mardi 14 juillet 2020

[Wynd, Oswald] Une odeur de gingembre




Coup de coeur 💓

 

Titre : Une odeur de gingembre
          (The Ginger Tree)

Auteur : Oswald WYND

Traductrice : Sylvie SERVAN-SCHREIBER

Parution : en anglais en 1977,
                en français en 1991 (Table Ronde),
                (Gallimard - Folio en 2006)

Pages : 480

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

En 1903, Mary Mackenzie embarque pour la Chine où elle doit épouser Richard Collinsgsworth, l'attaché militaire britannique auquel elle a été promise. Fascinée par la vie de Pékin au lendemain de la Révolte des Boxers, Mary affiche une curiosité d'esprit rapidement désapprouvée par la communauté des Européens. Une liaison avec un officier japonais dont elle attend un enfant la mettra définitivement au ban de la société. Rejetée par son mari, Mary fuira au Japon dans des conditions dramatiques.
À travers son journal intime, entrecoupé des lettres qu'elle adresse à sa mère restée au pays ou à sa meilleure amie, l'on découvre le passionnant récit de sa survie dans une culture totalement étrangère, à laquelle elle réussira à s'intégrer grâce à son courage et à son intelligence. Par la richesse psychologique de son héroïne, l'originalité profonde de son intrigue, sa facture moderne et très maîtrisée, Une odeur de gingembre est un roman hors norme.

 

 

Un mot sur l'auteur :

Né à Tokyo en 1913 de parents écossais missionnaires dans cette ville, Oswald Wynd passe ses vingt premières années au Japon. Bilingue, il possède la double nationalité britannique et japonaise. A son retour en Ecosse dans les années trente, il se lance dans l'écriture de romans, dont de nombreux policiers sous le peudo de Gavin Black. Son livre le plus célèbre est The Ginger Tree (Une odeur de gingembre), édité en anglais en 1977, et qui inspire en 1989 une série télévisée britannique. L'écrivain est décédé en 1998.

 

 

Avis :

En 1903, la jeune Ecossaise Mary Mackenzie part en Chine épouser un attaché militaire anglais basé à Pékin. Vite à l’étroit dans un mariage peu heureux et dans la vie corsetée d’une très conservatrice et conventionnelle colonie européenne, Mary ne tarde pas à cumuler les désillusions. Lorsqu’elle tombe enceinte de son amant japonais, elle est bannie par son mari et par toute sa communauté, mais parvient, dans des conditions dramatiques, sans ressources, à se réfugier au Japon. Dans ce pays peu ouvert aux étrangers, elle devra braver l’ostracisme général pour trouver sa place dans une société et une culture en tout point aux antipodes de l’Occident.

Vus depuis la colonie européenne en Chine, puis de l’intérieur du Japon au travers de Mary, ce sont quarante ans d’histoire nippone que nous retrace cette fresque passionnante et colorée, depuis la fin de l’Ere Meiji et le basculement du pays de la féodalité au système industriel occidental, jusqu’à sa politique expansionniste qui finit par mettre toute l’Asie à feu et à sang bien avant le point d’orgue de la seconde guerre mondiale. L’expérience de Mary est l’occasion de découvrir la relation du Japon au reste du monde pendant toute cette période, en pénétrant l’organisation de toute la société nippone et en se confrontant aussi bien à son état d’esprit d’alors qu’à ses particularités culturelles. Toute l’originalité du propos vient du parallélisme proposé par l’auteur entre les prétentions colonialistes européennes et expansionnistes japonaises, entre les conventionnalismes tout aussi rigoristes d’un côté comme de l’autre, notamment en ce qui concerne la condition féminine et la structure familiale.

En choisissant l’angle de vue d’une occidentale rejetée par sa communauté et obligée de s’adapter pour survivre à une culture et à un mode de vie différents, en usant qui plus est du contraste entre le formalisme contraint des lettres de Mary à ses proches et la sincérité de son journal intime, le roman met en lumière les préjugés et les incompréhensions, qui, tels de véritables oeillères, viennent présider au choc entre deux civilisations aussi hautaines l’une que l’autre dans leur vision du reste du monde.

Quoi qu’il en soit, le plus grand point commun entre l’Europe et le Japon d’alors, reste finalement le sort réservé aux femmes : leur subordination aux hommes, leur contingentement à la stricte sphère familiale, et surtout la violence développée à l’encontre de celles qui osent sortir des règles établies.

Grande fresque historique, découverte d’une culture japonaise souvent désarçonnante pour les Occidentaux, magnifique portrait d’une figure féminine hors du commun restituée avec justesse et sensibilité, L’odeur du gingembre est une lecture addictive et fascinante qui ne se quitte qu’à regret. Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citations :

Ce n’était pas une main ordinaire, mais un éblouissement de griffes en or. J’avais entendu parler de ces étuis à ongles mais les voir pour la première fois m’a quand même donné un choc. Ils avaient au moins trente centimètres de long, sinon plus, sur les doigts principaux, et même si l’or en était aussi fin que possible, ces étuis protégeant des ongles qui n’ont jamais été coupés devaient être affreusement lourds. L’impératrice ne peut rien faire toute seule à cause d’eux. Elle doit être nourrie, habillée, servie en tout et en permanence par les dames de cour ; elle doit même se coucher sans ôter ses étuis à ongles. Je suis restée une minute ou deux à me poser des questions à leur propos, les yeux rivés sur ces mains qui reposaient à nouveau sur ses genoux, comme les nervures repliées d’un éventail. Chacune des bouchées qu’elle avale doit être mise dans sa bouche par quelqu’un, et l’impératrice qui règne sur le plus grand nombre de sujets sur terre après le roi Edouard est aussi dépendante qu’un infirme sans bras.

Je pense qu’elle a de l’émail sur la figure qui tend ses rides et la laisse sans aucune expression, et que ses yeux paraissent terriblement vivants dans ce masque, des yeux qui n’ont rien de vieux mais qui sont pleins d’une sorte d’énergie terrible et d’arrière-pensées. C’est peut-être ridicule, mais j’ai eu l’impression qu’elle me regardait avec une telle avidité parce que je suis jeune et qu’elle se disait qu’elle pourrait faire tant de choses si elle avait ma jeunesse ; et qu’elle était fâchée parce qu’il n’y a aucun moyen, même pour une impératrice, qu’elle puisse me dérober à son propre usage les années que j’ai en face de moi. Je pense que je commence à
comprendre pourquoi elle garde l’empereur prisonnier et en fait un pantin, c’est parce qu’il est jeune, lui aussi. Elle ne supporte pas l’idée d’un monde dont la mort l’aurait chassée.

J’ai découvert il y a très peu de temps qu’il peut y avoir quelque chose d’un peu effrayant dans le fait d’avoir un enfant qui appartient à moitié à une autre race, comme si dès le début, presque quand ses yeux ont encore du mal à voir, on arrivait à ressentir les zones au-delà desquelles on plonge dans l’inconnu total, et qui subsisteront toujours. Avec Jane je m’imaginais qu’elle me regardait avec un savoir dans le regard qu’elle ne pouvait pas avoir acquis au cours de son expérience si ténue de la vie, mais ce n’est pas tant cela avec Tomo que quelque chose de douloureux, l’impression d’être inévitablement rejetée au-delà d’une porte close dans mon dos, exactement comme Kentaro vient de me renvoyer à mon rôle de femme. 

Je commence à en savoir long sur les courbettes japonaises. On pourrait écrire un livre sur l’art des courbettes, qui est soumis à des règles encore plus strictes que la composition florale. Il y a des courbettes pour ceux qui vous sont socialement égaux, selon les circonstances de la rencontre, il y en a pour les supérieurs, pour les domestiques, pour les commerçants et même pour les conducteurs de tramways. Il y a les courbettes des hommes aux femmes, toujours légères, et celles des femmes aux hommes, toujours très profondes, plus une collection impressionnante de courbettes aux femmes entre elles, qui sont un langage en elles-mêmes. Sans prononcer un seul mot, une dame peut vous placer exactement au rang qu’elle estime être le vôtre, et vous ridiculiser parfaitement si vous n’avez pas compris le statut qui vous était assigné, ce qui est généralement le cas pour les nouveaux venus dans ce pays qui est le plus poli au monde.

Je serai toujours une étrangère au Japon, bien sûr, et cela m’aurait inquiétée autrefois, mais ce n’est plus le cas. Lorsque j’étais la maîtresse de Kentaro, j’ai tenté de plier mon caractère obstiné pour le rendre conforme au mode de vie japonais, et je me prenais presque pour un sujet adoptif du Fils du Ciel, au risque de mortifier dans cette tentative tout ce qui faisait ma nature. Pure folie que tout cela ! Les Nippophiles — ces Occidentaux convertis au mode de vie japonais — ne font qu’amuser les autochtones, qui se cachent la bouche d’une main polie pour rire tout à leur aise. J’en ris aussi, à présent, mais sans mettre la main devant ma bouche.

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