J'ai beaucoup aimé
Titre : Des gens sensibles
Auteur : Eric FOTTORINO
Parution : 2025 (Gallimard)
Pages : 160
Présentation de l'éditeur :
« J’avais vingt ans et j’avais écrit le plus beau roman du monde. C’est
Clara qui le disait. Je croyais tout ce que disait Clara. »
Au début des années 1990 à Paris, Jean Foscolani, dit Fosco, s’apprête à publier son premier roman, Des gens sensibles. Saisie par la force de son texte, l’attachée de presse de la maison d’édition, Clara, remue ciel et terre pour que le talent du jeune auteur soit reconnu. Grâce à elle, Fosco rencontre Saïd, un écrivain algérien adulé dans son pays, qui dénonce les atrocités commises par les fanatiques religieux. La vie de Saïd est en permanence menacée. Pendant quelques mois, avec Clara, ils vont former un trio inséparable uni par un farouche désir de liberté, par l’amour et l’amitié, et surtout par la conviction que la littérature est plus grande que la vie.
À travers ce roman bouleversant, Éric Fottorino offre une plongée incomparable dans l’univers littéraire de la fin du XXᵉ siècle, sur fond de drame algérien et de foi immense dans le pouvoir des mots.
Au début des années 1990 à Paris, Jean Foscolani, dit Fosco, s’apprête à publier son premier roman, Des gens sensibles. Saisie par la force de son texte, l’attachée de presse de la maison d’édition, Clara, remue ciel et terre pour que le talent du jeune auteur soit reconnu. Grâce à elle, Fosco rencontre Saïd, un écrivain algérien adulé dans son pays, qui dénonce les atrocités commises par les fanatiques religieux. La vie de Saïd est en permanence menacée. Pendant quelques mois, avec Clara, ils vont former un trio inséparable uni par un farouche désir de liberté, par l’amour et l’amitié, et surtout par la conviction que la littérature est plus grande que la vie.
À travers ce roman bouleversant, Éric Fottorino offre une plongée incomparable dans l’univers littéraire de la fin du XXᵉ siècle, sur fond de drame algérien et de foi immense dans le pouvoir des mots.
Un mot sur l'auteur :
Éric Fottorino est un journaliste et écrivain français né en 1960, cofondateur, directeur de la publication, écrivain, ancien PDG du groupe Le Monde, auteur d'essais et de romans.Avis :
Dans une fiction d’inspiration largement autobiographique, Eric Fottorino fait revivre ses fantômes d’une façon toute modianesque, pour un hommage à fleur de peau à la littérature et à la liberté d’expression au travers d’une très passionnée attachée de presse éditoriale et d’un écrivain algérien devenu la cible des fanatiques religieux dénoncés dans ses livres.Le jeune narrateur Jean Foscolani, dit Fosco presque comme Fotto, est aux anges de voir son premier livre publié par les éditions du Losange. Il est emporté dans le tourbillon festif et mondain de Clara, l’attaché de presse déterminée à en faire la coqueluche de la rentrée littéraire. Cette femme solaire et insomniaque qui semble ne se nourrir que de la fumée de ses cigarettes, de champagne et de littérature, mène sa vie tambour battant, noyant de vieilles blessures dans sa passion pour les livres et leurs auteurs. Une relation amoureuse agitée la lie à Saïd, un écrivain algérien contraint à l’exil sous protection policière, que la violence et la peur font sombrer toujours plus profond dans l’alcool et le désespoir.
Avec la tendresse grave et nostalgique du témoin qui se retourne quelque trente ans plus tard sur ce qui fut son épiphanie d’écrivain, mais aussi une tragédie vécue dans une impuissance déférente et triste puisque Clara et Saïd – dans la vie réelle Chantal Lapicque, attachée de presse chez Stock, et Rachid Mimouni, écrivain censuré en Algérie et traqué par les islamistes – ne devaient pas tenir très longtemps à ce rythme, Fosco raconte sa fascination pour ce duo de fortes et brillantes personnalités qui, inventant contre leurs douleurs un espace littéraire et intellectuel comme échappé des contingences du monde, lui ont ouvert les portes du microcosme littéraire parisien en même temps que d’une carrière pleine de reconnaissance.
Et puis Fosco, comme Fotto, doit lui aussi composer avec ses propres souffrances et sa quête identitaire, sa mère refusant de lui délivrer sur son père plus que la seule information de son origine nord-africaine, comme Saïd. Avec la pudeur et la délicatesse des « gens sensibles », l’on pourrait même dire ici écorchés vifs, l’auteur raconte le pouvoir de l’écriture et la littérature comme espace de liberté, de découverte de soi et d’orpaillage de la vraie vie. Et, puisqu’ « on écrit pour pouvoir se taire », lui sait qu’en devenant écrivain, il a « choisi [s]a naissance. » Il est devenu « l’enfant de [s]es livres », qui ne « racont[e] pas [s]a vie », mais « l’invent[e] en l’écrivant. »
Autofiction fine et pudique, ce roman est le récit touchant d’une naissance à l’écriture et, à travers elle, d’une naissance à la vie, doublé d’un formidable hommage à celle qui, vouant son existence à ses auteurs, en a été l’accoucheuse. La littérature se fait ici espace vital, au sens propre comme au figuré. Salvatrice pour Fosco-Fotto et ses interrogations identitaires, elle était pour Saïd et Rachid Mimouni, comme elle l’est encore aujourd’hui pour tant d’auteurs persécutés, Boualem Sansal ou Kamel Daoud pour l’Algérie, mais aussi Ahmet Altan en Turquie par exemple, l’ultime refuge d’une liberté bafouée. (4/5)
Citations :
J’avais besoin de la retrouver, de sentir sa présence. J’ai bu un thé sur une terrasse du Palais-Royal. J’étais seul avec son fantôme qui s’entourait de livres sans les lire, mais les butinait follement. Je songeai que, toute diminuée qu’elle était, ou justement parce qu’elle l’était, Clara éprouvait mieux que personne les vertiges de la littérature, ses sommets sans air, son souffle à tout renverser. Ses parfums violents. Ses états d’urgence. Elle savait qu’une émotion tissée de mots peut vous transformer à jamais. Ce frisson, elle le recherchait dans chaque roman qu’elle passait des nuits entières à parcourir en aveugle, le cœur aux aguets.
En écrivant, espérais-je fiévreusement, je laisserais une trace, même ténue, dans l’esprit de ceux qui me liraient. J’observais Clara dans ces instants exaltés où elle dénichait pour moi des trésors. Concentrée dans sa recherche, elle attrapait les ouvrages à la façon d’un chercheur d’or secouant son tamis au-dessus d’une rivière. Subitement son regard s’éclairait, empli de toute l’excitation qui vient avec la certitude d’avoir, même une seconde, perçu le visage de la vie. Et je me retrouvais comblé, orpailleur joyeux, les mains pleines de littérature.
Jean-Claude se mit alors à murmurer : « Clara, elle me fait penser à un personnage des Pièces noires d’Anouilh, ça te dit quelque chose ? » Comme je faisais non de la tête, il poursuivit en baissant encore le ton : « Dans La Sauvage, il est question d’une violoniste qui joue dans un orchestre de bastringue. Un pianiste virtuose en tombe follement amoureux. Il la convainc même de l’épouser. Elle accepte. Mais un soir avant de le retrouver, alors qu’elle a troqué sa vieille robe noire pour une belle toilette, elle entend un chien aboyer dans le lointain. Elle se regarde dans le miroir. Elle ôte sa jolie tenue, renfile l’ancienne. Elle ne rejoindra pas l’homme qui l’aime. Clara ressemble à cette femme. Il y aura toujours un chien perdu qui aboie dans la nuit et l’empêchera d’être heureuse. »
J’appréhendais qu’elle surgisse et qu’elle me questionne sur ce que j’avais écrit depuis toutes ces années. Aurait-elle été surprise que je gratte comme une plaie mon histoire familiale ? Aurait-elle découvert dans mes romans d’aujourd’hui la trahison du jeune homme que j’étais ? Avais-je été à la hauteur de son attente, et de la mienne ? Avais-je dit ce que j’avais à dire ? Avais-je écrit l’indicible d’une main ferme sur des jambes de roseau ? Avais-je su accueillir les soleils et la pluie froide, les tempêtes, les accalmies, les moments de doute et d’ennui d’où peut jaillir une brèche de lumière ? Avais-je atteint le profond, le sincère, le nu des choses ? L’écriture avait-elle pris possession de moi ? Avais-je réussi à me rencontrer ? Et surtout, avais-je compris qu’écrire était impossible, mais que je n’avais d’autre choix qu’écrire ? Avais-je compris qu’on écrit pour pouvoir se taire ?
J’avais renoncé à parler avec maman, depuis tout ce temps qu’elle gardait son secret, et que ce secret me faisait écrire des mots comme des murs porteurs. Le silence m’avait construit. Berbère du Maroc ou d’Algérie, lié à Jo Attia ou à Mouloud Feraoun, peu m’importait désormais. J’avais choisi ma naissance. Je serais l’enfant de mes livres. Je ne raconterais pas ma vie. Je l’inventerais en l’écrivant.
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