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lundi 24 juillet 2023

[Jaenada, Philippe] La serpe

 



 

Coup de coeur đź’“

 

Titre : La serpe

Auteur : Philippe JAENADA

Parution : 2017 (Julliard)

Pages : 648

 

 

 

 

 

 

 

PrĂ©sentation de l'Ă©diteur :  

Un matin d’octobre 1941, dans un château sinistre au fin fond du Périgord, Henri Girard appelle au secours : dans la nuit, son père, sa tante et la bonne ont été massacrés à coups de serpe. Il est le seul survivant. Toutes les portes étaient fermées, aucune effraction n’est constatée. Dépensier, arrogant, violent, le jeune homme est l’unique héritier des victimes. Deux jours plus tôt, il a emprunté l’arme du crime aux voisins. Pourtant, au terme d’un procès retentissant (et trouble par certains aspects), il est acquitté et l’enquête abandonnée. Alors que l’opinion publique reste convaincue de sa culpabilité, Henri s’exile au Venezuela. Il rentre en France en 1950 avec le manuscrit du Salaire de la peur, écrit sous le pseudonyme de Georges Arnaud.
Jamais le mystère du triple assassinat du château d’Escoire ne sera élucidé, laissant planer autour d’Henri Girard, jusqu’à la fin de sa vie (qui fut complexe, bouillonnante, exemplaire à bien des égards), un halo noir et sulfureux. Jamais, jusqu’à ce qu’un écrivain têtu et minutieux s’en mêle…
Un fait divers aussi diabolique, un personnage aussi ambigu qu’Henri Girard ne pouvaient laisser Philippe Jaenada indifférent. Enfilant le costume de l’inspecteur amateur (complètement loufoque, mais plus sagace qu’il n’y paraît), il s’est plongé dans les archives, a reconstitué l’enquête et déniché les indices les plus ténus pour nous livrer ce récit haletant dont l’issue pourrait bien résoudre une énigme vieille de soixante-quinze ans.

 

Le mot de l'Ă©diteur sur l'auteur :

Philippe Jaenada est nĂ© en 1964. Il a publiĂ© chez Julliard Le Chameau sauvage (prix de Flore 1997 et prix Alexandre-Vialatte), adaptĂ© au cinĂ©ma par Luc Pagès sous le titre Ă€ + Pollux ; NĂ©fertiti dans un champ de canne Ă  sucre (1999) ; La Grande Ă  bouche molle (2001) ; chez Grasset, Le Cosmonaute (2002), Vie et mort de la jeune fille blonde (2004), Plage de Manaccora, 16 h 30 (2009), et La Femme et l’Ours (2011). Depuis Sulak (Julliard, 2013) qui a reçu le Prix d’une vie 2013 (dĂ©cernĂ© par Le Parisien Magazine) et le Grand Prix des lycĂ©ennes de ELLE en 2014, il a publiĂ© La Petite Femelle (2015) et La Serpe, prix Femina 2017.

 

Avis :

Un matin de 1941, au château d’Escoire dans le PĂ©rigord, Henri Girard crie au secours : son père, sa tante et la bonne ont Ă©tĂ© massacrĂ©s Ă  coups de serpe durant la nuit. Aucune effraction n’est constatĂ©e, Henri Ă©tait seul avec les victimes dans la demeure verrouillĂ©e, et, très vite, il apparaĂ®t Ă©vident que tout l’accuse. Peu de temps auparavant, il a empruntĂ© l’arme du crime. On lui prĂŞte une vie de patachon, flambeur toujours fauchĂ©, mari volage d’une demi-folle, brebis Ă©garĂ©e entretenant des relations houleuses avec les Girard. Des Girard fortunĂ©s, dont il est le seul hĂ©ritier… PlacĂ© en dĂ©tention prĂ©ventive, il passe en jugement dix-neuf mois plus tard. Et lĂ , coup de théâtre : il est acquittĂ© après une dĂ©libĂ©ration du jury d’à peine dix minutes.

L’homme reprend sa vie, dilapide son hĂ©ritage, fuit ses crĂ©anciers jusqu’au Venezuela dont il revient en 1950 avec un livre : le fameux Salaire de la peur, dont la publication sous le pseudonyme de Georges Arnaud manque de peu de lui valoir le Goncourt, et lui assure, en tout cas, un succès fracassant, amplifiĂ© par l’adaptation du roman au cinĂ©ma par Henri-Georges Clouzot. Toujours prodigue et remarquablement gĂ©nĂ©reux, il se met au service de l’indĂ©pendance de l’AlgĂ©rie, s’investit dans la dĂ©fense de la veuve et de l’orphelin dans plusieurs causes perdues, rĂ©alise des reportages sur de grandes affaires. Pendant tout ce temps, rien n’y fait, l’opinion publique ne dĂ©mord pas de sa culpabilitĂ© lors du triple meurtre de 1941. Il faut dire que, lui acquittĂ©, l’affaire est demeurĂ©e irrĂ©solue…

Avec l’extrĂŞme souci du dĂ©tail qui caractĂ©rise ses enquĂŞtes et l’irrĂ©sistible humour qui, parsemant son rĂ©cit de digressions très vivantes, fait de lui un personnage du livre Ă  part entière en mĂŞme temps qu’un conteur hors pair, capable de vous tenir suspendu Ă  ses mots pendant plus de six cents pages, entre Ă©tonnements et Ă©clats de rire, Philippe Jaenada a entrepris de rouvrir le volumineux dossier de cette si trouble affaire. Comment ne pas ĂŞtre intriguĂ© par Henri Girard, cet homme qui s’attache, jusqu’à la fin de sa vie, Ă  combattre les erreurs et les injustices commises par la sociĂ©tĂ©, quand lui-mĂŞme, Ă  en croire l’opinion gĂ©nĂ©rale, en a prĂ©cisĂ©ment, et fort inexplicablement, profitĂ© ? Et si, malgrĂ© les apparences, il Ă©tait vraiment innocent ? Et qui donc serait alors le coupable, jamais trouvĂ©, jamais puni ?

Saga familiale, chronique historique des années d’Occupation, feuilleton judiciaire et hommage appuyé à l’oeuvre oubliée de Georges Arnaud, ce livre, fruit d’un travail d’investigation autant faramineux qu’intelligent, est aussi une véritable œuvre romanesque. Se mettant lui-même en scène au travers d’une histoire criminelle en tout point véridique, l’auteur s’y joue en toute dérision de son lecteur, pour le tenir suspendu entre bonnes et fausses pistes, à mesure de sa savante distillation de témoignages, documents et hypothèses. Une superbe occasion de méditer sur l’erreur judiciaire… Coup de coeur. (5/5)

 

Citations : 

Calaferte est d'ailleurs l'un de ceux qui le comprennent le mieux, Ă  l'Ă©poque, qui voient en lui autre chose qu'un sociopathe arrogant et agressif : « C'Ă©tait un ĂŞtre sans doute profondĂ©ment malheureux, brĂ»lant sa vie, ne pouvant dormir la nuit, et qui avait profondĂ©ment besoin des gens. Â»


Ça ne va plus avec Lella. Curieusement, c'est l'argent qui pose problème, l'argent pour lequel Henri a pourtant si peu de respect. Elle vient d'un milieu très pauvre, elle a du mal Ă  supporter qu'il n'y accorde aucune valeur, qu'il balance les billets par poignĂ©es. Et lui pousse dans l'autre sens. Dès que les premiers droits d'auteur du Salaire sont tombĂ©s, elle achète une casserole (ils n'en avaient qu'une toute petite : quand elle prĂ©parait des pâtes pour deux, il fallait qu'elle les fasse cuire en deux fois) et quelques ustensiles de cuisine de base, premier prix. Henri explose. Il lui crie qu'il ne travaille pas pour qu'elle achète des conneries : « Il m'a dit que si j'avais achetĂ© des fleurs, des chocolats, une robe, tout ce dont j'avais envie, il n'aurait rien trouvĂ© Ă  redire, mais pas des bĂŞtises comme ça. Et il ne jouait pas la comĂ©die. Â» Il lui a jurĂ© qu'il la quitterait si elle faisait des Ă©conomies, ils se sĂ©parent. Ils barbotaient de bonheur dans la misère, l'afflux d'argent les a Ă©loignĂ©s l'un de l'autre.


C'est dommage. Je ne veux pas rejoindre le camp de ceux qui passent leur temps Ă  regretter un temps oĂą leurs parents regrettaient un temps oĂą les vieux regrettaient un temps oĂą tout Ă©tait mieux et oĂą il restait de vrais hommes (au bout du compte : Cro-Magnon, quel bonhomme, et les soirĂ©es devant la grotte Ă  mordre dans le mammouth : on savait vivre !), mais des fous furieux dans le genre de Georges Arnaud, qui ne laissent rien passer et sautent Ă  la gorge de toutes les injustices Ă  leur portĂ©e, qui y consacrent leur vie, il me semble qu'il n'y en a plus de quoi monter une Ă©quipe de basket – ou bien, ce qui est tout Ă  fait possible, on ne les entend plus, il n'y a plus la logistique nĂ©cessaire pour donner de l'Ă©cho Ă  leur voix ; qui est peut-ĂŞtre aussi parasitĂ©e par les millions de râleurs aigris qui grincent partout, je ne sais pas.  
Une drôle de vie, avec le recul. Ce que j'en sais, je l'ai appris dans les livres. Sale gosse, sale type, des claques, insupportable, il ne mue, instantanément, qu'en anéantissant la fortune familiale, et se transforme en nomade combatif qui ne possède rien et vient en aide à ceux qui en ont besoin. Un bon gars, finalement.


Un bon gars, Georges Arnaud. Mais entre les caprices exaspérants de l'enfant de riches et la rage altruiste de celui qui se fout de l'argent, il y a quelques heures de sauvagerie sanglante.


Lorsqu'ils ont envahi la France, les Allemands ont avancĂ© les aiguilles des horloges au fur et Ă  mesure de leur progression, pour ĂŞtre en phase avec Berlin, c'Ă©tait plus pratique. Au dĂ©but de l'annĂ©e 1941, Paris et toute la zone occupĂ©e sont donc Ă  l'heure allemande. Et la zone libre encore Ă  l'heure française, ou anglaise, ce qui crĂ©e de sĂ©rieux problèmes d'organisation, notamment pour les trains entre le Nord et le Sud (quand il est 11 heures Ă  Blois, il est 10 heures Ă  Limoges). Le gouvernement de Vichy a donc dĂ©cidĂ© de tout unifier lors du passage Ă  l'heure d'Ă©tĂ© 1941 : PĂ©rigueux et la zone libre avancent leurs montres de deux heures d'un coup au lieu d'une (ça doit secouer), et toute la France passe Ă  l'heure allemande. C'est toujours le cas aujourd'hui, bien que Paris soit Ă  344 kilomètres de Londres Ă  vol d'oiseau (je suis nul en oiseaux, mais en vol, je me dĂ©brouille), et Ă  879 kilomètres de Berlin.)
 
 
Je n'ai jamais vraiment compris comment les vestiges s'enterraient. Ă€ Rome, Ă  Paris, Ă  Athènes, des archĂ©ologues creusent et dĂ©couvrent des temples, des maisons, des salles de bains, dans des lieux qui n'ont jamais cessĂ© d'ĂŞtre habitĂ©s. Ă€ quel moment le temps recouvre tout ? Ă€ quel moment la terre monte sans que personne s'en aperçoive ?

 

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7 commentaires:

  1. J'ai beaucoup aimé (mais Jaenada, je suis fan...) malgré quelques longueurs. J'ai trouvé au final que plus que le plaidoyer en faveur d'Henri Girard, qui n'est pas complètement convaincant (mais peu importe, il a au moins le mérite d'instiller un sérieux doute), ce récit livre en filigrane le témoignage de l'humanisme de son auteur, de son refus absolu de l'injustice. Si tu n'as pas lu La petite femelle, je le te recommande plus que chaudement, il te plaira forcément !

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    1. Après Au printemps des monstres et La serpe, je lirai sans doute La petite femelle :):)

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  2. "La Serpe", puissant souvenir de lecture pour moi aussi... de même que "La petite femelle", dans le même genre. Je rejoins Ingannmic cependant: c'est quand même parfois un poil long. Depuis, je n'ai plus lu de nouveautés de cet écrivain ("Au printemps des monstres" m'a découragé rien qu'à le voir...), mais j'ai quelques titres plus anciens dans ma pile à lire.
    Bonne semaine!

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    1. L'écriture est un un tel régal d'humour et de dérision que, pour la part, je ne vois pas les pages passer...
      Bonne semaine Ă©galement, Ingannmic et Fattorius.

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  3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  4. J'ai aimé tout ce que j'ai lu de Jaenada, y compris "Au printemps des monstres", jamais une virgule de trop.

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