â–Ľ

mercredi 13 mai 2020

[Josse, Gaëlle] Une femme en contre-jour





 

Coup de coeur đź’“đź’“

 

Titre : Une femme en contre-jour

Auteur : Gaëlle JOSSE

Editeur : Notabilia / Noir sur Blanc

Année de parution : 2019

Pages : 160

 


 

 

 

 

PrĂ©sentation de l'Ă©diteur :   

« Raconter Vivian Maier, c’est raconter la vie d’une invisible, d’une effacĂ©e. Une nurse, une bonne d’enfants. Une photographe de gĂ©nie qui n’a pas vu la plupart de ses propres photos. Une AmĂ©ricaine d’origine française, arpenteuse inlassable des rues de New York et de Chicago, nostalgique de ses annĂ©es d’enfance heureuse dans la verte vallĂ©e des Hautes-Alpes oĂą elle a rĂŞvĂ© de s’ancrer et de trouver une famille.
Son Ĺ“uvre, pleine d’humanitĂ© et d’attention envers les dĂ©munis, les perdants du rĂŞve amĂ©ricain, a Ă©tĂ© retrouvĂ©e par hasard – une histoire digne des meilleurs romans – dans des cartons oubliĂ©s au fond d’un garde-meuble de la banlieue de Chicago. Vivian Maier venait alors de dĂ©cĂ©der, Ă  quatre-vingt-trois ans, dans le plus grand anonymat. Elle n’aura pas connu la cĂ©lĂ©britĂ©, ni l’engouement planĂ©taire qui accompagne aujourd’hui son travail d’artiste. Une vie de solitude, de pauvretĂ©, de lourds secrets familiaux et d’épreuves ; une personnalitĂ© complexe et parfois dĂ©routante, un destin qui s’écrit entre la France et l’AmĂ©rique. 
L’histoire d’une femme libre, d’une perdante magnifique, qui a choisi de vivre les yeux grands ouverts. Je vais vous dire cette vie-lĂ , et aussi tout ce qui me relie Ă  elle, dans une troublante correspondance ressentie avec mon travail d’écrivain. Â»
 
Dix ans après la mort de Vivian Maier, Gaëlle Josse nous livre le roman d’une vie, un portrait d’une rare empathie, d’une rare acuité sur ce destin troublant, hors norme, dont la gloire est désormais aussi éclatante que sa vie fut obscure.

 

 

Le mot de l'Ă©diteur sur l'auteur :

Venue à l’écriture par la poésie, Gaëlle Josse publie son premier roman Les Heures silencieuses en 2011 aux éditions Autrement, suivi de Nos vies désaccordées en 2012 et Noces de neige en 2013. Également parus en édition de poche, ces trois titres ont remporté plusieurs prix, dont le prix Alain-Fournier en 2013 pour Nos vies désaccordées. Ils sont étudiés dans de nombreux lycées et collèges, où Gaëlle Josse est régulièrement invitée à intervenir. Le roman Les Heures silencieuses a été traduit en plusieurs langues et Noces de neige fait l’objet d’un projet d’adaptation au cinéma.

Aux Éditions Notabilia/Noir sur Blanc, Gaëlle Josse a publié trois romans : Le Dernier Gardien d’Ellis Island (2014), L’Ombre de nos nuits (2016), Une longue impatience (2018) et Une femme en contre-jour (2019).

Gaëlle Josse est diplômée en droit, en journalisme et en psychologie clinique. Après quelques années passées en Nouvelle-Calédonie, elle travaille à Paris et vit en région parisienne. Elle anime, par ailleurs, des rencontres autour de l’écoute d’œuvres musicales et des ateliers d’écriture auprès d’adolescents ou d’adultes.

Elle a reçu le prix 2015 de littérature de l’Union européenne pour Le Dernier Gardien d’Ellis Island (Notabilia/Noir sur Blanc).

 

Avis :

Les photographies réalisées sa vie durant par Vivian Maier, Américaine d’origine française et autrichienne née en 1926, n’ont été découvertes qu’après sa mort, tout à fait par hasard. Désormais au panthéon des plus grands photographes de son siècle, cette gouvernante d’enfants issue d’un milieu modeste, voire misérable, grandie sans amour auprès d’une mère dysfonctionnelle, mena une existence solitaire et étrangement libre pour l’époque, centrée sur l’obsession de sa collection d’images qu’elle n’a jamais cherché à faire connaître, qu’elle n’a parfois même jamais vues elle-même, faute de moyens suffisants pour développer ses plaques et pellicules. Elle a laissé la trace de son regard sur le monde et sur elle-même, au travers de scènes de rues croquées sur le vif où elle s’intéresse aux failles de ses sujets, souvent marginaux et laissés-pour-compte, et d’auto-portraits sans coquetterie où elle ne se profile que sous la forme d’ombres ou de reflets. Son personnage reste un mystère, que Gaëlle Josse tente d’approcher au travers de son histoire, étonnante à plus d’un titre, et qu’elle nous restitue fidèlement, avec sensibilité et élégance.

Ce qui frappe chez Vivian Maier est sa volontĂ© de ne pas exister et de s’effacer, qui la fait se transformer en tĂ©moin quasi invisible, en regard qui traverse le monde sans se donner le droit d’y laisser sa marque ni d’y devenir quelqu’un : dans ses images d’êtres souvent misĂ©rables et marquĂ©s par la vie, ces invisibles anonymes qui la fascinent, on est tentĂ© de voir une projection d’elle-mĂŞme, elle qui assiste au naufrage de ses proches dans le dĂ©nuement, la violence, les addictions et la folie, et qui, privĂ©e d’amour dans une famille oĂą chaque naissance engendre honte et rejet, ne se reconnaĂ®t aucune valeur et prĂ©fère se faire discrète pour moins souffrir.

Au fur et à mesure que l’on devine les failles de la personnalité de Vivian, que certains témoignages viennent même teinter d’une suspicion de pathologie quasi psychiatrique, l’on perçoit aussi l’importance vitale qu’a pu revêtir pour elle la prise quotidienne d’images. Loin d’un hobby, la photographie est chez elle un acte salvateur, un moyen qui lui permet sans doute, inconsciemment, d’exprimer et de mettre à distance sa souffrance, de vivre sous la protection de reflets qui la dévoilent et la masquent en même temps. L’appareil-photo de Vivian devient une sorte d’instrument de camouflage, qui en la transformant en miroir réfléchissant, lui permet d’exister au travers de ses sujets, sécurisée par son invisibilité.

L’on ne peut désormais plus que s’émouvoir de la trace fantomatique laissée par cette artiste, et frémir à l’idée que son œuvre aurait bien pu disparaître corps et bien avec elle.

GaĂ«lle Josse a donnĂ© Ă  son rĂ©cit un Ă©quilibre parfait : sans ajouter aux prĂ©dispositions romanesques de cette biographie, avec fidĂ©litĂ©, sobriĂ©tĂ© et discrĂ©tion, elle rĂ©ussit Ă  faire revivre cette femme et son histoire de façon crĂ©dible et vivante, dans un style Ă©lĂ©gant, sensible et soignĂ© qui hypnotise de la première Ă  la dernière ligne. Il ne reste plus ensuite qu’à courir dĂ©couvrir les clichĂ©s de Vivian Maier, et Ă  Ă©ternellement s’interroger sur la manière dont elle aurait considĂ©rĂ© sa notoriĂ©tĂ© posthume. Coup de coeur. (5/5)

 

Citations :

C’est sans importance, maintenant. C’est le passé. Un temps d’avant dont quelques fragments épars surnagent peut-être dans l’océan enténébré d’une mémoire oscillante, fugitivement embrasés, par instants, comme sous le faisceau d’un phare à éclats.

Il faut aussi trier les possessions de Vivian trouvĂ©es dans les cartons ; vĂŞtements, chaussures, chapeaux, papiers et documents divers, vieux appareils photo, camĂ©ras. Il faut aussi faire dĂ©velopper les photos en couleurs trente-cinq millimètres et les films de huit et seize millimètres, Ă©couter les cassettes audio. La tâche est gigantesque. C’est entrer dans un monde foisonnant et fascinant. Un continent disparu, une Atlantide qui ressurgit. C’est aussi approcher, peu Ă  peu, la personnalitĂ© de Vivian Maier, entrer dans une intimitĂ© qui ne peut plus rien faire savoir de ses vĹ“ux et de ses dĂ©sirs. C’est aussi faire surgir des tĂ©moignages contrastĂ©s, troublants. Entrer dans une vie, c’est brasser des tĂ©nèbres, dĂ©ranger des ombres, convoquer des fantĂ´mes. C’est interroger le vide et tendre l’oreille vers des Ă©chos perdus.

En pleine sĂ©grĂ©gation raciale, au cĹ“ur des annĂ©es cinquante, Vivian Maier photographie les Noirs, les Hispanos. Les exclus, les marginaux, les abandonnĂ©s, les abĂ®mĂ©s, les fracassĂ©s. Et que dire de ces innombrables autoportraits qui suffiraient Ă  faire Ĺ“uvre ? Elle s’y montre dans une troublante prĂ©sence-absence, en dĂ©voilant des fragments de corps ou de visage, champ et hors-champ, dĂ©calĂ©e, dĂ©centrĂ©e, inventant une forme de dĂ©sagrĂ©gation, d’effacement du sujet, comme une mĂ©taphore de sa propre existence. Une dĂ©risoire rĂ©sistance contre le nĂ©ant, comme la rĂ©assurance de sa propre identitĂ©.

Vivian entre dans la famille des plus grands, et prend place au panthĂ©on des photographes de rue. Comme si elle rĂ©alisait une synthèse de leurs travaux, de leurs talents, avec quelque chose d’autre, d’unique, qui n’appartient qu’à elle. En ce temps-lĂ , ces annĂ©es cinquante, soixante, ce genre photographique est un domaine pionnier ; peu de femmes se risquent Ă  se confronter Ă  l’espace public, vibrant d’imprĂ©vus, mais aussi de dangers. Vivian ne se pose pas cette question. Elle va au contact. Sans apprĂ©hension. La rue, elle connaĂ®t. Elle montre une sociĂ©tĂ© brutale, des existences âpres, malmenĂ©es, des horizons fermĂ©s, des enfances meurtries, parfois traversĂ©es par la grâce. La misère, lĂ , celle qui dort recroquevillĂ©e sur le pavĂ©. Dans la ville saturĂ©e de vie, de mouvement, l’humain est son territoire.

Et comme nous aimons tous les histoires, comme nous vibrons devant les énigmes, les destins brisés, le mystère Maier n’en finit pas de nous interroger. Insoluble secret d’une existence, terrifiante solitude d’une femme dont le geste photographique, le geste seul donna un sens à la vie, la sauva peut-être du désespoir. Inconcevable pour nous aujourd’hui, en ces temps où nos fragiles et exigeants ego quêtent sans fin l’approbation, l’admiration, le regard. Être vu, reconnu, aimé. Passions, désirs, profits, plaisirs, notre insatiable cavalcade avant le néant.

Elle n’est qu’un réceptacle, un révélateur, plaque sensible de la vie qui vient à elle, dans tout ce qu’elle offre. Aucune gratuité dans ses prises de vue. Aucun hasard. Extrême virtuosité, lorsqu’on connaît un peu le maniement malcommode d’un Rollei. Une photo par sujet, sauf si elle cherche à saisir une séquence, une suite d’actions. Pellicule vierge. Toile blanche. Une pellicule par jour, douze poses. Faible marge d’erreur. Le geste est parfait.

Son regard prodigue a multipliĂ© les miracles nĂ©s d’une exceptionnelle, d’une troublante empathie envers l’univers des exclus, des laissĂ©s-pour-compte, de ceux qui ne possèdent rien, Ă  peine leur propre vie. Elle leur a offert son seul bien, son trĂ©sor : le regard.

Que vaut une sociĂ©tĂ© terrifiĂ©e par ses fous, ses artistes, incapable de protĂ©ger les plus vulnĂ©rables d’entre eux ?

Il y a de la fierté chez elle. Une grande fierté. Celle des vaincus. Ce qui reste quand on a tout perdu. Le regard droit. La nuque raide. Ne rien demander, ne rien attendre. S’épargner le refus, le rejet.

Tout au long de sa vie, Vivian Maier n’est qu’une vĂ©ritĂ© qui se dĂ©robe. L’histoire d’un bouleversant effacement devant l’œuvre. La beautĂ© du geste. La perfection du geste. Rien d’autre. Les yeux prĂŞts pour la photo suivante. 

 

 

Du mĂŞme auteur sur ce blog :

 
 


 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire