vendredi 13 juin 2025

[Del Amo, Jean-Baptiste] La nuit ravagée

 





J'ai beaucoup aimé 

 

Titre : La nuit ravagée 

Auteur : Jean-Baptiste DEL AMO

Parution : 2025 (Gallimard)

Pages : 464

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

« Ils s’étaient presque attendus à découvrir la maison abandonnée tous volets ouverts, lumières aux fenêtres, éclairant la nuit comme une attraction foraine démoniaque, prête à les happer. Mais ils la trouvèrent fidèle à elle-même, embusquée tout au fond de l’impasse, dissimulée par les ronces, semblable à ces araignées noires qui se nichent dans les crevasses des murs où elles patientent à l’affût d’une proie. »
Saint-Auch, petite bourgade en périphérie de Toulouse, au début des années 1990. Au fond de l’impasse des Ormes se trouve une maison abandonnée qui depuis toujours exerce une attraction étrange sur un groupe d’adolescents du quartier. Lorsque l’un d’entre eux meurt dans de terribles circonstances, ils décident d’y entrer, sans se douter des périls auxquels ils s’exposent.
Rendant hommage au roman horrifique, Jean-Baptiste Del Amo explore les rêves et les désillusions d’une époque, d’une génération et d’une classe sociale confrontées à la brutalité du monde et aux ravages du temps.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Jean-Baptiste Del Amo est né à Toulouse. La nuit ravagée est son sixième roman, après Une éducation libertine (2008), Goncourt du premier roman, Le sel (2010), Pornographia (2013), Règne animal (2016), prix du Livre Inter, et Le fils de l’homme (2021), prix du Roman Fnac.

 

 

Avis :

Mêlant fiction sociale et roman d’horreur dans un vibrant hommage à Stephen King et au cinéma du genre, Jean-Baptiste Del Amo met en scène les angoisses adolescentes et le passage à l’âge adulte au travers d’une maison hantée attirant irrépressiblement les lycéens d’un lotissement d’une banlieue résidentielle toulousaine.

C’est pour l’auteur une façon de parler de son adolescence, de son époque et de son milieu, lorsque, dans les années 1990, sa confrontation au monde adulte s’assortissait d’un sentiment d’étrangeté supplémentaire puisque, homosexuel, il se retrouvait à lutter pour se construire une identité à rebours de la norme. Dans ce quartier calme qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celui où, lycéens, lui et les jeunes de son âge s’ennuyaient, l’âme emplie de désirs naissants et parfois effrayants, une maison abandonnée se fait bientôt l’objet de tous leurs fantasmes. Malgré leurs peurs entretenues par d’étranges phénomènes, tous sont attirés par ce lieu jusqu’à l’addiction, tant il semble promettre une réponse à leurs désirs les plus secrets.

C’est ainsi que, encore attachés à des foyers familiaux globalement marqués par la défaillance des adultes – maladie, décès, alcoolisme, violence… –, ils ne peuvent se retenir, d’abord en bande, puis chacun individuellement, de revenir encore et encore explorer cet endroit qui, sous des apparences au début presque normales, se transforme peu à peu, en leur offrant l’accès à leurs désirs les plus enfouis et inavouables, en l’incarnation cauchemardesque de leurs pires fantasmes. D’abord teintée de fantastique, la chronique sociale se charge de toujours plus d’éléments horrifiques, pour autant de références cinématographiques, mais, surtout, en une mutation littéraire qui accompagne métaphoriquement le passage plein de peur et de mélancolie vers un âge adulte douloureusement dessillé.

Indéniablement addictif que l’on tremble ou non d’un tel mélange horrifique – à force, l’angoisse du lecteur finit par céder le pas à un détachement simplement curieux –, le récit magistralement mené autour de personnages à la psychologie fouillée, de références cinématographiques malicieuses et surtout d’une signification allégorique presque plus effrayante que ses ingrédients cauchemardesques – l’adolescence y est un passage vers l’horreur aux troublantes résonances autobiographiques – séduit finalement davantage par ce qu’il incarne du plus intime de l’auteur que par ses aspects les plus ouvertement fantastiques. (3,5/5)

 

 

Citations :

Une force funeste s’était mise à l’œuvre en secret sans que l’on puisse en préciser l’origine – se pouvait-il qu’elle ait de tout temps existé, comme ces sources profondes qui remontent parfois d’entrailles phréatiques, de limons primordiaux –, un lent venin inoculé aux rues, aux allées, aux impasses et lotissements, l’une de ces maladies silencieuses qui vous rongent en dedans longtemps avant que vous n’en perceviez les premiers signes et qu’il ne soit déjà trop tard, quelque chose qui aurait travaillé à détruire ce qu’ils avaient bâti au prix d’innombrables sacrifices, les maisons qu’ils avaient élevées de terre mais aussi les familles qu’ils y avaient conçues.


Les Belkacem avaient élevé leurs enfants en leur inculquant ce sens du labeur et de l’abnégation qu’ils croyaient nécessaires à leur affranchissement. Ils formulaient le vœu qu’ils surpassent leur réussite, transcendent leur condition, et Mehdi avait très tôt eu la conviction qu’il lui fallait être, pour eux plus que pour lui, un élève consciencieux sinon exemplaire. De tous les garçons de la bande, il avait longtemps été celui qui parvenait le mieux à concilier un désintérêt total pour l’avenir – tous se savaient voués à reproduire peu ou prou l’existence menée par leurs parents – avec une scolarité studieuse. 
Néanmoins, et sans que son père et sa mère en aient encore conscience, leurs espoirs paraissaient à leurs fils démesurés. Ils avaient instillé chez eux non pas le mépris des efforts et sacrifices auxquels ils avaient consenti, ou dû se résoudre, mais une forme de renoncement, de lassitude avant l’heure, la certitude qu’ils ne feraient pas mieux que leurs parents, que la charge de leurs attentes était trop lourde à porter, et la conscience aiguë et trop précoce de leur condition de rejetons de « seconde génération ». Ils aspiraient à mieux, en sachant que ce « mieux » leur serait impossible ou plus chèrement payé que ne l’avait été le relatif accomplissement de leurs parents, pour la seule raison – c’est la conclusion à laquelle était parvenu Mehdi l’année de son entrée au lycée – que le monde au-delà ne voulait simplement pas qu’ils y parviennent.


Au tableau était inscrite à la craie une citation de Macbeth dont Mehdi avait étudié un extrait en début d’année : 
Stars, hide your fires, Let not light see my black and deep desires.


L’enfant miroir plongeait toujours Tom dans un drôle d’état, comme si le film puisait dans sa propre vie et cristallisait sa mélancolie. Il y avait, vers la fin, une scène dans laquelle Dolphin Blue s’adressait à Seth et lui disait que l’enfance était un cauchemar, que cela ne faisait jamais qu’empirer, qu’un beau jour il se réveillerait pour s’apercevoir que c’était déjà fini, que sa belle peau se serait couverte de rides, qu’il perdrait ses cheveux, la vue, la mémoire. Son sang s’épaissirait, ses dents deviendraient jaunes et se déchausseraient, il commencerait à puer, à péter, et tous ses amis seraient morts. Elle lui disait qu’il succomberait de l’arthrite, d’une angine ou de démence sénile, qu’il se pisserait et se chierait dessus, un filet de salive à la bouche. Elle lui disait de prier pour que, lorsque cela lui arriverait, il ait quelqu’un pour l’aimer car si on est aimé, on reste jeune pour toujours. 
« Oh, soupirait Mrs. Blue. L’innocence peut être l’enfer. » 
Cette scène le stupéfiait chaque fois en ce qu’elle lui semblait énoncer une vérité terrible qui ne devait pas être jetée au visage d’un enfant de huit ans. Oui, avait pensé Tom en la revoyant cette nuit-là, l’enfance était un cauchemar et l’innocence un enfer dont il ne se réveillerait que pour constater qu’il était trop tard.

 

 

Du même auteur sur ce blog :

 
 

 


 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire