Coup de coeur đź’“đź’“
Titre : Des diables et des saints
Auteur : Jean-Baptiste ANDREA
Année de parution : 2021
Editeur : L'Iconoclaste
Pages : 268
Présentation de l'éditeur :
Joseph est un vieil homme qui joue divinement
du Beethoven sur les pianos publics. On le croise un jour dans une
gare, un autre dans un aéroport. Il gâche son talent de concertiste au
milieu des voyageurs indifférents. Il attend. Mais qui, et pourquoi ?
Alors qu’il a seize ans, l’adolescent est envoyĂ© dans un pensionnat religieux des PyrĂ©nĂ©es, Les Confins. Tout est dans le nom. Après Les Confins, il n’y a plus rien. Ici, on recueille les abandonnĂ©s, les demeurĂ©s. Les journĂ©es sont faites de routine, de corvĂ©es, de maltraitances. Jusqu’Ă la rencontre avec Rose.
Le mot de l'Ă©diteur sur l'auteur :
Avis :
Le vieux Joseph gâche ses talents de pianiste concertiste en jouant Beethoven Ă la perfection dans les gares et les aĂ©roports, oĂą il semble indĂ©finiment guetter quelqu’un. Cinquante ans plus tĂ´t, un adolescent dĂ©barque au pensionnat religieux Les Confins, dans les PyrĂ©nĂ©es. RĂ©cemment orphelin, il dĂ©couvre privations et brimades dans cet Ă©tablissement quasi pĂ©nitentiaire, oĂą Ă©chouent enfants abandonnĂ©s ou diffĂ©rents. Mais il y aperçoit aussi Rose, une jeune fille dont la famille possède une rĂ©sidence Ă proximitĂ©.
Le coeur du roman est très sombre, puisqu’il nous plonge dans la violence et la maltraitance subies par des enfants confiĂ©s Ă un pensionnat religieux. L’aperçu des conditions de vie ineptes, soigneusement camouflĂ©es pour ne pas transparaĂ®tre au-dehors – châtiments corporels, mise Ă l’isolement, malnutrition, humiliations… –, s’accompagne du portrait au vitriol d’un homme d’Ă©glise au coeur sec, totalement dĂ©pourvu d’empathie, obsĂ©dĂ© par une discipline brutale et vengeresse. Sa cruautĂ©, perversement dissimulĂ©e sous une façade charitable et paterne destinĂ©e aux occasionnels tĂ©moins extĂ©rieurs, s’exerce sans frein dans l’enceinte fermĂ©e qui livre Ă sa merci des victimes sans recours.
Pourtant, jamais le rĂ©cit ne cède tout Ă fait Ă la noirceur. L’amitiĂ© et la solidaritĂ© entre pensionnaires, puis bientĂ´t l’amour pour une jeune fille elle-mĂŞme en rĂ©bellion contre la condition fĂ©minine de son milieu bourgeois, viennent prĂ©server Ă©motion et humanitĂ© dans un texte traversĂ© par l’espoir, l’envie de libertĂ©, et la beautĂ© musicale. Nombreux sont les personnages bouleversants. A commencer par le vieux professeur de piano de Joseph autrefois, un gĂ©nie bougon et exigeant qui n’aura jamais su Ă quel point il aura servi de tuteur Ă son Ă©lève. Mais aussi, Momo, l’enfant que sa dĂ©ficience rend doublement orphelin, de sa famille et de lui-mĂŞme, et pour qui l’enfer du pensionnat vaut encore mieux que ce qui l’attend au-dehors. Et bien sĂ»r, Joseph vieilli, qui se souvient, et dont on devine, au travers des non-dits, le gouffre qu’est demeurĂ© sa vie, lui permettant du mĂŞme coup, avec une cruautĂ© ironique, d’atteindre Ă son tour la perfection musicale.
L’on retrouve avec plaisir le style de Jean-Baptiste Andrea, son juste choix des mots et des images, avec toutefois le regret que l’Ă©criture paraisse un peu moins travaillĂ©e que dans Cent millions d’annĂ©es et un jour. MĂŞme si cette dĂ©ception est toute relative, je n’ai pas retrouvĂ© aussi nettement et aussi souvent la beautĂ© des phrases qui m’avait alors sĂ©duite au-delĂ du coup de coeur, faisant de ce prĂ©cĂ©dent roman de l’auteur une de mes lectures phares de l’annĂ©e 2019. Cela n’empĂŞche pas Des diables et des saints de rejoindre mes coups de coeur de 2021, la nuance de jugement s’Ă©tablissant seulement entre l’excellent et l’exceptionnel. (5/5)
Le coeur du roman est très sombre, puisqu’il nous plonge dans la violence et la maltraitance subies par des enfants confiĂ©s Ă un pensionnat religieux. L’aperçu des conditions de vie ineptes, soigneusement camouflĂ©es pour ne pas transparaĂ®tre au-dehors – châtiments corporels, mise Ă l’isolement, malnutrition, humiliations… –, s’accompagne du portrait au vitriol d’un homme d’Ă©glise au coeur sec, totalement dĂ©pourvu d’empathie, obsĂ©dĂ© par une discipline brutale et vengeresse. Sa cruautĂ©, perversement dissimulĂ©e sous une façade charitable et paterne destinĂ©e aux occasionnels tĂ©moins extĂ©rieurs, s’exerce sans frein dans l’enceinte fermĂ©e qui livre Ă sa merci des victimes sans recours.
Pourtant, jamais le rĂ©cit ne cède tout Ă fait Ă la noirceur. L’amitiĂ© et la solidaritĂ© entre pensionnaires, puis bientĂ´t l’amour pour une jeune fille elle-mĂŞme en rĂ©bellion contre la condition fĂ©minine de son milieu bourgeois, viennent prĂ©server Ă©motion et humanitĂ© dans un texte traversĂ© par l’espoir, l’envie de libertĂ©, et la beautĂ© musicale. Nombreux sont les personnages bouleversants. A commencer par le vieux professeur de piano de Joseph autrefois, un gĂ©nie bougon et exigeant qui n’aura jamais su Ă quel point il aura servi de tuteur Ă son Ă©lève. Mais aussi, Momo, l’enfant que sa dĂ©ficience rend doublement orphelin, de sa famille et de lui-mĂŞme, et pour qui l’enfer du pensionnat vaut encore mieux que ce qui l’attend au-dehors. Et bien sĂ»r, Joseph vieilli, qui se souvient, et dont on devine, au travers des non-dits, le gouffre qu’est demeurĂ© sa vie, lui permettant du mĂŞme coup, avec une cruautĂ© ironique, d’atteindre Ă son tour la perfection musicale.
L’on retrouve avec plaisir le style de Jean-Baptiste Andrea, son juste choix des mots et des images, avec toutefois le regret que l’Ă©criture paraisse un peu moins travaillĂ©e que dans Cent millions d’annĂ©es et un jour. MĂŞme si cette dĂ©ception est toute relative, je n’ai pas retrouvĂ© aussi nettement et aussi souvent la beautĂ© des phrases qui m’avait alors sĂ©duite au-delĂ du coup de coeur, faisant de ce prĂ©cĂ©dent roman de l’auteur une de mes lectures phares de l’annĂ©e 2019. Cela n’empĂŞche pas Des diables et des saints de rejoindre mes coups de coeur de 2021, la nuance de jugement s’Ă©tablissant seulement entre l’excellent et l’exceptionnel. (5/5)
Citations :
Une motrice TGV s’Ă©choue voie L, haletant par toutes ses ouĂŻes. Une baleine Ă©lectrique qui nage depuis Nice Ă trois cents kilomètres-heure, le fretin indigeste qu’elle recrache sur le quai, tourbillonnant en une pâte lourde de verre fondu. Les corps qui se dĂ©plient et foncent vers le sommeil, l’alcool, la crise cardiaque, l’ennui, que sais-je. Tout est lĂ , espoirs et dĂ©laissements. Vous ne l’entendez pas.
Mes parents m’Ă©levaient comme un projet, avec une fougue de dictateurs. Ils m’aimaient comme on aime un plan quinquennal. Mais ils m’aimaient. J’Ă©tais leur plan quinquennal.
Le rythme ! gueulait Rothenberg. Le rythme ! » Le vieux Rothenberg m’enseignait le piano. Il Ă©tait froissĂ© comme du papier, visage, cou, mains, un braille de rides Ă donner le vertige. J’avais envie de le repasser chaque fois que je le voyais.
En 1908, en SibĂ©rie, une onde de choc d’origine mystĂ©rieuse vitrifia la terre, abattit soixante millions d’arbres, souffla tout ce qui pouvait l’ĂŞtre sur cent kilomètres. Elle envoya un vortex de poussière et de cendres jusqu’en Espagne. On ne trouva pas la moindre trace d’impact, pas le moindre dĂ©bris au sol. Les explications scientifiques les plus rĂ©centes attribuent le phĂ©nomène Ă l’explosion d’un mĂ©tĂ©ore Ă moins de dix kilomètres de la Terre.
Elle paraissait fâchĂ©e, je n’avais pourtant rien fait. Je n’avais pas encore acquis cette sagesse des hommes mĂ»rs, qui savent qu’en matière de susceptibilitĂ©, il en va des femmes comme de l’Église. Que l’on a forcĂ©ment pĂ©chĂ©, en-pensĂ©e-en-parole-par-action-et-par-omission, et qu’il faut savoir demander pardon mĂŞme si l’on n’a rien fait, puisqu’il ne sert Ă rien de s’opposer Ă un dĂ©cret divin.
Mieux ici. Momo prĂ©fĂ©rait Les Confins Ă la vie qui l’attendait dehors. Je me plaignais de mon statut de rĂ©prouvĂ©, de paria, depuis mon arrivĂ©e. Il suffit de deux mots, mieux ici, pour me faire comprendre que nous avions de la chance. Qu’il y avait pire que d’ĂŞtre orphelin de ses parents, c’Ă©tait d’ĂŞtre orphelin de soi.
Mes parents m’Ă©levaient comme un projet, avec une fougue de dictateurs. Ils m’aimaient comme on aime un plan quinquennal. Mais ils m’aimaient. J’Ă©tais leur plan quinquennal.
Le rythme ! gueulait Rothenberg. Le rythme ! » Le vieux Rothenberg m’enseignait le piano. Il Ă©tait froissĂ© comme du papier, visage, cou, mains, un braille de rides Ă donner le vertige. J’avais envie de le repasser chaque fois que je le voyais.
En 1908, en SibĂ©rie, une onde de choc d’origine mystĂ©rieuse vitrifia la terre, abattit soixante millions d’arbres, souffla tout ce qui pouvait l’ĂŞtre sur cent kilomètres. Elle envoya un vortex de poussière et de cendres jusqu’en Espagne. On ne trouva pas la moindre trace d’impact, pas le moindre dĂ©bris au sol. Les explications scientifiques les plus rĂ©centes attribuent le phĂ©nomène Ă l’explosion d’un mĂ©tĂ©ore Ă moins de dix kilomètres de la Terre.
Elle paraissait fâchĂ©e, je n’avais pourtant rien fait. Je n’avais pas encore acquis cette sagesse des hommes mĂ»rs, qui savent qu’en matière de susceptibilitĂ©, il en va des femmes comme de l’Église. Que l’on a forcĂ©ment pĂ©chĂ©, en-pensĂ©e-en-parole-par-action-et-par-omission, et qu’il faut savoir demander pardon mĂŞme si l’on n’a rien fait, puisqu’il ne sert Ă rien de s’opposer Ă un dĂ©cret divin.
Mieux ici. Momo prĂ©fĂ©rait Les Confins Ă la vie qui l’attendait dehors. Je me plaignais de mon statut de rĂ©prouvĂ©, de paria, depuis mon arrivĂ©e. Il suffit de deux mots, mieux ici, pour me faire comprendre que nous avions de la chance. Qu’il y avait pire que d’ĂŞtre orphelin de ses parents, c’Ă©tait d’ĂŞtre orphelin de soi.
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