J'ai beaucoup aimé
Titre : Les grands bruits (Foon)
Auteur : Marente DE MOOR
Traduction : Noëlle MICHEL
Parution : en néerlandais en 2018
en français (Les Argonautes)
en 2025
Pages : 320
Présentation de l'éditeur :
Dans un village abandonné de l’ouest de la
Russie, au milieu d’une nature sauvage de plus en plus envahissante,
Nadia et Lev se déchirent autour de leurs non-dits. C’est ici, parmi
leurs animaux, que ce couple de biologistes dirigeait autrefois un
laboratoire et un refuge pour oursons orphelins. Mais les bénévoles ne
viennent plus.
Depuis un certain temps, des bruits étranges se font entendre dans le ciel et la forêt « comme si Dieu poussait des meubles ». Et déjà les souvenirs les plus sombres remontent à la surface. Que reste-t-il de la vie qu’ils voulaient se construire ? Sans fard, Nadia raconte son histoire. Mais peut-on lui faire confiance ? Et qui est Esther, cette femme venue de l’Ouest qu’elle aimerait tant oublier ?
Depuis un certain temps, des bruits étranges se font entendre dans le ciel et la forêt « comme si Dieu poussait des meubles ». Et déjà les souvenirs les plus sombres remontent à la surface. Que reste-t-il de la vie qu’ils voulaient se construire ? Sans fard, Nadia raconte son histoire. Mais peut-on lui faire confiance ? Et qui est Esther, cette femme venue de l’Ouest qu’elle aimerait tant oublier ?
Marente de Moor nous offre le portrait ardent d’une femme aux prises avec ses choix. Les Grands Bruits est un jeu psychologique saisissant et un hommage sublime à la puissance de l’imaginaire.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Née en 1972, Marente de Moor est la fille de l’écrivaine néerlandaise Margriet de Moor. Pour son deuxième roman, La Vierge néerlandaise,
elle a reçu le prestigieux Prix AKO ainsi que le prix de l’Union
Européenne de littérature (2014).
Avis :
De cette Russie qu’elle connaît bien pour y avoir vécu de 1991 à 2001, la romancière néerlandaise Marente De Moor tire une histoire crépusculaire aux frontières de l’étrange, tant ses personnages aux confins d’un monde en déliquescence peinent à rester ancrés dans une réalité qui leur échappe.
Il y a trois décennies de cela, Nadia, jeune étudiante, tombait amoureuse de son professeur de zoologie à Leningrad, de vingt ans son aîné. Enceinte, elle abandonnait ses études pour le suivre au milieu des forêts de l’ouest russe et y ouvrir avec lui une station biologique. Pour se financer, le couple accueillait des touristes étrangers, attirés par les oursons orphelins qu’il prenait en charge.
Alors, que s’est-il passé pour que de ces projets de vie ne reste aujourd’hui qu’un champ de ruines ? Abandonné, le laboratoire à demi écroulé n’est plus occupé que par les chauves-souris et la végétation qui l’ont envahi. Le village dont Nadia et Lev sont les derniers habitants n’a plus d’existence pour les autorités. Pillées par les maraudeurs, pressurées par la forêt, ses datchas en bois autrefois construites artisanalement sont devenues le royaume des esprits frappeurs. D’ailleurs, de grands bruits inexplicables terrifient Lev dont la tête commence aussi à partir en friche. Sa mémoire à lui s’effaçant, Nadia s’efforce de se souvenir pour deux, tout au moins dans les moments qui échappent à son dur labeur quotidien, entre leurs bêtes, le potager et les mille tracas quotidiens d’une existence en autarcie, loin de tout.
Mais, si Lev a pris de l’avance sur elle dans la décrépitude, Nadia n’est pas forcément mieux armée pour affronter la réalité. Si sa mémoire à elle lui joue des tours, c’est qu’enfoui sous les non-dits, un vieux drame n’en continue pas moins d’empoisonner l’esprit de cette femme vieillissante. Un événement a bloqué le temps pour ce couple, le laissant à jamais suspendu hors du monde. Lev et Nadia sont devenus deux pierres dans le courant d’une rivière. Le pays tout entier a changé, induisant pour cette zone rurale une irréductible déshérence. Eux sont restés figés, à observer peu à peu la déliquescence de la Russie recouvrir en un parfait mimétisme le désastre de leur propre vie. Une vieille connaissance indésirable a annoncé sa visite. Il va leur falloir affronter leurs fantômes…
Fine psychologue et peintre d’atmosphère, Marente De Moor superpose habilement les désillusions d’un couple au destin brisé à l‘agonie du monde soviétique dans les années 1990. Maintenus en vie par la nécessité de faire face aux exigences du quotidien – se nourrir et se chauffer monopolisent toute leur énergie –, Nadia et Lev n’ont pas le temps de s’appesantir sur leurs états d’âme ni de comprendre ce qui se passe autour d’eux. Il leur faut juste tenir dans un univers qui s’écroule, la fin de leurs rêves coïncidant étrangement avec celle du monde autour d’eux. Tant la structure du récit que la langue employée, entre gestes rassurants du quotidien et ambiance énigmatique et menaçante, contribuent à la douloureuse poésie du récit, marqué par la dépossession, l’inquiétude et l’étrangeté.
Comment vivre quand tout s’est écroulé ? Entre survie matérielle, rêves refuges et folles hallucinations, Marente de Moor excelle à décrire un déroutant et touchant déséquilibre, un pied dans la réalité, l’autre dans un imaginaire étrange et presque fantastique. (4/5)
Il y a trois décennies de cela, Nadia, jeune étudiante, tombait amoureuse de son professeur de zoologie à Leningrad, de vingt ans son aîné. Enceinte, elle abandonnait ses études pour le suivre au milieu des forêts de l’ouest russe et y ouvrir avec lui une station biologique. Pour se financer, le couple accueillait des touristes étrangers, attirés par les oursons orphelins qu’il prenait en charge.
Alors, que s’est-il passé pour que de ces projets de vie ne reste aujourd’hui qu’un champ de ruines ? Abandonné, le laboratoire à demi écroulé n’est plus occupé que par les chauves-souris et la végétation qui l’ont envahi. Le village dont Nadia et Lev sont les derniers habitants n’a plus d’existence pour les autorités. Pillées par les maraudeurs, pressurées par la forêt, ses datchas en bois autrefois construites artisanalement sont devenues le royaume des esprits frappeurs. D’ailleurs, de grands bruits inexplicables terrifient Lev dont la tête commence aussi à partir en friche. Sa mémoire à lui s’effaçant, Nadia s’efforce de se souvenir pour deux, tout au moins dans les moments qui échappent à son dur labeur quotidien, entre leurs bêtes, le potager et les mille tracas quotidiens d’une existence en autarcie, loin de tout.
Mais, si Lev a pris de l’avance sur elle dans la décrépitude, Nadia n’est pas forcément mieux armée pour affronter la réalité. Si sa mémoire à elle lui joue des tours, c’est qu’enfoui sous les non-dits, un vieux drame n’en continue pas moins d’empoisonner l’esprit de cette femme vieillissante. Un événement a bloqué le temps pour ce couple, le laissant à jamais suspendu hors du monde. Lev et Nadia sont devenus deux pierres dans le courant d’une rivière. Le pays tout entier a changé, induisant pour cette zone rurale une irréductible déshérence. Eux sont restés figés, à observer peu à peu la déliquescence de la Russie recouvrir en un parfait mimétisme le désastre de leur propre vie. Une vieille connaissance indésirable a annoncé sa visite. Il va leur falloir affronter leurs fantômes…
Fine psychologue et peintre d’atmosphère, Marente De Moor superpose habilement les désillusions d’un couple au destin brisé à l‘agonie du monde soviétique dans les années 1990. Maintenus en vie par la nécessité de faire face aux exigences du quotidien – se nourrir et se chauffer monopolisent toute leur énergie –, Nadia et Lev n’ont pas le temps de s’appesantir sur leurs états d’âme ni de comprendre ce qui se passe autour d’eux. Il leur faut juste tenir dans un univers qui s’écroule, la fin de leurs rêves coïncidant étrangement avec celle du monde autour d’eux. Tant la structure du récit que la langue employée, entre gestes rassurants du quotidien et ambiance énigmatique et menaçante, contribuent à la douloureuse poésie du récit, marqué par la dépossession, l’inquiétude et l’étrangeté.
Comment vivre quand tout s’est écroulé ? Entre survie matérielle, rêves refuges et folles hallucinations, Marente de Moor excelle à décrire un déroutant et touchant déséquilibre, un pied dans la réalité, l’autre dans un imaginaire étrange et presque fantastique. (4/5)
Citations :
Tant d’eau a coulé sous les ponts depuis. Sur la Nadia amoureuse est venue se greffer la Nadia enceinte, puis la Nadia mère, et par-dessus encore une autre version de Nadia, plus aguerrie, qui a enfanté pour la seconde fois, et ainsi de suite. Vous pouvez faire une croix sur l’idée d’arracher toutes ces écorces pour revenir à l’homme ou la femme d’origine. Elles sont trop collées les unes aux autres, comme des couches de papier peint ; vous les déchirerez et abîmerez les motifs, et ne récolterez que des lambeaux.
Il est là, en peignoir, ses larges pieds nus enfoncés dans la neige. Je ne l’ai pas entendu s’extraire de la baignoire. Mon mari n’est donc pas seulement inodore, désormais il est aussi inaudible. Cette manière de nous dérober l’un à l’autre pourrait être un phénomène réciproque : il se fait plus discret et j’ai l’ouïe qui flanche ; ma vue baisse et son visage pâlit et s’estompe. C’est peut-être ainsi qu’on est censés vieillir ensemble, sans drame, ni maladie ni décès, chacun se contentant de s’effacer peu à peu des perceptions de l’autre.
Elle paraissait fraîche comme une rose, alors que nous avions le même âge, elle et moi. À mon avis, les femmes s’étiolent sous le poids de leurs principes, tandis que les hommes, au contraire, s’engraissent de leurs certitudes. Regardez les grands hommes d’État : en général, plus leurs mandats sont longs et confortables, plus ils s’empâtent. Les femmes de conviction, au contraire, se fissurent, se dessèchent, se dissolvent tels des fantômes.
Du ressort ? Nadia, c’est le lot de toute notre foutue nation. Nous sommes aussi tendus qu’un ressort comprimé dans le canapé, parce que le monstre assis dessus est trop fainéant pour soulever son cul.
Alors que je descends la rue devant chez nous, je remarque qu’elle s’est considérablement rétrécie. On n’y circule pas assez, les accotements se rejoignent peu à peu, désormais les racines des arbres soulèvent l’asphalte et l’herbe pousse dans les nids-de-poule. Voilà à quoi ressemblent nos routes. Si tout était lisse et rectiligne dans cet immense pays, nous nous endormirions au volant. Mieux vaut que la vie ne soit pas trop facile, disait ma grand-mère, les gens en seraient frustrés ; en Occident, ils se la coulent tellement douce qu’ils ne savent plus quoi faire de leurs journées. Pourtant, plus que tout autre, elle a souhaité l’effondrement de l’Union soviétique. Elle pensait que nos villes ressembleraient à Paris, et nous à des Parisiennes. À quatre-vingts ans, elle a ressorti son français de l’armoire comme une robe de mariée jamais portée, et a patienté. En vain, bien sûr. Rien n’a changé. Tout a tranquillement continué de rouiller.
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