Coup de coeur 💓
Titre : Les Oxenberg & les Bernstein
(America de peste pogrom)
Auteur : Catalin MIHULEAC
Traductrice : Marily LE NIR
Parution : en roumain en 2014,
en français en 2020
Editeur : Noir sur Blanc
Pages : 304
Présentation de l'éditeur :
Voici une famille de Juifs américains, les Bernstein, qui a réussi à
Washington DC dans les années 1990 grâce au commerce en gros de
vêtements vintage. Persuadés que tout, désormais, des habits aux
idées en passant par les sentiments, est plus ou moins de « seconde
main », ils s’efforcent de ne voir dans le passé qu’une valeur ajoutée.
Soixante ans plus tôt, de l’autre côté de l’Atlantique, les Oxenberg
achèvent de se hisser parmi la bonne société de la ville de Iași, dans
l’étrange royaume de Roumanie. Jacques Oxenberg, dont on vante « les
doigts beethovéniens », est le meilleur obstétricien de la région. Il
vient d’offrir une auto à son épouse, laquelle lui a donné deux beaux
enfants. Un gramophone égaye les soirées de leur jolie maison, mais
dehors… les voix rauques de la haine commencent à gronder.
Lorsque la riche Dora Bernstein et son fils Ben se rendront à Iași, durant l’été de 2001, les deux histoires se rejoindront, entre secrets de famille et zones d’ombre de la mémoire collective.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Avis :
Ce roman soigneusement fidèle à l’Histoire met d’abord en lumière un pan méconnu du génocide des Juifs en Europe pendant la seconde guerre mondiale, avec le pogrom de Iasi orchestré par le régime fasciste roumain. Sa remarquable construction, par l’alternance entre deux époques et le rapprochement progressif de deux récits, fait aussi ressortir les incommensurables difficultés des rescapés à continuer à vivre, ainsi que leurs stratégies de résilience au travers d’un mélange chaque fois très personnel de mémoire et d’occultation plus ou moins volontaire.
Avec des passages insoutenables et terribles, le texte ne se contente pas d’évoquer les évènements : il les fait ressentir au plus près en soulignant les détails les plus intimes et les plus avilissants, ceux qui vous plongent sans pudeur dans la réalité brute et vécue. En même temps, le ton est imprégné d’un humour noir et grinçant, d’une ironie mordante et d’une dérision très particulière, qui facilitent la lecture tout en achevant de déconcerter, tant ce style persifleur n’épargne ni les Juifs, ni les autres.
Au final, ni le réalisme cru, ni la lucidité amère, ne parviennent à masquer la délicatesse et la sensibilité de ce roman, à la très belle écriture et aux personnages attachants et émouvants. Dans cet océan de noirceur, Catalin Mihuleac réussit à ménager des instants de pure humanité et de poésie, comme la lettre du touchant Rabbi ou le fil rouge des petits canards en caoutchouc, jaunes avec un bec orange… Coup de coeur. (5/5)
Citations :
Joe est le seul dans cette famille à ne pas se teindre les cheveux. Il semble ne jamais se départir d’un doux sourire, qui traverse comme il peut la broussaille de sa moustache blanche de jeune premier à la retraite. Ses lunettes à monture épaisse s’allient au nez en une équipe de choc. Il gère aussi deux grandes oreilles comme deux enveloppes qu’il ne se décide pas à poster.
Avant de m’endormir, je pense à ma famille à Onești. Papa est plombier au Combinat pétrochimique. Maman vend des tickets dans une guérite des transports en commun. Maintenant, ils sont à la retraite. Terme tragique en Roumanie. Mon petit frère vient tout juste de finir sa formation d’électricien. Il n’a lu qu’un seul livre de toute son existence, Winnetou. Mais il l’a lu des centaines de fois.
Ils n’ont pas obtenu de visa pour les USA afin que nous puissions faire la fête tous ensemble. Un visa pour les USA, ce n’est pas à la portée du premier pousse-mégots. Un pays d’émigration ancienne a horreur des nouveaux immigrants. Je leur ai envoyé deux cents dollars pour qu’ils fêtent l’événement sur place. Je crois qu’ils n’auront pas eu le cœur de les dépenser. Mes parents font des économies pour un caveau. Un caveau-revanche. Au musée des Contrefaçons de Paris, leur vie pourrait avoir une place légitime sur une étagère. Une fausse vie. Mais le caveau sera grandiose.
Abandonnées au foyer, réduites à l’état de simples gouvernantes et cuisinières, les épouses se retrouvent oubliées dans une gare maritale où plus rien n’est sûr, à commencer par leur statut. (…)
Certaines épouses se résignent, mais la plupart décident de prendre les armes. (...)
L’une des armes classiques d’une épouse intelligente, c’est l’attente. Le mari doit être persuadé de façon subtile et non brutale de revenir au duvet du nid conjugal. Là est sa place et non sur une branche nouvelle qui peut céder au premier coup de vent. Le mari est un avion qui doit être ramené à sa base, après les raids de bombardements qu’exige la tradition masculine. Les munitions antiaériennes que tire l’artillerie de la Maîtresse ne doivent en aucun cas l’abattre.
Les arbres font don de leurs feuilles au trottoir, espérant vainement être exonérés de l’impôt de l’hiver. Je monte en inspirant l’air goulûment. Les vignes juchées sur les collines, comme des enfants sur les épaules de leurs parents, aspirent le nectar du dernier soleil en allongeant les lèvres. Ce n’est même pas un soleil, c’est une ampoule de lampe de chevet alimentée par une électricité médiocre. L’hiver guette, tout près, derrière la colline.
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