J'ai beaucoup aimé
Titre : Toute la lumière que nous ne
pouvons voir
(All the Light We Cannot See)
Auteur : Anthony DOERR
Traductrice : Valérie MALFOY
Parution : en anglais (Etats-Unis) en 2014,
en français (Albin Michel) en 2015,
(Le Livre de Poche) en 2016
Pages : 704
Présentation de l'éditeur :
Cette fresque envoûtante, bien plus qu'un roman sur la guerre, est une réflexion profonde sur le destin et la condition humaine. La preuve que même les heures les plus sombres ne pourront jamais détruire la beauté du monde.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Couronné par plusieurs prix prestigieux et finaliste du National Book Award, Anthony Doerr bâtit une oeuvre étonnante et inclassable. Toute la lumière que nous ne pouvons voir a créé l'événement : en tête des meilleures ventes depuis près d'un an, vendu à deux millions d'ex aux États-Unis, il est en cours de traduction dans 40 langues et sera adapté au cinéma.Avis :
Vaste fresque épique et foisonnante, cette histoire très romanesque centrée sur deux adolescents est un récit d’aventures et d’apprentissage sur fond de guerre. Alternant entre le Paris de l’Occupation qui tente de sauver ses trésors, comme ceux du Museum d’Histoire Naturelle où travaille le père de Marie-laure, et une Allemagne jetée dans une folie meurtrière et dévastatrice qui n’épargne pas sa population, embrigadée, exploitée et terrorisée, la narration converge vers la cité corsaire de Saint-Malo, dans un décor magique de pierre et de mer bientôt voué à l’enfer du feu et de la destruction lors des bombardements de la Libération.
Dans ce maelström, Marie-Laure et Werner sont deux galets roulés et usés par la tempête, tous deux emportés malgré eux dans une vague qui leur dérobe leur innocence. Les confrontant au pire et à ce qui devrait les dresser l’un contre l’autre, elle finit par les pousser aux choix les plus essentiels, ceux qui préserveront leur humanité, et, à travers elle, l’avenir du monde. Un curieux mélange de poésie et de réalisme imprègne les pages de ce roman aux multiples niveaux de lecture. Derrière la restitution historique pleine d’exactitude et de discernement, où les populations, y compris allemandes, se retrouvent toutes victimes du conflit qu’elles subissent, se dessine une fable symbolique, porteuse d’espoir et de réconciliation, comme celle qui unira les descendants respectifs des familles de Werner et de Marie-Laure.
S’accrochant coûte que coûte aux beautés d’un monde qu’on croirait pourtant devenu fou, l’auteur s’émerveille de curiosités autant naturelles que scientifiques : oiseaux, diamant fabuleux, ingénieuses maquettes de villes pleines de compartiments secrets, magiques transmissions radio… Habité par Jules Verne dont les Vingt mille lieux sous les mers jalonnent le récit, ce roman historique teinté de poésie fabuleuse, où la lumière refuse de céder le pas à l’ombre, m’a aussi parfois évoqué Marina de Carlos Ruiz Zafon. C’est d’ailleurs avec le même étrange envoûtement que l’on parcourt chez l’un la cité de Saint-Malo, et chez l’autre la ville de Barcelone.
Aucun temps mort ne vient rompre le rythme de cet épais roman qui se dévore avec le plus grand plaisir. Entre Histoire, aventure et fable, il emporte le lecteur dans une intrigue originale, pleine d’intelligence et de sensibilité, dont le point d’orgue est sans aucun doute son extraordinaire évocation de la cité malouine et de sa libération en août 1944. (4/5)
Citations:
Mais pas ici. Pas cette dernière citadelle au bout du continent, cet ultime « point fort » allemand sur la côte bretonne.
Ici, chuchote-t-on, les Allemands ont rénové deux kilomètres de galeries souterraines sous les murailles médiévales. Ils ont construit de nouvelles défenses, de nouvelles conduites, de nouvelles issues de secours, tout un labyrinthe d’une ahurissante complexité. Sous le fort de la Cité d’Alet qui s’élève sur sa pointe rocheuse, plus haut sur la Rance, face à la vieille cité, il y a une salle des pansements, des soutes à munitions, et même un hôpital, du moins à ce qu’on dit. Il y a la climatisation, un réservoir d’eau d’une contenance de deux cent mille litres, une ligne directe avec Berlin. Il y a des pièges qui crachent des flammes, un réseau de casemates avec viseur périscopique. Ils ont assez de stock pour balancer des obus dans la mer tous les jours, toute la journée, pendant toute une année.
Ici, dit-on, un millier d’Allemands sont prêts à mourir. Ou cinq mille. Peut-être plus.
Saint-Malo : l’eau cerne la cité de toutes parts. Son rattachement au reste de la France est ténu : une chaussée surélevée, un pont, une langue de sable. Ils sont : « Malouins d’abord, Bretons peut-être, Français s’il en reste. »
Le désespoir ne dure pas. Marie-Laure est trop jeune et son père trop patient. Le désespoir, assure-t-il, ça n’existe pas. Il y a la chance, et la malchance. Une légère orientation de chaque journée vers le succès ou l’échec. Mais les malédictions, non.
Le silence est le fruit de l’Occupation ; il est suspendu dans les branches, dégoutte des chéneaux. Mme Guiboux, la mère du cordonnier, a quitté la ville. Tout comme la vieille Mme Blanchard. Toutes ces fenêtres dans le noir… C’est comme si la ville était devenue une bibliothèque de livres écrits dans une langue inconnue ; et les maisons, des rayonnages de volumes devenus illisibles en l’absence de lumière.
Il songe à ces mineurs usés par la vie, qu’il voyait dans son enfance, prostrés sur des caisses ou dans des fauteuils, inertes, attendant la mort. Pour eux, le temps était un tonneau qui se vide lentement. Alors qu’en fait, c’est une coupe précieuse ; il faudrait employer toute son énergie à protéger ce qu’elle contient, lutter pour elle. Ne pas en perdre une seule goutte.
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