lundi 24 octobre 2022

[Robert-Diard, Pascale] La petite menteuse

 



 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : La petite menteuse

Auteur : Pascale ROBERT-DIARD

Parution : 2022 (L'Iconoclaste)

Pages : 288

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :      

Le portrait saisissant d’une jeune fille victime des bonnes intentions
La vérité n’est jamais celle que l’on imagine et il est parfois bénéfique de remettre en question notre intime conviction. Pascale Robert-Diard raconte l’histoire d’une jeune fille qui ment. Quand les institutions sont décriées pour leur indifférence, l’autrice montre des adultes remplis de bonnes intentions. A l’heure où la littérature abonde en pénalistes retors ou flamboyants, La Petite Menteuse raconte la manière dont une avocate exerce avec finesse son métier.

Les engrenages de l’imposture
Lisa a quinze ans. C’est une adolescente en vrac, à la spontanéité déroutante. Elle a eu des seins avant les autres filles, de ceux qui excitent les garçons. Elle a une « sale réputation ». Un jour, Lisa change, devient sombre, est souvent au bord des larmes. Ses professeurs s’en inquiètent. Lisa n’a plus d’issue pour sortir de son adolescence troublée et violente. Acculée, elle finit par avouer : un homme a abusé d’elle. Les soupçons se portent sur Marco, un ouvrier venu faire des travaux chez ses parents. En première instance, il est condamné à dix ans de prison.

Le tourbillon du mensonge et de la vérité
Alice, avocate de province, reçoit la visite de cette jeune femme. Désormais majeure, Lisa l’a choisie pour le procès en appel car elle « préfère être défendue par une femme ». Alice reprend le dossier de manière méthodique, elle cherche les erreurs d’aiguillages, les fausses pistes, celles qui donnent le vertige, puis découvre la vérité. Avec l’histoire de Lisa, elle commence le procès le plus périlleux de sa carrière : défendre une victime qui a menti.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :   

Entrée au Monde en 1986, Pascale Robert-Diard a longtemps été journaliste politique. Depuis 2002, elle est chargée de la chronique judiciaire. Elle suit toutes les grandes affaires judiciaires, procès d’assises, scandales politico-financiers, mais aussi tout ce quotidien de la justice ordinaire, celle des tribunaux correctionnels, des comparutions immédiates, des chambres civiles. Elle a obtenu en 2004 le prix Louis-Hachette pour ses comptes-rendus du procès Elf.
Elle a publié Dans le ventre de la justice, en septembre 2006 (Editions Perrin), et en 2015, elle a mis en image, grâce à François Boucq, Le procès Carlton. En 2016, son dernier roman La Déposition (Editions de L’Iconoclaste), a été retenue jusqu’à la deuxième sélection du Prix Fémina.

 

 

Avis :

Lorsque Lisa, quinze ans, accuse de viol Marco Lange, le plâtrier venu faire des travaux dans la maison familiale, l’avocat de l’adolescente traumatisée n’a aucun mal à obtenir la condamnation à dix ans de prison de cet homme au casier judiciaire déjà chargé. Mais, incarcéré depuis trois ans, le condamné entame un procès en appel. Désormais majeure et préférant être défendue par une femme, Lisa demande à Alice, avocate expérimentée qui ne voit aucune raison de refuser cette affaire facile, de reprendre le dossier. Sauf que Lisa revient sur ses déclarations, reconnaissant avoir menti…

Dans toutes ces affaires déclenchées par le mouvement #MeToo et par la libération de la parole des femmes, lorsque la preuve est si compliquée ou même impossible après parfois tant d’années écoulées, qui ne s’est jamais senti frémir à l’idée d’une mauvaise décision, qui entraînerait, soit l’insupportable impunité de coupables hors d'atteinte, soit la terrible dévastation de l’erreur judiciaire ? Observatrice aguerrie, par son métier de chroniqueuse judiciaire, des grandes comme des petites affaires qui font le quotidien des tribunaux, Pascale Robert-Diard nous confronte à une situation, qui, pour être fictive, n’en confond pas moins son lecteur par son parfait et terrifiant réalisme.

Quand la collégienne Lisa change de comportement et s’assombrit, inquiétant deux de ses professeurs, leur intervention pleine de bonnes intentions déclenche un engrenage dans lequel tout contribue bientôt à piéger l'adolescente. Pensant l’aider à exprimer ce qu’ils perçoivent inexprimable, ils finissent à leur insu par lui suggérer pas à pas ce qui lui semble une échappatoire plus supportable que l’aveu du véritable objet de sa souffrance. Bientôt, Lisa se retrouve dépassée par l'inextricable situation engendrée bien malgré elle par l'enchaînement de ses mensonges. « "Plus je mentais, plus je souffrais, plus je souffrais, plus on me croyait."  Comment se sort-on, à quinze ans, d’un cycle aussi infernal ? »

Innocent dans cette histoire, Marco Lange devient alors, en quelque sorte, la victime par ricochet de crimes commis par d'autres, faute pour la victime initiale de réussir à dénoncer les vrais outrages qu'elle subissait. Pour rétablir la vérité dans l'incrédulité choquée générale, il faudra à cette dernière le courage de risquer le discrédit, au point, peut-être, de faire oublier que la première victime dans cette affaire, c'est elle. Quant à sa nouvelle avocate, c'est une mission bien peu ordinaire qui lui revient, quand le condamné est innocent, et l'innocente, menteuse.

Une bien troublante démonstration de la difficulté de parole des victimes, en dépit de toutes les bonnes intentions, que ce roman efficace et prenant. (4/5)

 

 

Citations :

Des types comme lui, Alice en avait vu défiler des dizaines. Elle avait un nom pour eux : les « hommes Kleenex ». En résumé, sa mère avait eu trop d’enfants et lui trop de beaux-pères, il avait été placé en foyer d’accueil plusieurs années, était gaucher, l’école l’avait rejeté, après on l’avait mis en chaudronnerie, bien sûr il avait raté son CAP. Cette phrase, « J’ai raté le CAP », était une de celles qu’Alice lisait le plus souvent dans les dossiers de ses clients. Avec quelques autres, comme « J’ai redoublé mon CP » et « J’ai pas connu mon père ». (…)
Les biographies des accusés sont pleines de rêves échoués.
 

Ah ! Les merveilleux témoins ! Même quand ils ne savent rien, ils trouvent quelque chose à dire, s’agaça Alice. Elle éprouvait une fois de plus les mots justes d’Erri de Luca. « Prendre connaissance d’une époque à travers les documents judiciaires, c’est comme étudier les étoiles en regardant leur reflet dans un étang. »
 

Alice se sentait soudain très seule. Et surtout vieille. Elle avait hérité de la pilule et de la liberté que d’autres avaient conquises. Et elle se retrouvait accusée par des filles d’à peine vingt-cinq ans de s’en être contentée. De ne pas s’être battue pour faire avancer la cause des femmes. Elle était de la génération d’entre-deux, coincée entre l’intransigeance d’une Adèle, ou parfois celle de sa fille Louise, et l’insupportable légèreté d’une mère coquette et parfumée qui soupirait : « Mais qu’est-ce qui leur prend à ces femmes de partir en guerre contre les hommes ? Moi, ça me déplaisait pas quand on me sifflait dans la rue. »
 

Qui aime ses années collège ? Cette implacable gare de triage où le chauffeur routier et sa voisine auxiliaire de vie avaient compris que l’école n’était pas faite pour eux et qu’ils ne monteraient pas dans le même train que les autres, plus doués qu’eux. Ce lieu d’humiliation et de ricanements quand la tête apprend mal ou que le corps est trop gros, ou trop maigre, ou trop petit. Ce cimetière d’espoirs pour les parents et ce lieu de déboires pour leurs enfants. Même pour les bons élèves, c’est un temps que l’on préférerait oublier.
 

Elle souffrait de ne pas pouvoir se dépêtrer de ses mensonges. Elle vous l’a dit : « Plus je mentais, plus je souffrais, plus je souffrais, plus on me croyait. » Comment se sort-on, à quinze ans, d’un cycle aussi infernal ?
 

Il avait fallu si peu de choses pour que deux vies basculent. L’ennui et le mal-être d’une adolescente, la grossièreté des garçons, la volonté de bien faire de deux enseignants, la célérité d’un gendarme, le bovarysme d’une juge d’instruction, les rumeurs malfaisantes d’une petite ville, la conviction établie d’une mère, la mauvaise conscience d’un père. Alice leur dirait, à ces hommes et à ces femmes, qu’elle leur faisait confiance pour comprendre tout cela et ne pas accabler Lisa. Elle leur dirait qu’on n’est pas coupable quand on ment à quinze ans. Que le plus dérangeant, dans toute cette affaire, n’est pas tant de savoir pour quelles raisons Lisa a menti, mais pourquoi tant de gens ont eu envie de la croire.
Au fond, dans cette affaire, il n’y a pas de coupable, il n’y a que de bonnes intentions.


 

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