Coup de coeur 💓💓
Titre : L'empreinte (The fact of a body, a
murder and a memoir)
Auteur : Alexandria MARZANO-LESNEVICH
Traducteur : Héloïse ESQUIE
Parution : 2017 en américain (Flatiron Books)
2019 en français (Sonatine)
Pages : 480
Présentation de l'éditeur :
Etudiante en droit à Harvard, Alexandria
Marzano-Lesnevich est une farouche opposante à la peine de mort.
Jusqu’au jour où son chemin croise celui d’un tueur emprisonné en
Louisiane, Rick Langley, dont la confession l’épouvante et ébranle
toutes ses convictions. Pour elle, cela ne fait aucun doute : cet homme
doit être exécuté. Bouleversée par cette réaction viscérale, Alexandria
ne va pas tarder à prendre conscience de son origine en découvrant un
lien entre son passé, un secret de famille et cette terrible affaire qui
réveille en elle des sentiments enfouis. Elle n’aura alors cesse
d’enquêter inlassablement sur les raisons profondes qui ont conduit
Langley à commettre ce crime épouvantable.
Dans la lignée de séries documentaires comme Making a Murderer, ce récit au croisement du thriller, de l’autobiographie et du journalisme d’investigation, montre clairement combien la loi est quelque chose d’éminemment subjectif, la vérité étant toujours plus complexe et dérangeante que ce que l’on imagine. Aussi troublant que déchirant.
Dans la lignée de séries documentaires comme Making a Murderer, ce récit au croisement du thriller, de l’autobiographie et du journalisme d’investigation, montre clairement combien la loi est quelque chose d’éminemment subjectif, la vérité étant toujours plus complexe et dérangeante que ce que l’on imagine. Aussi troublant que déchirant.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Alexandria Marzano-Lesnevich est la fille de deux avocats. À l’instar de
ses parents, elle a fait des études de droit avant de s'en détourner
pour des raisons qui nourrissent son oeuvre.
Alexandria Marzano-Lesnevich est l’autrice de L’Empreinte, salué par la critique, notamment par The Guardian. Amazon a désigné L’Empreinte comme un des meilleurs livres de 2017.
Ce premier récit littéraire lui vaut de remporter le prix du livre étranger JDD / France Inter 2019, le Chautauqua Prize ainsi que le Lambda Literary Award for Lesbian Memoir en 2018. Elle a également reçu un Rona Jaffe Award en 2010 (un prix qui récompense chaque année des autrices débutantes) ainsi que plusieurs bourses et résidences d'artistes.
Passionnée par l’écriture et le journalisme, elle a contribué à des journaux prestigieux tels que The New York Times ou Oxford American. Alexandria Marzano-Lesnevich a collaboré avec d’autres autrices pour proposer une anthologie intitulée Waveform: Twenty-First-Century Essays by Women célébrant le rôle des femmes essayistes dans la littérature contemporaine.
Alexandria Marzano-Lesnevich vit à Portland dans le Maine et enseigne la littérature.
Alexandria Marzano-Lesnevich est l’autrice de L’Empreinte, salué par la critique, notamment par The Guardian. Amazon a désigné L’Empreinte comme un des meilleurs livres de 2017.
Ce premier récit littéraire lui vaut de remporter le prix du livre étranger JDD / France Inter 2019, le Chautauqua Prize ainsi que le Lambda Literary Award for Lesbian Memoir en 2018. Elle a également reçu un Rona Jaffe Award en 2010 (un prix qui récompense chaque année des autrices débutantes) ainsi que plusieurs bourses et résidences d'artistes.
Passionnée par l’écriture et le journalisme, elle a contribué à des journaux prestigieux tels que The New York Times ou Oxford American. Alexandria Marzano-Lesnevich a collaboré avec d’autres autrices pour proposer une anthologie intitulée Waveform: Twenty-First-Century Essays by Women célébrant le rôle des femmes essayistes dans la littérature contemporaine.
Alexandria Marzano-Lesnevich vit à Portland dans le Maine et enseigne la littérature.
Avis :
Voilà un livre dérangeant et stupéfiant, qui m’a, à plusieurs reprises, littéralement fait sortir les yeux de la tête.
Durant toute leur enfance, l’auteur et ses sœurs ont subi des violences sexuelles de la part de leur grand-père. Au su de leurs parents et de leur grand-mère qui, pourtant, n’ont jamais réagi et ont toujours fermé les yeux. D’ailleurs, ce ne fut pas le seul drame et secret de la famille, mais toujours le silence prévalut, par peur de se faire encore plus mal, comme si ne pas regarder le gouffre sous ses pieds pouvait préserver d’y plonger. Pour la jeune Alexandria, l’inertie de ce silence démultipliera les impacts du traumatisme : boulimie, anorexie, vagues de terreur, colère et mal-être perpétuel l’amèneront à une quête infinie de sens et d’explications.
Ce besoin de comprendre va la faire se passionner pour le cas d’un criminel pédophile, Ricky Langley, condamné à mort en 1994, puis à la prison à perpétuité, pour le meurtre d’un enfant de six ans en Louisiane. Pourtant intimement opposée à la peine capitale sur le principe, l’auteur va se surprendre à souhaiter la mort de cet homme, dont le crime vient rencontrer tant d’échos au plus profond d’elle-même.
Désormais, l’enquête de l’étudiante en droit va revêtir deux dimensions, qui s’entremêlent constamment dans son récit : en cherchant à comprendre l’histoire de Ricky Langley, ce sont ses propres souffrances qu’elle tente de conjurer. Au fil de son cheminement, entre questionnements sur la personnalité et les motifs du criminel d’une part, et résurgence de ses souvenirs personnels d’autre part, se dessine peu à peu une réflexion sur une multitude de thèmes : le poids du secret et de la transmission au sein des familles, les blessures et les violences faites aux enfants, la vengeance et le pardon, la justice et la peine de mort, la complexité de l’être humain. Car, au fond, rien n’est manichéen dans l’existence, et il ne suffit pas d’opposer le bien au mal :
« L’homme au centre de ce procès, dont la personnalité sera interminablement discutée et débattue, interminablement reconstituée et disséquée dans un dossier qui finira par faire près de trente mille pages, cet homme restera en ce sens une énigme. Il est bien possible que ce que l’on voit en Ricky dépende davantage de qui l’on est que de ce qu’il est. »
S’il existe autant de vérités que de ressentis, il est aussi bien difficile de faire la part des choses dans les sentiments humains : malgré sa colère et sa haine, l’auteur découvrira qu’elle n’en continue pas moins d’aimer ses parents et ses grands-parents. Tout comme la mère de la victime de Ricky Langley prendra parti contre la peine de mort à l’encontre du meurtrier et lui rendra des visites régulières en prison.
Ces deux récits réels entremêlés, tout aussi saisissants l’un que l’autre, entraînent le lecteur dans une réflexion large et passionnante, où toute vérité est relative mais ne devrait jamais rester cachée : au final, un plaidoyer contre la peine de mort et une démonstration s’il en fallait que le silence en matière de pédophilie est aussi traumatisant que le crime lui-même. Coup de coeur.
Durant toute leur enfance, l’auteur et ses sœurs ont subi des violences sexuelles de la part de leur grand-père. Au su de leurs parents et de leur grand-mère qui, pourtant, n’ont jamais réagi et ont toujours fermé les yeux. D’ailleurs, ce ne fut pas le seul drame et secret de la famille, mais toujours le silence prévalut, par peur de se faire encore plus mal, comme si ne pas regarder le gouffre sous ses pieds pouvait préserver d’y plonger. Pour la jeune Alexandria, l’inertie de ce silence démultipliera les impacts du traumatisme : boulimie, anorexie, vagues de terreur, colère et mal-être perpétuel l’amèneront à une quête infinie de sens et d’explications.
Ce besoin de comprendre va la faire se passionner pour le cas d’un criminel pédophile, Ricky Langley, condamné à mort en 1994, puis à la prison à perpétuité, pour le meurtre d’un enfant de six ans en Louisiane. Pourtant intimement opposée à la peine capitale sur le principe, l’auteur va se surprendre à souhaiter la mort de cet homme, dont le crime vient rencontrer tant d’échos au plus profond d’elle-même.
Désormais, l’enquête de l’étudiante en droit va revêtir deux dimensions, qui s’entremêlent constamment dans son récit : en cherchant à comprendre l’histoire de Ricky Langley, ce sont ses propres souffrances qu’elle tente de conjurer. Au fil de son cheminement, entre questionnements sur la personnalité et les motifs du criminel d’une part, et résurgence de ses souvenirs personnels d’autre part, se dessine peu à peu une réflexion sur une multitude de thèmes : le poids du secret et de la transmission au sein des familles, les blessures et les violences faites aux enfants, la vengeance et le pardon, la justice et la peine de mort, la complexité de l’être humain. Car, au fond, rien n’est manichéen dans l’existence, et il ne suffit pas d’opposer le bien au mal :
« L’homme au centre de ce procès, dont la personnalité sera interminablement discutée et débattue, interminablement reconstituée et disséquée dans un dossier qui finira par faire près de trente mille pages, cet homme restera en ce sens une énigme. Il est bien possible que ce que l’on voit en Ricky dépende davantage de qui l’on est que de ce qu’il est. »
S’il existe autant de vérités que de ressentis, il est aussi bien difficile de faire la part des choses dans les sentiments humains : malgré sa colère et sa haine, l’auteur découvrira qu’elle n’en continue pas moins d’aimer ses parents et ses grands-parents. Tout comme la mère de la victime de Ricky Langley prendra parti contre la peine de mort à l’encontre du meurtrier et lui rendra des visites régulières en prison.
Ces deux récits réels entremêlés, tout aussi saisissants l’un que l’autre, entraînent le lecteur dans une réflexion large et passionnante, où toute vérité est relative mais ne devrait jamais rester cachée : au final, un plaidoyer contre la peine de mort et une démonstration s’il en fallait que le silence en matière de pédophilie est aussi traumatisant que le crime lui-même. Coup de coeur.
Citations :
Chaque samedi, ma sœur Nicola joue aux dames avec mon grand-père sur le perron comme je le faisais auparavant. Moi, je ne peux plus. Je ne peux même pas les regarder jouer. Je suis trop consciente du fait que je l’ai vu la toucher dans notre chambre. Trop consciente du fait qu’il m’a touchée. Cette vérité me donne la chair de poule, la nausée. Je ne peux même pas aller aux toilettes sans penser à ses mains autour de son membre dans cet endroit, au geste que je ne comprenais pas. Mais je sais que je n’ai pas le droit de dire ça, de même que je n’ai pas le droit de raconter à mes copines d’école ce qui s’est passé. Ma mère a expliqué que je nuirais à la carrière politique de mon père dans le cas contraire. Mon père a expliqué que je ferais souffrir ma mère. Ils m’ont tous deux interdit d’en parler à ma grand-mère, car ça lui ferait trop de mal, et à mon frère. Il est très lié à mon grand-père et, comme il est le seul garçon dans une maison pleine de filles, il a besoin de lui. La douleur est donc un poids que je dois porter seule.
Je commence à me cacher. Je teins mes cheveux en rouge camion de pompier, quelquefois en mauve, une fois en vert, et j’adopte un style à base de longues jupes amples de couleurs vives et dissonantes et de Doc Martens rouge sang tellement trop grandes que lorsque j’entre au lycée, les élèves les appellent des « chaussures de clown ». C’est de cette façon que je peux disparaître à ce moment-là : en donnant aux gens qui m’entourent quelque chose d’autre à regarder, la tenue que je porte, au lieu de moi.
Je vais aux toilettes et me fais vomir. C’est un soulagement délicieux de me sentir vide, et à partir de ce jour-là, j’ai un secret supplémentaire. Mes parents doivent voir les paquets de gâteaux vides dans la cuisine, l’état lamentable dans lequel je laisse parfois les toilettes. Ils doivent remarquer que leur fille est devenue morose et qu’elle se mure dans le silence. Mais nous n’en parlons pas. De même que nous ne parlons pas de la balafre sur le ventre de mon frère, de la sœur manquante, du téléphone que l’on débranche parfois et, le reste du temps, des créanciers qui appellent jour et nuit ; tout ce qui grignote peu à peu cette vie que mes parents ont construite, la rendant semblable aux passés respectifs qu’ils ont tous les deux fuis, maintenant que les colères de mon père ont pris une telle proportion que même le cabinet d’avocats est en péril. Si nous ne mentionnons que les moments de bonheur, peut-être seront-ils les seuls à exister.
Le mois dernier, après son arrestation, dit-il, il a pris quarante aspirines et attendu la mort. La seule façon d’évacuer son mal-être était de se tuer. Mais les cachets ont eu pour seul effet de lui donner mal au ventre et de lui faire siffler les oreilles. Alors il est là. En colère, mais prêt à faire des efforts. Parfois, il se fait de longues entailles dans les bras et se regarde saigner. Il boit des produits ménagers et traverse la route sans regarder, défiant les voitures de l’écraser. À présent il déclare à l’assistante sociale qu’il veut se faire hospitaliser, de façon à ne pouvoir agresser personne. « On dirait que plus je me donne de mal pour ne pas le faire, plus je le fais. » Mais ils refusent de l’hospitaliser. Il est propre et vêtu convenablement, note l’assistante sociale. Il se comporte comme il faut. Il n’est pas si malade que ça.
Alors Ricky s’enfuit. Il n’est pas question qu’il continue à s’asseoir sur une chaise et à parler de ça ; on ne l’écoute pas. Il va faire du mal à quelqu’un. Il faut qu’il soit bouclé, mais ils ne le prennent même pas suffisamment au sérieux pour ça. Le corps agité de tics nerveux, incapable de rester en place, infichu de garder un boulot, bon à rien quand il essaie de se suicider et bon à rien quand il essaie de se faire soigner, il déguerpit.
Autour de moi, mêlées aux chants de Noël diffusés par les haut-parleurs, s’élevaient des voix que j’ai connues toute ma vie. Sur lesquelles se détachait une voix pleine de forfanterie : celle de mon père. Là, je l’ai entendu expliquer à un groupe d’amis que j’étais en train d’écrire un livre sur quelque chose qui s’était produit dans le passé. « Mais si vous en entendez parler, ne vous inquiétez pas, a-t-il dit, la voix rendue un peu pâteuse par l’alcool. Il n’y a qu’Alexandria qui s’en souvienne. » Dans l’escalier, je me suis figée. Ma famille avait toujours gardé le silence sur les sévices. Mais personne n’avait jamais sous-entendu qu’ils ne s’étaient pas produits. Mon père a continué à parler. Cet instant qui avait tout changé en moi n’avait rien changé pour lui.
Un individu peut être en colère et éprouver tout de même de la honte. Un individu peut brûler de haine contre sa mère et tout de même l’aimer suffisamment pour vouloir faire sa fierté. Un individu peut se sentir débordé par tout ce qu’il voudrait être et ne voir aucun moyen d’y parvenir. « En ce moment, je pense souvent que je devrais mourir ou m’arranger pour me faire tuer par quelqu’un », lâche-t-il pour l’heure.
Ce qui m’a tant séduite dans le droit il y a si longtemps, c’était qu’en composant une histoire, en élaborant à partir des événements un récit structuré, il trouve un commencement, et donc une cause. Mais ce que je ne comprenais pas à l’époque, c’est que le droit ne trouve pas davantage le commencement qu’il ne trouve la vérité. Il crée une histoire. Cette histoire a un commencement. Cette histoire simplifie les choses, et cette simplification, nous l’appelons vérité.
… je ne crois pas au fond que le fait que je sois contre la peine de mort – ou celui que d’autres soient pour – puisse se ramener à la raison. Il s’agit toujours de la même conviction simple, fondamentale : celle que chaque individu est une personne, quoi qu’il ait pu faire, et que prendre une vie humaine est mal.
Parce qu’en plus de tout ce qui peut être vrai de mon grand-père, il y a ceci : il n’a eu à rendre aucun compte.
Je commence à me cacher. Je teins mes cheveux en rouge camion de pompier, quelquefois en mauve, une fois en vert, et j’adopte un style à base de longues jupes amples de couleurs vives et dissonantes et de Doc Martens rouge sang tellement trop grandes que lorsque j’entre au lycée, les élèves les appellent des « chaussures de clown ». C’est de cette façon que je peux disparaître à ce moment-là : en donnant aux gens qui m’entourent quelque chose d’autre à regarder, la tenue que je porte, au lieu de moi.
Je vais aux toilettes et me fais vomir. C’est un soulagement délicieux de me sentir vide, et à partir de ce jour-là, j’ai un secret supplémentaire. Mes parents doivent voir les paquets de gâteaux vides dans la cuisine, l’état lamentable dans lequel je laisse parfois les toilettes. Ils doivent remarquer que leur fille est devenue morose et qu’elle se mure dans le silence. Mais nous n’en parlons pas. De même que nous ne parlons pas de la balafre sur le ventre de mon frère, de la sœur manquante, du téléphone que l’on débranche parfois et, le reste du temps, des créanciers qui appellent jour et nuit ; tout ce qui grignote peu à peu cette vie que mes parents ont construite, la rendant semblable aux passés respectifs qu’ils ont tous les deux fuis, maintenant que les colères de mon père ont pris une telle proportion que même le cabinet d’avocats est en péril. Si nous ne mentionnons que les moments de bonheur, peut-être seront-ils les seuls à exister.
Le mois dernier, après son arrestation, dit-il, il a pris quarante aspirines et attendu la mort. La seule façon d’évacuer son mal-être était de se tuer. Mais les cachets ont eu pour seul effet de lui donner mal au ventre et de lui faire siffler les oreilles. Alors il est là. En colère, mais prêt à faire des efforts. Parfois, il se fait de longues entailles dans les bras et se regarde saigner. Il boit des produits ménagers et traverse la route sans regarder, défiant les voitures de l’écraser. À présent il déclare à l’assistante sociale qu’il veut se faire hospitaliser, de façon à ne pouvoir agresser personne. « On dirait que plus je me donne de mal pour ne pas le faire, plus je le fais. » Mais ils refusent de l’hospitaliser. Il est propre et vêtu convenablement, note l’assistante sociale. Il se comporte comme il faut. Il n’est pas si malade que ça.
Alors Ricky s’enfuit. Il n’est pas question qu’il continue à s’asseoir sur une chaise et à parler de ça ; on ne l’écoute pas. Il va faire du mal à quelqu’un. Il faut qu’il soit bouclé, mais ils ne le prennent même pas suffisamment au sérieux pour ça. Le corps agité de tics nerveux, incapable de rester en place, infichu de garder un boulot, bon à rien quand il essaie de se suicider et bon à rien quand il essaie de se faire soigner, il déguerpit.
Autour de moi, mêlées aux chants de Noël diffusés par les haut-parleurs, s’élevaient des voix que j’ai connues toute ma vie. Sur lesquelles se détachait une voix pleine de forfanterie : celle de mon père. Là, je l’ai entendu expliquer à un groupe d’amis que j’étais en train d’écrire un livre sur quelque chose qui s’était produit dans le passé. « Mais si vous en entendez parler, ne vous inquiétez pas, a-t-il dit, la voix rendue un peu pâteuse par l’alcool. Il n’y a qu’Alexandria qui s’en souvienne. » Dans l’escalier, je me suis figée. Ma famille avait toujours gardé le silence sur les sévices. Mais personne n’avait jamais sous-entendu qu’ils ne s’étaient pas produits. Mon père a continué à parler. Cet instant qui avait tout changé en moi n’avait rien changé pour lui.
Un individu peut être en colère et éprouver tout de même de la honte. Un individu peut brûler de haine contre sa mère et tout de même l’aimer suffisamment pour vouloir faire sa fierté. Un individu peut se sentir débordé par tout ce qu’il voudrait être et ne voir aucun moyen d’y parvenir. « En ce moment, je pense souvent que je devrais mourir ou m’arranger pour me faire tuer par quelqu’un », lâche-t-il pour l’heure.
Ce qui m’a tant séduite dans le droit il y a si longtemps, c’était qu’en composant une histoire, en élaborant à partir des événements un récit structuré, il trouve un commencement, et donc une cause. Mais ce que je ne comprenais pas à l’époque, c’est que le droit ne trouve pas davantage le commencement qu’il ne trouve la vérité. Il crée une histoire. Cette histoire a un commencement. Cette histoire simplifie les choses, et cette simplification, nous l’appelons vérité.
… je ne crois pas au fond que le fait que je sois contre la peine de mort – ou celui que d’autres soient pour – puisse se ramener à la raison. Il s’agit toujours de la même conviction simple, fondamentale : celle que chaque individu est une personne, quoi qu’il ait pu faire, et que prendre une vie humaine est mal.
Parce qu’en plus de tout ce qui peut être vrai de mon grand-père, il y a ceci : il n’a eu à rendre aucun compte.
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