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vendredi 29 juillet 2022

[Heller, Peter] La rivière

 


 

 

Coup de coeur đź’“ 

Titre : La rivière (The River)

Auteur : Peter HELLER

Parution : en anglais (Etats-Unis) en 2019
                  en français (Actes Sud) en 2021

Pages : 304

 

  

  

 

 

 

 

PrĂ©sentation de l'Ă©diteur :  

Wynn et Jack, étudiants en pleine possession de leurs moyens, s’offrent enfin la virée en canoë de leurs rêves sur le mythique fleuve Maskwa, dans le Nord du Canada. Ils ont pour eux la connaissance intime de la nature, l’expertise des rapides et la confiance d’une amitié solide. Mais quand, à l’horizon, s’élève la menace d’un tout-puissant feu de forêt, le rêve commence à virer au cauchemar, qui transforme la balade contemplative en course contre la montre. Ils ignorent que ce n’est que le début de l’épreuve.
Parce que toujours ses histoires, profondément humaines, sont prétextes à s’immerger dans la beauté des paysages, et parce qu’il a lui-même descendu quelques-unes des rivières les plus dangereuses de la planète, Peter Heller dose et alterne admirablement les moments suspendus, l’émerveillement, la présence à l’instant, et le surgissement de la peur, les accélérations cardiaques, la montée de l’adrénaline. Ses descriptions relèvent d’une osmose enchanteresse avec la nature ; ses rebondissements, d’une maîtrise quasi sadique de l’engrenage. Ce cocktail redoutablement efficace – suspense et poésie – est sa marque de fabrique. La Rivière n’y déroge pas.
 

   

Le mot de l'Ă©diteur sur l'auteur : 

Poète, grand reporter nature et aventure, ardent pratiquant du kayak, de la pêche et du surf, et adepte des voyages à sensations fortes, Peter Heller est devenu romancier avec son page-turner post-apocalyptique et néanmoins solaire, La Constellation du chien (Actes Sud, 2013) et salué comme une révélation. Talent confirmé par Peindre, pêcher et laisser mourir (Actes Sud, 2015) et Céline (Actes Sud, 2015 et 2019).

 

 

Avis :

Céistes expérimentés aguerris à la vie en pleine nature, les deux amis Jack et Wynn profitent de leurs vacances universitaires pour entreprendre la descente en canoë du fleuve Maskwa, dans le Nord canadien. Leur périple se complique lorsqu’un gigantesque feu de forêt menace de les piéger. Lancés dans une course contre la montre pour sauver leur peau, ils ne savent pas encore que d’autres périls les guettent, d’origine très humaine cette fois.

Tout commence comme l’une de ces aventures sportives qu’affectionne l’auteur, entre eaux vives et pêche à la mouche, dans le cadre sauvage et grandiose d’une nature propice à la contemplation pour qui apprécie la solitude et des conditions de vie spartiates. Peter Heller écrit d’expérience et restitue avec le plus grand réalisme les moindres nuances de l’eau et de ses tourbillons, l’adrénaline dans les rapides comme les moments de grâce sous les étoiles ou dans les mouvements souples du lancer destiné à leurrer les truites. Son plaisir est communicatif, et assuré des compétences et de la débrouillardise si crédibles de Jack et Wynn, l’on se régale de vivre par procuration quelques beaux moments d’amitié, de communion avec la nature, de dépaysement pimenté de quelques sensations fortes. Mais voilà que lancé sur ce cours d'eau comme aurait pu l'être Edward Abbey, le lecteur se retrouve bientôt catapulté au-devant de tous les dangers.

Car, si la menace est d’abord sourde, centrĂ©e, malgrĂ© bien d’autres dĂ©tails inquiĂ©tants, sur les premiers signes d’un incendie de forĂŞt encore lointain, l’on sait que nos deux campeurs ne peuvent compter que sur eux-mĂŞmes, et que, quoi qu’il arrive, leur seule porte de sortie est l’aval de ce fleuve. D’ores et dĂ©jĂ  ferrĂ©, le lecteur est bien vite emportĂ© par la montĂ©e en puissance d’un rĂ©cit en train de virer au cauchemar. Pourtant, mĂŞme au plus fort de l’enfer, le texte ne se dĂ©partit jamais d’une certaine poĂ©sie. Et mĂŞme si rĂ©alistes et impressionnantes, les Ă©vocations de l’avancĂ©e du feu, de sa puissance dĂ©vastatrice, et du dĂ©cor lunaire laissĂ© dans son sillage, ne se dĂ©parent pas de leur sensibilitĂ© esthĂ©tique : une particularitĂ© gĂ©nĂ©rale qui gomme toute âpretĂ© dans le roman, oĂą l’on cherchera en vain une vĂ©ritable noirceur, et qui, pour agrĂ©able soit-elle, en limite sans doute quelque peu l’impact. Il suffit pour s’en convaincre de comparer l’émotion ressentie Ă  la sidĂ©ration provoquĂ©e par les rĂ©cits vĂ©ridiques sur les Grands Feux qui dĂ©vastèrent le nord de l’Ontario au dĂ©but du XXe siècle, et dont Jocelyne Saucier donne un aperçu dans son roman Il pleuvait des oiseaux.

D’un suspense prenant, ce livre mĂŞle agrĂ©ablement aventure, nature-writing et poĂ©sie. Le lecteur s’y laisse happer avec plaisir, et convaincu par l’expĂ©rience de l’auteur en matière de sports en eaux vives et de voyages Ă  sensations fortes, oubliera volontiers certains aspects peut-ĂŞtre un peu trop « jolis Â» du rĂ©cit. Coup de coeur. (5/5)

 

Citations :

VoilĂ  ce qu’il aimait dans la poĂ©sie : elle faisait en quelques secondes ce qu’un roman faisait en plusieurs jours. Un tableau pouvait avoir le mĂŞme effet, et une sculpture.
 

Paulson a aussi dit qu’un principe rĂ©git l’esthĂ©tique : plus on enjolive quelque chose, plus on risque d’en diminuer la valeur. La valeur essentielle.
 

« Les plus gros feux. Ils parlent, exactement comme ça. Écoute. Â»  
Ils Ă©coutèrent. Qui savait Ă  quelle distance il Ă©tait. Pas encore assez près pour couronner le mur d’arbres de lumière. Il y avait d’autres sons : les turbines d’un bombardier qui dĂ©chirent l’air, mille sabots dans une cavalcade, le vacarme de boucliers qui s’entrechoquent, les applaudissements croissants de multitudes comme noyĂ©es sous des rideaux de pluie. De la pluie. Torrentielle. Balayant une vallĂ©e et s’engouffrant dans un col. CrĂ©pitant dans la forĂŞt et imbibant la toundra. Wynn ferma les yeux et aurait pu jurer entendre l’arrivĂ©e d’un orage. Comme si le feu dans sa fureur Ă©tait atteint de glossolalie et pouvait parler le langage de ses ennemis. Et chanter aussi. Par-dessus ce bruit, très lĂ©ger, il perçut un raclement aigu, un vrombissement d’air qui s’élevait et retombait presque comme dans une mĂ©lodie.
 

Wynn s’avança jusqu’à l’eau. Il regardait dans le noir. Entre les grands arbres des berges se déroulait une bande d’étoiles, une rivière de constellations qui coulait étourdiment sans être inquiétée le moins du monde. Entre les plus brillantes, venant titiller le bras d’Orion et la tête du Taureau, des distances d’étoiles en formation de plus faible intensité et que Wynn observait, un courant profond, ininterrompu, traversé de bulles de lumière comme l’eau gazéifiée d’un rapide. Si ce n’est qu’il pouvait voir à l’intérieur et à travers lui, que ce courant possédait des dimensions insondables aussi vides d’émotion qu’elles étaient infinies. Et si cette rivière, ce firmament, coulait, elle coulait avec une immobilité majestueuse.
 

Le terrain Ă  l’est montait doucement depuis la rivière, il avait dĂ» y avoir un vaste soulèvement tectonique Ă  cet endroit, ce qui permettait Ă  Wynn de voir une bonne partie du ruisseau qui ressemblait Ă  une crĂ©ature sinueuse aux Ă©cailles luisantes serpentant sur la couture entre le vert et le noir, la vie et la mort. Le cĂ´tĂ© vert Ă©tait tout en plumeaux et en dĂ©sordre, chaotique de vie. L’herbe et les taillis le long de la berge, les fleurs, les branches d’arbres, tous lancĂ©s dans la course pour bĂ©nĂ©ficier de la lumière du ruisseau. Il entendait les passereaux et les grives. Le cĂ´tĂ© noir Ă©tait rĂ©duit en cendres ; il n’avait pas grand-chose Ă  dire et son silence Ă©tait bizarrement Ă©loquent. Wynn trouvait cette frontière aussi violente et triste que l’Hadès.
 
 
Wynn regarda l’étendue de ciel en aval qui se courbait entre les murs de forĂŞt vivante. BientĂ´t dans cette veine du firmament palpiterait une Ă©toile, puis trois, puis cent et celles-ci se multiplieraient, s’intensifieraient jusqu’à couler entre les cimes et former leur propre rivière dont les criques et les virages reflĂ©teraient ceux sur lesquels se trouvaient Jack, Wynn et Maia. Ce n’était pas une idĂ©e neuve et il adorait penser Ă  ces deux rivières. La rivière d’étoiles cheminerait vers sa propre baie, son ocĂ©an de constellations et Wynn imagina, comme il l’avait dĂ©jĂ  fait, que l’eau et les Ă©toiles chanteraient l’une pour l’autre dans une tonalitĂ© inaudible pour l’oreille humaine. Mais on pouvait sans doute l’entendre. Par moments. En Ă©touffant le bruit de son propre pouls. Une mĂ©lopĂ©e funèbre et mĂ©lodique Ă  l’orĂ©e du son. Wynn pensait que si les loups chantaient, de mĂŞme que les coyotes, les Ă©lans, les oiseaux, le vent et nous aussi, c’était sĂ»rement pour rĂ©pondre Ă  une musique que l’on percevait sans le savoir. 

 

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