samedi 23 mai 2020

[Bomann, Anne Cathrine] Agathe





J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Agathe

Auteur : Anne Cathrine BOMANN

Traductrice : Inès JORGENSEN

Parution : en danois en 2017,
                en français en 2019 chez La Peuplade

Pages : 176

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

Soixante-douze ans passés, un demi-siècle de pratique et huit cents entretiens restants avant la fermeture de son cabinet : voilà ce qu’il subsiste du parcours d’un psychanalyste en fin de carrière. Or, l’arrivée imprévue d’une ultime patiente, Agathe Zimmermann, une Allemande à l’odeur de pomme, renverse tout. Fragile et transparente comme du verre, elle a perdu l’envie de vivre. Agathe, c’est l’histoire d’un petit miracle, la rencontre de deux êtres vides qui se remplissent à nouveau. Anne Cathrine Bomann signe ici un roman intelligent et inattendu, décortiquant avec tendresse les angoisses humaines : être, devenir quelqu’un, désirer et vieillir. Serait-il possible de découvrir enfin de quoi on a vraiment peur ? Tout le monde sait qu’on ne doit pas mélanger la thérapie et la vraie vie ; vois ce qui est arrivé à ce bon Jung.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Anne Cathrine Bomann est psychologue et vit à Copenhague. Elle est douze fois championne danoise de tennis de table et conquiert maintenant le monde littéraire. Traduit dans une vingtaine de langues, Agathe est son premier roman.

 

 

Avis :

A soixante-douze ans, le narrateur, psychanalyste à Paris, en est réduit à compter à rebours les consultations qui le séparent de son départ en retraite, lorsqu’une nouvelle patiente à l’accent allemand, Agathe, vient bouleverser l’ennuyeuse routine et les grises perspectives du vieux praticien. Pour la première fois, le mal de vivre épanché dans son cabinet va éveiller chez lui d’inattendus échos personnels, et la thérapie agir autant sur lui que sur sa cliente dépressive.

Sur un rythme vif, à coups de phrases sobres et dirigées vers l’essentiel, ce court roman happe d’emblée le lecteur, piquant sa curiosité et le tenant désormais sous son charme. L’histoire assène les vérités sans avoir l’air d’y toucher, révélant en quelques mots l’âme de ses personnages, avec une simplicité et une précision non dénuées de poésie. Sans pathos et toute en pudeur, elle immerge dans l’intime et l’émotion, sans même laisser le temps de s’en rendre compte. Vous vous pensiez en terrain neutre, et vous voilà soudain au bord d’un gouffre. Tout paraissait écrit, mais la vie vous entraîne pourtant encore dans l’espoir de ses incertains possibles.

Il suffisait pour cela d’une rencontre que rien ne laissait présager, entre une jeune femme incapable d’affronter sa peur de la vie, et un vieil homme insidieusement emmuré dans l’aliénante protection de la routine et de la solitude. Alors, chacun miroir de l’autre, peut-être oseront-ils quitter la berge pour enfin suivre le flux de leur existence. (4/5).

 

 

Citations :

Pourquoi (...) n’y avait-il personne qui vous disait ce qui arrivait au corps quand on vieillissait ? Qui vous parlait des articulations douloureuses, de la peau excédante et de l’invisibilité ? Vieillir, pensai-je, pendant que l’amertume se déversait, consistait surtout à observer comment la différence entre son moi et son corps grandissait et grandissait jusqu’à ce qu’un jour on soit complètement étranger à soi-même. Qu’y avait-il là de beau ou de naturel ? Et alors que le disque se terminait et que le silence me laissait solitaire dans la pièce, vint le coup de grâce : il n’y avait aucune issue. Il me fallait vivre dans cette prison grise et traîtresse jusqu’à ce qu’elle me tue.

 

En réalité, ce que je voulais dire, c’est que je ne savais absolument pas comment parler à une autre personne en dehors des quatre murs de mon cabinet. Il y avait à présent si longtemps que je n’avais pas mené une conversation normale avec quelqu’un que cela faisait mal d’y penser.

 

Si personne ne vous aime, on peut finir comme une très petite créature. Parfois je me demande si une telle créature est vraiment une personne.

 

Sur le sol du côté droit du lit était installé un matelas avec un édredon et un oreiller. Sur la table de chevet à gauche, là où j’étais assis maintenant, il y avait une lampe, un verre d’eau, une cuvette et une boîte avec des bonbons à la menthe. C’étaient là les remèdes contre la mort.   
 — Je ne suis pas sûr du tout de la façon dont je peux vous aider, Thomas, dis-je. Je n’ai jamais aimé quelqu’un.    
Mes propres mots me prirent de court, mais Thomas se contenta de répondre :    
— Oui, nous n’avons pas tous cette chance. Peut-être vous sera-t-il plus facile de mourir.    
— Peut-être, approuvai-je. Mais plus difficile de vivre.    
Son rire était de pierre tombant sur la pierre.   
 — Vous avez peut-être raison, parvint-il à articuler, tandis que son rire se transformait en toux. Une vie sans amour ne vaut pas grand-chose.    
Je lui souris et nous restâmes un peu en silence avant que je lui demande :    
— Vous avez dit que vous aviez peur ?   
 — Complètement terrifié !    
Il sourit de nouveau, avec les yeux cette fois.    
— C’est agréable de l’avoir dit.    
— Moi aussi, en fait, j’ai peur, avouai-je, mais je n’ai pas tout à fait découvert pourquoi.    
— Je pense que le pire, c’est de ne plus revoir le visage de ma femme. D’aller quelque part où elle n’est pas.    
Pour une raison ou une autre, je comprenais exactement ce qu’il voulait dire.    
— Peut-être n’est-ce pas du tout elle que vous devez lâcher, proposai-je. Peut-être n’est-ce que tout le reste.   
Je n’étais pas sûr que cela fasse sens, mais Thomas tendit la main et prit la mienne, de la même façon que l’avait fait sa femme quelques jours auparavant.    
— C’est vrai, je sentis sa main se resserrer en une faible pression, elle, je ne pourrai jamais la lâcher. Le reste, peut-être.    
Il relâcha ma main, se recroquevilla en un nouvel accès de toux sèche, et je lui tendis l’eau, dont il but quelques gorgées.
— J’espère que vous allez découvrir de quoi vous avez peur, dit-il d’une voix éraillée en se recouchant sur l’oreiller. Tout autre chose serait un terrible gâchis.    
Je lui jetai un regard et haussai les épaules ; est-ce que cela n’avait pas été du gâchis jusqu’ici, pour la plupart ? Je lui demandai quand même :
 — Comment découvre-t-on de quoi on a peur ?    
— Mon expérience, dit Thomas, tandis que ses yeux se fermaient, c’est que l’on commence par ce dont on a la plus grande nostalgie.
 


Je crois que la vie est à la fois bien trop courte et bien trop longue. Trop courte pour qu’on ait le temps d’apprendre comment on doit vivre. Trop longue parce que le déclin devient de plus en plus visible chaque jour qui passe.

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