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jeudi 9 juin 2022

[Navarro, Mariette] Ultramarins

 


 

 

Coup de coeur đź’“

 

Titre : Ultramarins

Auteur : Mariette NAVARRO

Parution : 2021 (Quidam)

Pages : 156

 

 

 

 

 

 

PrĂ©sentation de l'Ă©diteur :  

« Ils commencent par lĂ . Par la suspension. Ils mettent, pour la toute première fois, les deux pieds dans l’ocĂ©an. Ils s’y glissent. A des milliers de kilomètres de toute plage.»
A bord d’un cargo de marchandises qui traverse l’Atlantique, l’équipage dĂ©cide un jour, d’un commun accord, de s’offrir une baignade en pleine mer, brèche clandestine dans le cours des choses. De cette baignade, Ă  laquelle seule la commandante ne participe pas, naĂ®t un vertige qui contamine la suite du voyage. Le bateau n’est-il pas en train de prendre son indĂ©pendance ?
Ultramarins sacre l’irruption du mystère dans la routine et l’ivresse de la dĂ©rive.

  

Le mot de l'Ă©diteur sur l'auteur : 

Mariette Navarro est nĂ©e en 1980. Elle est dramaturge et intervient dans les Ă©coles supĂ©rieures d’art dramatique. Depuis 2016, elle est directrice avec Emmanuel Echivard de la collection Grands Fonds des Ă©ditions Cheyne, oĂą elle est l’auteure de deux textes de prose poĂ©tique,  Alors Carcasse (2011, prix Robert Walser 2012), Les Chemins contraires (2016). Et chez Quartett de 2011 Ă  2020, des pièces Nous les vagues suivi de CĂ©lĂ©brations, et de Prodiges, Les Feux de poitrine, Zone Ă  Etendre, Les HĂ©rĂ©tiques, DĂ©sordres imaginaires.
Ultramarins
est son premier roman.

 

 

Avis :

Elle qui est parvenue Ă  s’imposer comme commandante de cargo au prix d’une discipline de fer et d’un investissement de tous les instants, sait que tout Ă©cart de vigilance peut lui coĂ»ter la confiance et le respect de ses hommes d’équipage. Pourtant, une inexplicable impulsion lui fait accepter leur fantaisiste requĂŞte : en dĂ©pit du règlement maritime et des consignes de sĂ©curitĂ©, pendant qu’elle restera seule Ă  bord de leur navire mis en panne, radars coupĂ©s, tous s’offriront une baignade en plein milieu de l’Atlantique. Etrangement, quand, après cet intermède aussi clandestin qu’impromptu, chacun a regagnĂ© son poste, un changement de plus en plus perceptible se fait sentir Ă  bord, comme si un nouvel esprit d’indĂ©pendance avait investi jusqu’au bateau lui-mĂŞme...

« Il y a les vivants, les morts, et les marins. Â» Cette commandante de navire n’en a pas vraiment fait le choix, elle sait qu’elle appartient Ă  la mer, et, qu’après chaque escale, il lui tarde de repartir, lĂ  oĂą, face Ă  l’horizon, elle a sa place, loin de l’immobilitĂ© des foules, dans un espace comme suspendu Ă  l’écart de la vie ordinaire, une parenthèse de dĂ©rive et de respiration. Sans se poser la question de ce qui la pousse Ă  larguer les amarres de la sorte, elle a corsetĂ© sa vie en sĂ©quences ordonnĂ©es, passant sans cesse de la terre Ă  la mer, au grĂ© de ses engagements qu’elle investit avec une autoritĂ© et une discipline toutes militaires. Il faut dire, qu’en dehors des conditions mĂ©tĂ©orologiques, la course des cargos n’a rien d’alĂ©atoire, et qu’au final, mĂŞme en mer, la vie finit par ĂŞtre aussi millimĂ©trĂ©e que partout ailleurs. Surtout pour une femme, lorsqu’elle doit constamment faire ses preuves dans un univers masculin…

Alors, un jour, dans cette routine insidieusement devenue trop pesante, voire mĂŞme proche du non-sens, survient presque inconsciemment un sursaut, une sorte d’acte manquĂ©, un « oui Â» lâchĂ© sans rĂ©flĂ©chir Ă  une demande incongrue mais qui devait faire Ă©cho Ă  une envie de transgression profondĂ©ment refoulĂ©e. Soudain rĂ©vĂ©lĂ©e, la fĂŞlure longtemps ignorĂ©e devient brusquement lĂ©zarde. Et c’est comme si un autre moi venait sans prĂ©venir de prendre le contrĂ´le, dĂ©brayant dĂ©finitivement ce qui n’était plus devenu qu’une sorte de pilotage automatique. A l’unisson de cette transformation inopinĂ©e, le bâtiment lui-mĂŞme rĂ©pond diffĂ©remment, le rationnel fait place Ă  la fantaisie, et le lecteur, fascinĂ©, bascule avec surprise dans un mystère teintĂ© de poĂ©sie.

Ce premier roman merveilleusement original est une jolie surprise métaphorique, un rien désarçonnante, pleine d’une onirique fantaisie ouvrant plusieurs niveaux de lecture. C’est d’ailleurs en le parcourant une seconde fois que chacune de ses phrases se déploie avec une nouvelle force poétique, renouvelant le délice de ses mots judicieusement choisis. Entre frisson, poésie et mystère, une plume de qualité pour un singulier coup de coeur. (5/5)

 

Citations :

Il y a les vivants, les morts, et les marins.
On peut respirer encore et être déjà mort. On peut être discret, terriblement vivant. On peut porter la mer en soi, en n’ayant jamais senti l’odeur du sel, en n’ayant même jamais quitté la campagne ou la ville.
On sait quand on est mort ou quand on est marin, même rivé au sol. On sait quand on dérive, quand on passe à côté. Quand le sol n’est pas ferme sous les pieds. On sait quand on est d’ici sans en être, et toujours appelé au départ.
Il y a les marins, qui pour certains n’ont jamais vu la mer, et ne s’appelleraient jamais eux-mêmes de ce nom qu’ils ne connaissent pas. Ils portent quelque chose des disparus alors même qu’on leur parle, qu’on les tire vers la vie pour conjurer l’angoisse, alors même qu’on les touche et leur soutire des promesses.
Il y a les marins, absents jusqu’au vertige, familiers de la mort sans en passer la frontière, travaillés par la question jusqu’à la maigreur, plus là quoi qu’il en soit, dérivant les pieds fixes, avec ce pouvoir qu’on leur envie d’observer de loin comment la vie se débrouille sans eux.


Derrière son hublot, elle regarde le soleil percer la brume pour mieux plonger dans l’eau, dans une belle verticale orange, qu’un dernier brouillard étale à gros traits. Saignée ocre, de nouveau, mais elle aimerait que ce soit la cicatrice plutôt que la blessure, et que dès demain on retrouve la santé bleue du voyage.

Quand elle avait vu que l’orage ne s’arrêtait pas, elle avait été prise d’une panique qu’elle découvrait avec lui depuis qu’il ne parlait plus. N’étant pas mère, elle ne pouvait que deviner que c’est cette panique pour laquelle on signe année après année quand on a un enfant, celle qui fait se lever la nuit pour vérifier une respiration, et ne rester qu’à la surface de tous les sommeils, toujours avoir une oreille dressée à l’affût des monstres.

C’est là qu’elle se réfugiait elle aussi les premiers temps, quand elle n’avait pas envie qu’on la trouve. Maintenant, quand elle en a besoin, elle arrive à se cacher à l’intérieur d’elle-même sans que rien n’y paraisse.

 

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