dimanche 18 mai 2025

[Da Empoli, Giuliano] L'heure des prédateurs

 





Coup de coeur 💓💓

 

Titre : L'heure des prédateurs

Auteur : Giuliano DA EMPOLI

Parution : 2025 (Gallimard)

Pages : 160

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :     

« Aujourd’hui, l’heure des prédateurs a sonné et partout les choses évoluent d’une telle façon que tout ce qui doit être réglé le sera par le feu et par l’épée. Ce petit livre est le récit de cette conquête, écrit du point de vue d’un scribe aztèque et à sa manière, par images, plutôt que par concepts, dans le but de saisir le souffle d’un monde, au moment où il sombre dans l’abîme, et l’emprise glacée d’un autre, qui prend sa place. »
Giuliano da Empoli nous livre le compte-rendu aussi haletant que glaçant de ses pérégrinations au pays de la puissance, de New York à Riyad, de l’ONU au Ritz-Carlton de MBS. Il nous guide de l’autre côté du miroir, là où le pouvoir s’acquiert par des actions irréfléchies et tapageuses, où des autocrates décomplexés sont à l’affût du maximum de chaos, où les seigneurs de la tech semblent déjà habiter un autre monde, où l’IA s’avère incontrôlable… Aucun doute, l’heure des prédateurs a sonné.
L’auteur du Mage du Kremlin les regarde en face, avec la lucidité d’un Machiavel et la hauteur de vue du moraliste.

 

 

Un mot sur l'auteur :

Giuliano da Empoli, né en à Neuilly-sur-Seine, est un écrivain et conseiller politique italien et suisse. Il est le président de Volta, un think tank basé à Milan, et enseigne à Sciences-Po Paris.

 

 

Avis :

Après Les ingénieurs du chaos et Le Mage du Kremlin qui décryptaient, pour l’un, la stratégie d’affirmation par le chaos des nouveaux leaders populistes, pour l’autre, les ambitions de Poutine, l’ancien conseiller politique italo-suisse Giuliano da Empoli analyse les mécanismes à l’oeuvre dans le désordre mondial savamment entretenu par Trump.

Que se passe-t-il lorsque, ayant fait feu de tout bois – colère des insatisfaits et caisses de résonance numériques – pour déborder la démocratie libérale, l’un de ces stratèges du chaos parvient au pouvoir ? La réélection de Trump sonne l’heure d’une nouvelle ère, quand, d’outil de rébellion, la politique du chaos se fait institutionnelle, le gouvernant exerçant le pouvoir en multipliant les effets de sidération par l’imprévisibilité et l’usage incontrôlé de la force.

Ces nouveaux tyrans sont déjà un certain nombre à graviter dans ce que l’auteur identifie comme un nouveau cercle de prédateurs, parmi lesquels, entre Trump et Poutine, l’on peut citer Nayib Bukele au Salvador, Javier Milei en Argentine ou Mohammed ben Salmane en Arabie Saoudite. Tous ont en commun un comportement « borgien », de Borgia, le Prince qu’observa si cyniquement Machiavel. Au diable éthique et morale, seule compte la conservation du pouvoir.

Alors, à chaque époque les moyens : si les condottières du XVIe siècle profitèrent de l’invention de l’artillerie pour faire primer l’offensive dans un paroxysme de violence précipitant la fin des fortifications de type médiéval, les prédateurs de notre siècle se servent eux aussi de la rupture technologique pour avancer leurs pions. Le pouvoir passe aujourd’hui par les réseaux sociaux et leurs algorithmes, dictateurs et milliardaires de la tech s’empressant d’allier leurs forces dans ce nouvel espace sans règles propice à l’exacerbation de la violence et du chaos.

Convaincu que, bien loin de nous trouver confrontés à quelques événements conjoncturels, nous vivons un vrai changement d’époque et qu’est en train de s’ouvrir « une ère de violence sans limites », d’autant plus dominée par le rapport de forces que l’attaque, cyber ou autre, est redevenue moins coûteuse que la défense, l’auteur nous voit face aux conquistadors de la tech comme les Aztèques face aux conquistadors espagnols. Alors que, comme eux, nous restons incapables de nous décider entre fascination et rejet, notre passivité frise l’inconscience du précipice vers lequel le monde fonce tête baissée.

Avec ses illustrations frappantes tirées de son expérience personnelle au sein des microcosmes politiques, l’élégance toute littéraire de sa plume et ses punchlines en salves, Giuliano da Empoli signe un nouvel ouvrage que l’on aurait aimé moins bref et un peu plus approfondi, mais, en tous les cas, d’une clarté et d’une lucidité saisissantes n’ouvrant guère la porte à l’optimisme. C’est d’un avenir glaçant dont il se fait ici l’oracle. Une lecture éclairante, aussi terrifiante que fascinante, qui ne peut laisser indifférent. Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citations :

Pris en étau entre ces avis opposés, l’empereur fit ce que les politiques, de tout temps, font dans ce genre de situation : il décida de ne pas décider. Il envoya aux étrangers une ambassade chargée de cadeaux, pour les impressionner par la splendeur de son règne, mais leur interdit de se diriger vers la capitale. Le résultat fut celui qui, de tout temps, a tendance à découler de ce genre d’hésitation : ayant voulu éviter la guerre au prix du déshonneur, Moctezuma eut et le déshonneur et la guerre.


Au cours des trois dernières décennies, les responsables politiques des démocraties occidentales se sont comportés, face aux conquistadors de la tech, exactement comme les Aztèques du XVIe siècle. Confrontés à la foudre et au tonnerre d’Internet, des réseaux sociaux et de l’IA, ils se sont soumis, dans l’espoir qu’un peu de poussière de fée rejaillirait sur eux.


Maintenant, prenez ces trois niveaux : les leaders, les conseillers et les gardes du corps, et multipliez-les par cent quatre-vingt-treize, le nombre de délégations nationales présentes à l’Assemblée générale. Chacune avec l’inébranlable conviction d’être au centre du monde. Même les Tuvalu. Même le Timor oriental. Vous commencerez à comprendre pourquoi les Nations unies ne peuvent pas fonctionner. Mais peut-être aussi pourquoi nous ne pouvons pas nous en passer.


Moins de 10 % des intervenants à l’Assemblée générale sont des femmes. Le patron des Nations unies, António Guterres, l’a déploré une nouvelle fois dans son allocution, mais il est peu probable que la situation évolue à court terme : l’ONU elle-même n’a jamais eu de femme à sa tête. De plus, les hommes qui se retrouvent ici ne sont pas des hommes comme les autres. Si la politique est bien la continuation de la guerre par d’autres moyens, il en découle que cette activité a partout tendance à attirer les caractères les plus violents, ceux qui ne trouvent de sens à leur vie que dans la lutte.


Trois mois avant l’invasion de l’Ukraine, Sourkov, limogé par Poutine quelque temps auparavant, publiait un article dans lequel tout était déjà dit. Toute société, écrivait-il alors, est soumise à la loi physique de l’entropie. Aussi stable soit-elle, en l’absence d’intervention extérieure, elle finit par produire le chaos en son intérieur. Jusqu’à un certain point, il est possible de le gérer, mais la seule façon de résoudre définitivement le problème est de l’exporter. Selon Sourkov, les grands empires de l’histoire se régénèrent en déplaçant le chaos qu’ils produisent hors de leurs frontières. C’est le cas des Romains dans l’Antiquité, c’est le cas – selon l’auteur – des Américains au XXe siècle. Et celui de la Russie, « pour laquelle l’expansion constante n’est pas seulement une idée, mais la véritable raison existentielle de notre histoire ».


Cela dit, en politique, il n’y a pas que la chute qui soit douloureuse : la vérité est qu’on souffre tout le temps. Il faut être fait pour ça. Comme ces poissons abyssaux, habitués à survivre sous la pression de milliers de tonnes d’eau de mer. (…)
Le problème est que ce genre d’existence ne permet pas de métaboliser. La succession des impulsions extérieures est trop ininterrompue, le cerveau a à peine le temps de réagir. Ce n’est qu’une fois l’aventure terminée que le politique a la possibilité de revenir sur ses pas pour en tirer quelques enseignements. S’il en a l’aptitude, ce qui est de plus en plus rare. Et s’il n’a pas explosé, comme la plupart des poissons abyssaux lorsqu’ils remontent à la surface.
 
 
En occupant la Crimée en 2014, Poutine a brisé le tabou, laborieusement construit après la Seconde Guerre mondiale, qui interdisait à un pays de recourir à la force pour modifier ses frontières. L’invasion de 2022 a amplifié le message pour les plus distraits. La guerre est de nouveau à la mode. Les dirigeants qui l’invoquent gagnent les élections. Certains d’entre eux passent ensuite aux actes. Dans les cinq dernières années, les dépenses d’armement ont augmenté de 34 % dans le monde.
Une ferveur guerrière parcourt la planète : elle ne touche pas que les régimes autoritaires. Les États-Unis sont passés de l’ère des négociations âprement disputées entre diplomates à celle de la diplomatie cinétique par la force armée. Au cours des dernières années, l’illusion que la suprématie technologique pourrait prendre la place de l’analyse approfondie des différentes situations locales a transformé le recours aux armes, physiques et numériques, en l’un des premiers ressorts de la politique étrangère, au lieu d’un outil imparfait de dernière extrémité. Dans un tel contexte, les sherpas aux desseins subtils sont devenus une espèce en voie de disparition. Ainsi, depuis toujours, la proportion des diplomates de carrière constituait les trois quarts des nominations d’ambassadeurs américains, le reste des postes étant attribués aux bailleurs de fonds du président. Mais, dès 2017, Donald Trump a inversé le rapport, en nommant une très large majorité de ses soutiens à ces fonctions. Son retour en 2025 va probablement conduire à l’extinction complète des ambassadeurs de carrière.


En Libye, au Proche-Orient, en Ukraine : les bordures du continent qui a fondé sa reconstruction sur la paix ne sont plus qu’un seul champ de bataille. Et chaque jour, la guerre pénètre un peu plus à l’intérieur des frontières de l’Europe. Ces derniers mois, des agents russes sont soupçonnés d’avoir assassiné un transfuge en Espagne, d’avoir incendié des centres commerciaux et des entrepôts dans plusieurs pays, d’avoir placé des colis piégés dans plusieurs avions de transport et tenté de tuer le PDG d’un des plus gros consortiums d’armement allemands. Sans compter les opérations de désinformation à grande échelle qui se transforment de plus en plus souvent en de véritables cyberattaques. Les médias n’ont pas toujours accès à l’ensemble des faits, mais les bureaux de vote de la plupart des pays européens, par exemple, sont systématiquement visés par des attaques informatiques à l’occasion d’élections locales ou nationales.
Cette explosion de violence répond à une logique que les historiens militaires connaissent depuis longtemps. Il y a des phases dans l’histoire où les techniques défensives progressent plus vite que les techniques offensives. Ce sont des périodes où les guerres deviennent plus rares parce que le coût de l’attaque est plus élevé que celui de la défense. À d’autres moments, ce sont surtout les technologies offensives qui se développent. Ce sont des époques sanglantes où les guerres se multiplient, car attaquer coûte beaucoup moins cher que se défendre. (…)
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et tout au long de la guerre froide, la dissuasion nucléaire a rendu prohibitif le coût de toute attaque de grande envergure. Mais l’évolution du cadre géopolitique et les progrès de la technologie ont mis fin à cette phase de relative accalmie : l’attentat contre les Tours jumelles, qui a relancé l’histoire en dépit de sa mort annoncée, a coûté moins d’un million de dollars. Aujourd’hui, un porte-avions qui a coûté dix milliards de dollars au gouvernement américain peut être coulé par deux ou trois missiles hypersoniques chinois à quinze millions. À l’inverse, pour abattre un drone à deux cents dollars lancé depuis le sud du Liban, Israël doit employer à chaque coup un missile Patriot qui en vaut trois millions. Sans parler d’une cyberattaque capable de paralyser une nation entière, dont le coût est quasiment nul.
Ces jours-ci, l’attaque coûte moins cher que la défense. Beaucoup moins. Et le prix continue à baisser. À l’avenir, certains prétendent qu’un seul individu pourra déclarer la guerre au monde entier, et la gagner. Quand on sait qu’un synthétiseur d’ADN capable de créer de nouveaux pathogènes mortels coûte environ vingt mille dollars, soit le prix d’une voiture d’occasion, cette perspective ne semble pas si lointaine. 
 
 
Le Prince est le manuel de l’usurpateur, de l’aventurier qui part à la conquête de l’État. Les leçons que les Borgia de tous les temps peuvent en tirer sont fort nombreuses, mais l’une d’entre elles se démarque de toutes les autres : la première loi du comportement stratégique est l’action. En situation d’incertitude, lorsque la légitimité du pouvoir est précaire et peut être remise en cause à tout moment, celui qui n’agit pas peut être sûr que les changements auront lieu à son désavantage. (…)
Mais pour que le miracle du pouvoir se produise, il ne suffit pas d’une action résolue. Il faut aussi qu’il s’agisse d’un acte irréfléchi, car quelle serait la valeur d’une action qui répondrait simplement à la nécessité ? Ce ne serait guère plus que l’acte d’un technocrate, de l’un de ces fonctionnaires mornes et cruels qui agissent au nom de contraintes supérieures, qu’ils prétendent être les seuls à maîtriser. L’essence du pouvoir réside justement dans le contraire. Goethe raconte l’histoire de ce vieux duc de Saxe, original et obstiné, que l’on pressait de réfléchir, de considérer, avant de prendre une décision importante. « Je ne veux ni réfléchir ni considérer, aurait-il répondu, sinon pourquoi serais-je duc de Saxe ? »


L’apogée du pouvoir ne coïncide pas tant avec l’action qu’avec l’action irréfléchie, la seule à même de produire l’effet de sidération sur lequel se fonde le pouvoir du prince.


Le lendemain de l’élection de Trump, Bukele proclamait sur X : « Quelle que soit votre préférence politique, que vous aimiez ou non ce qui s’est passé, je suis certain que vous ne saisissez pas pleinement la bifurcation de la civilisation humaine qui a commencé hier. » Un mois plus tôt, le candidat républicain débarquait à Erie, en Pennsylvanie, où il lançait une solution au problème de la délinquance juvénile calquée sur celle du Caudillo.


Tant que la compétition politique se déroulait dans le monde réel, sur les places publiques et dans les médias traditionnels, les coutumes et les règles de chaque pays en déterminaient les limites, mais quand il déménage en ligne, le débat public se convertit en une foire d’empoigne où tout est permis et où les seules règles sont celles des plateformes. Ainsi, le destin de nos démocraties se joue de plus en plus dans une sorte de Somalie digitale, un État en faillite à la mesure de la planète, soumis à la loi des seigneurs de la guerre numérique et de leurs milices. 


Ce qui a changé par rapport à il y a huit ans, c’est que le socle sur lequel reposait l’ancien ordre s’est effondré. Si, au milieu des années 2010, les Brexiters, Trump et Bolsonaro pouvaient apparaître comme un groupe d’outsiders, défiant l’ordre établi et adoptant une stratégie du chaos, comme le font les insurgés en guerre contre une puissance supérieure, aujourd’hui la situation s’est inversée : le chaos n’est plus l’arme des rebelles, mais le sceau des dominants. 
 
 
Si, en Occident, la première moitié du XXe siècle avait enseigné aux hommes politiques les vertus de la retenue, la disparition de la dernière génération issue de la guerre a permis le retour des démiurges qui réinventent la réalité et prétendent la façonner selon leurs désirs.
Si l’ancien monde supposait des garde-fous – le respect de l’indépendance de certaines institutions, les droits de l’homme et des minorités, l’attention portée aux répercussions internationales –, tout cela n’a plus la moindre valeur à l’heure des prédateurs.
Dans ce nouveau monde, tous les processus en cours seront poussés jusqu’à leurs conséquences extrêmes, aucun d’entre eux ne sera contenu ou gouverné de quelque manière que ce soit. Pedal to the metal, le pied au plancher des accélérationnistes, devient la seule option possible.


Donald Trump, puisqu’on parle de lui, est une forme de vie extraordinairement adaptée au temps présent. L’un de ses traits, dont ses conseillers, en hommage à une époque désormais révolue, se plaignent encore à voix basse, alors qu’ils devraient s’en gargariser haut et fort, est qu’il ne lit jamais. Non pas des livres, bons pour les musées, ni des journaux, qui sont sur la même voie ; l’internaute le plus naïf n’hésiterait pas à classer l’image d’un Trump installé dans un siège de son jet ou dans un fauteuil à Mar-a-Lago un livre à la main, au lieu d’un écran ou d’un hamburger, parmi les deep fakes les plus farfelues qui se puissent concevoir. La question qui tracasse ses conseillers, alors qu’elle devrait les réjouir, est que Trump ne lit même pas les notes d’une page, voire d’une demi-page, qu’ils lui remettent pour le préparer avant un entretien, en résumant les éléments essentiels de la question à traiter. Ces notes, Trump ne leur accorde pas un seul regard. Ni une page, ni une demi-page, ni une seule ligne. Il ne fonctionne qu’à l’oral. Ce qui représente un défi considérable pour quiconque souhaite lui transmettre la moindre connaissance structurée.
Mais quelle importance, puisque ce qui compte est avant tout l’action, dont la connaissance, comme on le sait, est l’un des pires ennemis. Un environnement chaotique exige des décisions audacieuses qui captivent l’attention du public, tout en sidérant les adversaires.


Trump n’est au fond que l’énième illustration de l’un des principes immuables de la politique, que n’importe qui peut constater : il n’y a pratiquement aucune relation entre la puissance intellectuelle et l’intelligence politique. Le monde est rempli de personnes très intelligentes, même parmi les spécialistes, les politologues et les experts, qui ne comprennent absolument rien à la politique, alors qu’un analphabète fonctionnel comme Trump peut atteindre une forme de génie dans sa capacité à résonner avec l’esprit du temps.


Cambridge Analytica a été balayée par les scandales qui ont suivi le vote du Brexit, mais les plateformes en ligne sur lesquelles se déroule une partie de notre vie publique suivent exactement le même principe : augmenter la température pour multiplier l’engagement. Si la mobilisation des préjugés a toujours été le nerf du combat politique, les réseaux sociaux ont permis de lui donner une dimension industrielle. Partout, le principe reste le même. Trois opérations simples : identifier les sujets chauds, les fractures qui divisent l’opinion publique ; pousser, sur chacun de ces fronts, les positions les plus extrêmes et les faire s’affronter ; projeter l’affrontement sur l’ensemble du public, afin de surchauffer de plus en plus l’atmosphère. 
 
 
Après avoir apporté son soutien à Jair Bolsonaro, à Milei et à Bukele. Après avoir massivement contribué à l’élection de Donald Trump aux États-Unis, Musk s’est tourné vers l’Europe. En Grande-Bretagne, il s’est engagé aux côtés du parti à l’origine du Brexit. Et en Allemagne, auprès de l’AfD, le parti d’extrême droite.
Quiconque imaginerait que cette conduite est une des multiples excentricités d’un milliardaire d’origine sud-africaine commettrait une erreur fatale. La vérité est que la démarche de Musk révèle quelque chose de beaucoup plus fondamental, qui va bien au-delà des préférences d’un seul, quoique surpuissant, seigneur de la tech. Quelque chose qui a des racines bien plus profondes et est destiné à avoir des conséquences bien plus sérieuses.
Les conquistadors de la tech ont décidé de se débarrasser des anciennes élites politiques. S’ils parviennent à leurs fins, le monde de Lindner et de tous ses semblables, les libéraux et les sociaux-démocrates, les conservateurs et les progressistes, tout ce que nous sommes habitués à considérer comme l’axe porteur de nos démocraties, sera balayé.


Les nouvelles élites technologiques, les Musk et les Zuckerberg, n’ont rien à voir avec les technocrates de Davos. Leur philosophie de vie n’est pas fondée sur la gestion compétente de ce qui existe, mais plutôt sur une sacrée envie de foutre le bordel. L’ordre, la prudence, le respect des règles sont frappés d’anathème pour ceux qui se sont fait la main en allant vite et en brisant les choses, selon la devise de Facebook.


Aujourd’hui, nous possédons de plus en plus d’informations et sommes de moins en moins capables de prédire l’avenir. Nos ancêtres vivaient dans des sociétés beaucoup plus pauvres en données, mais ils pouvaient faire des plans pour eux-mêmes et pour leurs descendants. Nous avons de moins en moins idée du monde dans lequel nous nous réveillerons demain matin.


Comme le Dieu de Kierkegaard, l’IA ne peut être pensée en termes purement rationnels. Le seul moyen d’entrer en relation avec elle est de faire un acte de foi. Sa grande promesse est de prévoir, même si on ne comprend pas. Les technologues ne voient pas où est le problème. Puisqu’ils ne s’intéressent ni à l’histoire ni à la philosophie, ils ne se rendent pas compte que leur proposition équivaut à un retour à l’époque d’avant les Lumières, à un monde magique, incompréhensible, régi par l’IA que l’on priera comme les dieux de l’Antiquité.


« Qu’adviendra-t-il de la conscience humaine si son propre pouvoir explicatif est dépassé par l’IA et que les sociétés ne sont plus en mesure d’interpréter le monde qu’elles habitent en des termes qui ont un sens pour elles ? » (Kissinger) 
 

 

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