement soustrait aux autodafés. Cette lecture interdite va changer leur vie, et surtout celle de la fille du tailleur dont ils sont tous deux amoureux.

En partie autobiographique, ce livre est saisissant à maints égards, à commencer par la découverte d’un village arriéré tout droit sorti d’un autre siècle, où un simple réveil-matin fait figure d’objet si extraordinaire que sa sonnerie matinale en devient presque sacrée, où il est si compliqué de se procurer les choses les plus usuelles que le tailleur ambulant est attendu comme le Messie, et où, de manière générale, hygiène, conditions de vie et niveau d’instruction font dresser les cheveux sur la tête.

Mais l’épicentre de la révolte des deux garçons est la sensation d’étouffement provoquée par l’interdiction et la destruction des livres. Pour plaire à la fille du tailleur, et malgré les interdits, ils n’auront de cesse de lui faire découvrir la magie des histoires, puis celle des livres, ouvrant ainsi la porte à un champ de possibles totalement inexistants jusqu’alors pour la jeune femme.

Hommage aux classiques de la littérature occidentale, ce roman met parfaitement en lumière le formidable pouvoir des livres, irremplaçables vecteurs de connaissances, d’émancipation et de liberté. Coup de coeur. (5/5)

 

Citations :

Avant nous, dans ce village, il n’y avait jamais eu ni réveil, ni montre, ni horloge. Les gens avaient toujours vécu en regardant le soleil se lever ou se coucher.    
Nous fumes surpris de voir comment le réveil prit sur les paysans un véritable pouvoir, presque sacré. Tout le monde venait le consulter, comme si notre maison sur pilotis était un temple. Chaque matin, c’était le même rituel : le chef faisait les cent pas autour de chez nous, en fumant sa pipe en bambou, longue comme un vieux fusil. Il ne quittait pas notre réveil des yeux. Et à neuf heures pile, il donnait un coup de sifflet long et assourdissant, pour que tous les villageois partent aux champs.

Souvent, après minuit, on éteignait la lampe à pétrole dans notre maison sur pilotis, et on s’allongeait chacun sur son lit pour fumer dans le noir. Des titres de livres fusaient de nos bouches, il y avait dans ces noms des mondes inconnus, quelque chose de mystérieux et d’exquis dans la résonance des mots, dans l’ordre des caractères, à la manière de l’encens tibétain, dont il suffisait de prononcer le nom, « Zang Xiang », pour sentir le parfum doux et raffiné, pour voir les bâtons aromatiques se mettre à transpirer, à se couvrir de véritables gouttes de sueur qui, sous le reflet des lampes, ressemblaient à des gouttes d’or liquide.   
— Tu as déjà entendu parler de la littérature occidentale ? me demanda un jour Luo.   
— Pas trop. Tu sais que mes parents ne s’intéressent qu’à leur boulot. En dehors de la médecine, ils ne connaissent pas grand-chose.
— C’est pareil pour les miens. Mais ma tante avait quelques bouquins étrangers traduits en chinois, avant la Révolution culturelle. Je me souviens qu’elle m’avait lu quelques passages d’un livre qui s’appelait Don Quichotte, l’histoire d’un vieux chevalier assez marrant.
— Et maintenant, où ils sont, ces livres ?   
— Partis en fumée. Ils ont été confisqués par les Gardes rouges, qui les ont brûlés en public, sans aucune pitié, juste en bas de son immeuble.

Nous nous approchâmes de la valise. Elle était ficelée par une grosse corde de paille tressée, nouée en croix. Nous la débarrassâmes de ses liens, et l’ouvrîmes silencieusement. À l’intérieur, des piles de livres s’illuminèrent sous notre torche électrique ; les grands écrivains occidentaux nous accueillirent à bras ouverts : à leur tête, se tenait notre vieil ami Balzac, avec cinq ou six romans, suivi de Victor Hugo, Stendhal, Dumas, Flaubert, Baudelaire, Romain Rolland, Rousseau, Tolstoï, Gogol, Dostoïevski, et quelques Anglais : Dickens, Kipling, Emily Brontë…   
Quel éblouissement ! J’avais l’impression de m’évanouir dans les brumes de l’ivresse. Je sortis les romans un par un de la valise, les ouvris, contemplai les portraits des auteurs, et les passai à Luo. De les toucher du bout des doigts, il me semblait que mes mains, devenues pâles, étaient en contact avec des vies humaines.   
— Ça me rappelle la scène d’un film, me dit Luo, quand les bandits ouvrent une valise pleine de billets…   
— Tu sens des larmes de joie monter en toi ?   
— Non. Je ne ressens que de la haine.   
— Moi aussi. Je hais tous ceux qui nous ont interdit ces livres.

Avant d’être enfermé, mon père disait souvent qu’on ne pouvait pas apprendre à danser à quelqu’un. Il avait raison ; c’est la même chose pour faire des plongeons ou écrire des poèmes, on doit les découvrir tout seul. Il y a des gens que vous pouvez entraîner toute la vie, ils ressembleront toujours à un roc quand ils se jettent dans l’air, ils ne pourront jamais faire une chute comme un fruit qui s’envole.

 

 

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