â–Ľ

lundi 28 décembre 2020

[Duquesnoy, Isabelle] La redoutable veuve Mozart

 


 

 

Coup de coeur đź’“đź’“

 

Titre : La redoutable veuve Mozart

Auteur : Isabelle DUQUESNOY

Parution : 2019 (Editions de la Martinière)

Pages : 304

 

 

 

 

 

 

 

PrĂ©sentation de l'Ă©diteur :  

Wolfgang Amadeus Mozart était un génie.
Mort ruiné, enterré sans grande pompe, il aurait pourtant pu sombrer dans l'oubli... Si Constanze Mozart ne l'avait pas adoré au point de sacrifier leurs propres enfants à la gloire de son défunt mari. Si elle ne lui avait pas survécu pendant cinquante-et-un ans, bataillant jour et nuit pour la postérité de son œuvre. Si elle n'avait pas gratté la terre à mains nues pour retrouver son squelette, ni rebaptisé son jeune fils « Wolfgang Mozart II » pour le produire dans toutes les cours d’Europe…
Le deuil de Constanze révéla une femme d’affaires intransigeante, un caractère hors norme : une veuve redoutable. Voici le destin extraordinaire et romanesque d’une femme d’une grande modernité.

Après la publication du très remarquĂ© L’Embaumeur, laurĂ©at de deux prix, Isabelle Duquesnoy revient avec un nouveau roman Ă©rudit et jubilatoire. FascinĂ©e par la figure de Constanze Mozart, elle y a travaillĂ© vingt ans.  

Le mot de l'Ă©diteur sur l'auteur :

Isabelle Duquesnoy est restauratrice d'art et écrivain. Elle vit entre la Basse-Normandie et la Corse. Elle est l'auteure de L'Embaumeur (La Martinière, 2017) et des Confessions de Constance Mozart (Points).

 

 

Avis :

Lorsque Mozart meurt en 1791, laissant une Ĺ“uvre boudĂ©e par Vienne et une montagne de dettes, sa veuve Constance rĂ©agit en femme de tĂŞte avec une obsession : retrouver l’aisance et prendre sa revanche sur le mĂ©pris autrichien. Pendant un demi-siècle, elle s’activera Ă  la postĂ©ritĂ© du musicien, valorisant son Ĺ“uvre, travaillant Ă  la reconnaissance de la propriĂ©tĂ© intellectuelle, impulsant la crĂ©ation de musĂ©es, fondations et monuments, encourageant le commerce d’objets Ă  son effigie. Se rĂ©vĂ©lant une redoutable femme d’affaires, elle assurera sa fortune et le succès posthume de Mozart, se montrant par ailleurs impitoyable pour ses deux fils, Ă©crasĂ©s par la comparaison avec leur père…

Wolfgang et Constance Mozart ont déjà inspiré à Isabelle Duquesnoy plusieurs romans et films-documentaires qui lui ont valu la reconnaissance d’une expertise certaine sur le sujet. Elle nous fait découvrir ici le musicien sous un angle original, au travers des commentaires de sa veuve Constance sur leur vie commune, dans un long entretien apocryphe avec l’aîné de leurs deux fils encore vivants. La parfaite connaissance de l’auteur, tant de la vie de Mozart et de sa correspondance, que des plus fins détails historiques de l’époque, donne, non seulement un récit d’une véracité sans faille, mais aussi des personnages saisissants de vie et de profondeur, dans une narration aux mille précisions piquantes et souvent surprenantes.

Se dessine peu à peu le portrait d’une femme de caractère, autoritaire et astucieuse en affaires, qui sut retourner à son avantage une situation devenue critique et assurer à Mozart d’entrer à jamais dans la postérité. Impressionnante d’énergie et d’habileté, Constance apparaît aussi redoutablement vindicative et rancunière. Gare à ceux qu’elle trouva en travers de sa route : elle eut pour eux la dent particulièrement dure. Sacrifiés à son ambition, ses fils en ont eux aussi fait les frais, et l’on frémit au fil des pages des rigueurs de sa tendresse et de la dureté de ses propos.

J’avais été enchantée par L’embaumeur. La redoutable veuve Mozart renouvelle mon enthousiasme. Isabelle Duquesnoy excelle à distiller avec le plus grand naturel son immense culture historique, qui fait de ses récits des lectures passionnantes et des rencontres inoubliables avec des personnages littéralement ressuscités sous sa plume. Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citations : 

– Une domestique recevait 12 florins par an de salaire. Les dettes du couple Mozart en 1791 s’élevaient donc à deux cent cinquante années d’un salaire de serviteur ;
– une robe de dame, ornée de quelques fioritures, coûtait 100 florins ; pour s’en offrir une, la domestique des Mozart devait économiser l’intégralité de son salaire durant neuf ans. C’est pourquoi les vêtements, les perruques et les souliers des défunts étaient revendus. Les boutiques de prêt-à-porter n’existaient pas ; seules les personnes aisées pouvaient se faire confectionner des vêtements par une couturière, copiant les modèles représentés dans les revues de mode. Très influente, la mode française était suivie en Europe, mais de façon moins changeante ; ce qui n’était plus en vogue à Paris pouvait l’être encore à l’étranger durant plusieurs années.

Dans la matinée, un employé administratif que Trou du Cul avait fait mander s’avança vers toi tandis que je me précipitais, les bras écartés pour lui barrer le passage.
– Ne touchez pas Ă  mes enfants !
– Madame, personne ne vous les retirera, rĂ©pondit l’homme avec patience. Du moins jusqu’à ce que l’aĂ®nĂ© ait atteint ses sept ans.
– Et après ? m’inquiĂ©tai-je, comme une folle que l’on menace de l’asile. L’inconnu se frotta le menton et s’adressa Ă  toi.
– Quel âge as-tu, mon petit Carl ?
Tais-toi ! t’ordonnai-je. Ne rĂ©ponds pas ! L’homme sourit un peu.
– Vous savez bien qu’il est interdit Ă  une femme seule d’élever un garçon au-delĂ  de cet âge. Il devra ĂŞtre confiĂ© Ă  un homme, qui s’occupera de son Ă©ducation afin d’en faire un adulte sans vice.
Le vice Ă©tait une obsession de cette Ă©poque, comme si les mères Ă©taient responsables des mĹ“urs de leurs fils. Dès qu’un père mourait, les garçonnets risquaient de tourner invertis ! Tu comprends, nous Ă©tions jugĂ©es inaptes Ă  faire de vous de vrais hommes, il fallait donc vous sauver de nos griffes. Moi, je connais un père qui a transformĂ© son garnement en imbĂ©cile, et cela ne l’a pas empĂŞchĂ© de prĂ©fĂ©rer la compagnie des garçons. Le père a respectĂ© la loi, mais son chĂ©rubin risque la prison Ă  la première dĂ©nonciation.
(…)
– Serai-je obligĂ©e de me remarier pour que vous me laissiez Ă©lever mes deux fils sans limite d’âge ?
 â€“ Non, rĂ©pondit l’homme. Il suffira de leur octroyer un tuteur, mais l’aĂ®nĂ© devra vivre chez lui.
 
Un nouveau dentiste a lancé une mode épouvantable dis-je. Il arrache les dents blanches des jeunes ramoneurs pour les planter ensuite dans la bouche des nobles, peu regardants sur le prix. Ainsi est-il courant de croiser des vieillards souriants et de jeunes montagnards la bouche rentrée en dedans comme de vieux singes.

Puisque Vienne laissait crever ses artistes dans le dĂ©nuement, j’étais dĂ©terminĂ©e Ă  faire en sorte que Wolfgang ne tombât jamais dans l’oubli. Je souhaitais que Vienne se morde les doigts d’avoir laissĂ© Papa sans un florin devant lui ! Et s’il le fallait, j’étais prĂŞte Ă  bâtir de mes propres mains une statue Ă  son effigie, Ă  dessiner les plans d’un musĂ©e Ă  sa gloire. Ah, ce Requiem achevĂ© m’insufflait une Ă©nergie qui me surprenait moi-mĂŞme ! Quant Ă  Salzbourg et toute sa race, je gardais en mĂ©moire que Wolfgang haĂŻssait cette ville jusqu’à la frĂ©nĂ©sie.

Dieu sait si le comitĂ© de la ville a tout tentĂ© pour ralentir mes projets… Ce grand carrĂ© que tu vois lĂ , dont on a Ă´tĂ© les pavĂ©s, sera l’endroit exact de la statue de bronze de ton père. On m’a montrĂ© le projet : il sera majestueux, quatre mètres de hauteur. VĂŞtu de ses habits favoris, il tiendra une plume dans sa main droite et une feuille de partition dĂ©roulĂ©e dans la gauche. Une longue cape, retenue Ă  l’épaule par une houppette, lui sera drapĂ©e autour de la taille Ă  la manière romaine. J’avais prĂ©dit qu’il reviendrait dans sa ville natale en vainqueur, alors j’ai exigĂ© que son pied soit posĂ© sur un rocher… Chacun interprĂ©tera ce caillou comme il le voudra ; les amateurs d’art y verront une astuce pour l’esthĂ©tique de sa posture, mais ceux qui me connaissent sauront que j’ai voulu reprĂ©senter Salzbourg, Ă©crasĂ©e par l’immortalitĂ© de Mozart.

En moins de trois mois, ma condition Ă©tait passĂ©e de l’indigence Ă  l’aisance. Tu avais probablement flairĂ© cette aubaine, car c’est Ă  ce moment-lĂ  que tu commenças Ă  rĂ©clamer des habits neufs et des jouets Ă  la mode, comme ce stupide yo-yo qu’on nommait « Ă©migrant Â». Ă€ l’âge oĂą ton père se produisait en public et embrasait les cours, tu te contentais d’une roue qui monte et qui descend de sa ficelle… Il y a des comparaisons qu’il vaut mieux taire, quand on ne veut pas se rouler dans le burlesque.

Giacomo se disait honorĂ© que sa chienne ait Ă©tĂ© engrossĂ©e par le compagnon de Mozart ; il conserverait un chiot pour lui, ainsi qu’un autre pour moi. S’ensuivaient d’infinies descriptions de chaque jeune, accompagnĂ©es d’un dessin montrant bien l’emplacement des taches de brun et noir qu’ils portaient sur le dos. Il me suppliait de dĂ©cider promptement mon choix, car la filiation de cette portĂ©e lui attirait de nombreuses demandes. « Chacun veut ici avoir un descendant du grand Mozart ! Â»
Je lui proposai de relever pour moi le plus goinfre et le plus joueur des petits et de l’offrir Ă  la personne de son choix, avisant bien celle-ci qu’il s’agissait d’un chiot de Wolfgang Mozart, portant les mĂŞmes traits de caractère que lui ! Tu vois, rien que l’idĂ©e d’un descendant ou d’un proche de ton père mettait le monde en transe. Cet engouement fut si rapide après sa mort que je ne parvenais pas Ă  me raisonner : c’était injuste qu’il n’ait jamais profitĂ© – oh ! quelques mois seulement ! â€“ de cette reconnaissance internationale.
 
  

 

Du mĂŞme auteur sur ce blog :

 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire