Coup de coeur :
J'ai beaucoup aimé :
GRIFFIN Anne : Toute une vie et un soir
ROUX Laurine : Une immense sensation de calme
Coup de coeur 💓
Voici une famille de Juifs américains, les Bernstein, qui a réussi à
Washington DC dans les années 1990 grâce au commerce en gros de
vêtements vintage. Persuadés que tout, désormais, des habits aux
idées en passant par les sentiments, est plus ou moins de « seconde
main », ils s’efforcent de ne voir dans le passé qu’une valeur ajoutée.
Soixante ans plus tôt, de l’autre côté de l’Atlantique, les Oxenberg
achèvent de se hisser parmi la bonne société de la ville de Iași, dans
l’étrange royaume de Roumanie. Jacques Oxenberg, dont on vante « les
doigts beethovéniens », est le meilleur obstétricien de la région. Il
vient d’offrir une auto à son épouse, laquelle lui a donné deux beaux
enfants. Un gramophone égaye les soirées de leur jolie maison, mais
dehors… les voix rauques de la haine commencent à gronder.
Lorsque la riche Dora Bernstein et son fils Ben se rendront à Iași, durant l’été de 2001, les deux histoires se rejoindront, entre secrets de famille et zones d’ombre de la mémoire collective.
Joe est le seul dans cette famille à ne pas se teindre les cheveux. Il semble ne jamais se départir d’un doux sourire, qui traverse comme il peut la broussaille de sa moustache blanche de jeune premier à la retraite. Ses lunettes à monture épaisse s’allient au nez en une équipe de choc. Il gère aussi deux grandes oreilles comme deux enveloppes qu’il ne se décide pas à poster.
Avant de m’endormir, je pense à ma famille à Onești. Papa est plombier au Combinat pétrochimique. Maman vend des tickets dans une guérite des transports en commun. Maintenant, ils sont à la retraite. Terme tragique en Roumanie. Mon petit frère vient tout juste de finir sa formation d’électricien. Il n’a lu qu’un seul livre de toute son existence, Winnetou. Mais il l’a lu des centaines de fois.
Ils n’ont pas obtenu de visa pour les USA afin que nous puissions faire la fête tous ensemble. Un visa pour les USA, ce n’est pas à la portée du premier pousse-mégots. Un pays d’émigration ancienne a horreur des nouveaux immigrants. Je leur ai envoyé deux cents dollars pour qu’ils fêtent l’événement sur place. Je crois qu’ils n’auront pas eu le cœur de les dépenser. Mes parents font des économies pour un caveau. Un caveau-revanche. Au musée des Contrefaçons de Paris, leur vie pourrait avoir une place légitime sur une étagère. Une fausse vie. Mais le caveau sera grandiose.
Abandonnées au foyer, réduites à l’état de simples gouvernantes et cuisinières, les épouses se retrouvent oubliées dans une gare maritale où plus rien n’est sûr, à commencer par leur statut. (…)
Certaines épouses se résignent, mais la plupart décident de prendre les armes. (...)
L’une des armes classiques d’une épouse intelligente, c’est l’attente. Le mari doit être persuadé de façon subtile et non brutale de revenir au duvet du nid conjugal. Là est sa place et non sur une branche nouvelle qui peut céder au premier coup de vent. Le mari est un avion qui doit être ramené à sa base, après les raids de bombardements qu’exige la tradition masculine. Les munitions antiaériennes que tire l’artillerie de la Maîtresse ne doivent en aucun cas l’abattre.
Les arbres font don de leurs feuilles au trottoir, espérant vainement être exonérés de l’impôt de l’hiver. Je monte en inspirant l’air goulûment. Les vignes juchées sur les collines, comme des enfants sur les épaules de leurs parents, aspirent le nectar du dernier soleil en allongeant les lèvres. Ce n’est même pas un soleil, c’est une ampoule de lampe de chevet alimentée par une électricité médiocre. L’hiver guette, tout près, derrière la colline.
Bonjour
Patrick Tudoret. Vous avez publié en début d’année votre dernier
roman, Juliette,
chroniqué sur ce blog.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre consacré à Juliette Drouet ?
Ce moment auquel j’ai vraiment découvert Victor Hugo et l’exceptionnelle histoire d’amour de plus d’un demi-siècle qu’il vécut avec elle. Dois-je préciser que cela remonte à plus de trente ans ? Je dois à la vérité de dire que c’est par mon père, fin lettré, et inconditionnel de Hugo, que j’ai découvert les arcanes de son exceptionnel destin.
Votre rédaction s’est nourrie d’une importante documentation. Pouvez-vous nous parler de votre travail d’imprégnation ?
Imprégnation est le mot juste. Documentation il y a eu, bien sûr,
pour une matière aussi importante que leur vie et ce XIXème siècle
si fécond en événements, en bouleversements. Mais, mes lectures
sur le sujet se sont échelonnées sur plusieurs décennies, à
mesure que germait en moi l’idée d’en faire un livre un jour.
Aussi, oui, c’est à une lente et profonde imprégnation que je me
suis voué pendant tout ce temps. De sorte que lorsque je me suis mis
à l’écriture proprement dite, les choses étaient déjà bien
calées. Je n’ai eu, en fait, qu’à vérifier la chronologie pour
éviter tout anachronisme, fût-il véniel.
Comment s'est formée l’idée de la narration à la première personne, comme si vous vous glissiez dans la tête et le coeur de Juliette ?
Faire parler Juliette, écrire un vrai roman, mais faire entendre sa voix sous la forme de mémoires apocryphes, de souvenirs, privilégiant le « je » de la narratrice, était le meilleur moyen de rendre justice à la femme magnifique qu’elle fut, une façon de lui rendre hommage, mais aussi de la sortir des clichés simplistes auxquels on l’a parfois cantonnée (la « vestale » soumise du grantécrivain…) Cette forme narrative s’est donc très vite imposée. Me glisser, en effet, dans sa tête et son coeur était un pari assez exaltant et j’ai éprouvé une énorme volupté à le faire. Je dois dire qu’un certain nombre d’amies proches, romancières ou non, n’ont cessé de m’encourager dans ce sens et cela m’a aidé.
L’Histoire ne connaît principalement Juliette Drouet qu’à travers Victor Hugo. Au contraire, votre livre nous fait percevoir le grand homme au travers de Juliette. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce jeu entre l’ombre et la lumière ?
Il y a, évidemment, de très nombreux livres dont l’« ogre » Hugo est le sujet. Un de plus eût présenté assez peu d’intérêt. Dans une approche radicalement opposée, j’ai donc voulu le peindre à travers le regard amoureux, mais acéré, de Juliette, tel qu’en lui-même, avec ses immenses vertus, mais aussi ses manquements, sans complaisance aucune. Il fut, on le sait le grand, l’immense amour de Juliette, et un amour largement partagé, mais quand elle fut d’une fidélité sans faille, il donna de « jolis » coups de canif dans le contrat… Il était grand, mais aussi capable - pour oser cet oxymore - d’une grande petitesse… Juliette en souffrit, mais ne trahit jamais les choix qu’elle avait faits en femme libre. Elle mourut dans ses bras en 1883 et il lui prouva jusqu’à la fin qu’elle était la femme de sa vie.
Il faut une grande force de tempérament en même temps qu’une bonne dose d’abnégation pour s’attacher et accompagner un homme tel que Victor Hugo. Finalement, la vie de Juliette ne tient-elle pas toute entière dans la phrase que vous citez : « Qui a dit que la gloire est le deuil éclatant du bonheur ? »
« La gloire est le deuil éclatant du bonheur. » Ce bien joli mot de Madame de Staël, me semblait parfaitement exprimer l’état d’esprit de Juliette repensant à sa vie écoulée. Elle fut heureuse avec Hugo, heureuse comme peu d’Etres ont pu l’être, connaissant un amour absolu, éclatant, douloureux parfois, mais durable. Toutefois, comme vous le dites, partager le destin d’un « monstre » comme lui, très porté sur l’hybris, la démesure, immense écrivain, homme politique influent, défenseur de causes d’avant-garde (l’abolition de la peine de mort, l’abolition de l’esclavage, la liberté d’expression etc.) ne fut pas une sinécure. Sans doute, et je le lui fais dire, eût-elle préféré un peu moins de gloire – qui, trop souvent, la privait de sa présence – et plus encore de ces heures lumineuses passées avec lui.
La beauté de votre écriture traduit à merveille l’élégance de votre personnage. Est-il si naturel d’épouser le style d’une femme d’un autre siècle ?
Merci ! Cette appréciation me touche. A deux titres au moins : d’abord, j’ai toujours mis un point d’honneur à soigner la forme de mes livres - autant mes essais que mes romans - cet apport si crucial du style tel que le prônait, par exemple, ce grand écrivain mâtiné d’un grand professeur de littérature que fut Vladimir Nabokov. Ensuite, pour ce livre particulièrement, le style que je devais donner à Juliette devait être soigné, bien dans son siècle avec de voluptueuses concessions à l’imparfait du subjonctif, par exemple, mais aussi proche de la manière pleine de fantaisie, de finesse, d’humour, qu’elle avait de manier la plume. Il suffit de lire ses lettres ou ses récits de voyage pour voir que, sans jamais se piquer de « littérature », elle avait un réel talent. Les magnifiques retours que me vaut ce livre, notamment de lectrices, me disent que j’ai eu raison - je le dis le plus humblement du monde - de tenter ce pari.
En conclusion, qu’auriez-vous aimé que Juliette pense de votre livre ?
Je serais extrêmement flatté et heureux qu’elle me dise que ce roman lui ressemble. Outre le fait qu’elle était très belle, qu’elle eut beaucoup d’admirateurs en son temps, l’humour, l’ironie, qui étaient essentiels pour elle - elle n’hésitait pas à dire parfois ses quatre vérités à Hugo quand tant d’autres voyaient un oracle dans tout ce qu’il disait - sont chez eux dans ce livre. Enfin, il faut que je vous l’avoue, mais cela se sent dans mes mots : j’ai toujours été amoureux d’elle… Alors, une lettre d’elle, un jour… peut-être…
Merci Patrick Tudoret d’avoir répondu à mes questions.
Retrouvez ici ma chronique de Juliette.
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