dimanche 9 février 2020

[Bassignac, Sophie] Le plus fou des deux






Coup de coeur đź’“đź’“

Titre : Le plus fou des deux

Auteur : Sophie BASSIGNAC

Editeur : JC Lattès

Année de parution : 2019

Pages : 304






 

 

Présentation de l'éditeur :

Que rĂ©pondre Ă  un inconnu qui vous met au dĂ©fi de l’empĂŞcher de se suicider le soir du rĂ©veillon  ? Qu’on va l’aider, bien sĂ»r, Ă  changer d’avis. Surtout si, hasard ou prĂ©destination, vous avez dĂ©jĂ  Ă©tĂ© confrontĂ© Ă  la mĂŞme sommation trente ans plus tĂ´t par votre propre père…
Marionnettiste cĂ©lèbre, Lucie Paugham va ainsi commettre l’imprudence de faire entrer un inconnu dans sa vie. Au risque de faire voler en Ă©clats tout ce qu’elle a construit.
Illusion, trahison, humiliation et dĂ©sir de vengeance sont au cĹ“ur de ce roman d’une noirceur jubilatoire, dressant l’autoportrait sans concession d’une artiste totale livrĂ©e Ă  des passions qui la dĂ©passent.


Le mot de l'Ă©diteur sur l'auteur :

Sophie Bassignac est l’auteur de plusieurs romans remarquĂ©s parus chez JC Lattès, dont Mer agitĂ©e Ă  très agitĂ©e (2014), SĂ©duire Isabelle A. (2016) et La Distance de courtoisie (2018). Le plus fou des deux est son neuvième roman.


Avis :

Le père de la narratrice s’est donnĂ© la mort lorsqu’elle avait quinze ans. Des dĂ©cennies plus tard, le drame, douloureusement enseveli par la famille sous une chape de silence, refait soudain surface, lorsque, devenue marionnettiste et auteur de spectacles reconnus, Lucie se sent obligĂ©e de venir en aide Ă  un inconnu qui menace de se suicider. Cette intrusion du passĂ© et d’un homme profondĂ©ment Ă©branlĂ© dans le fragile Ă©quilibre que s’est construit Lucie, aura des rĂ©percussions auxquelles personne ne s’attendait.

Un je ne sais quoi d’originalitĂ© agrĂ©mente ce rĂ©cit qui entraĂ®ne le lecteur, charmĂ© et curieux, dans l’univers très personnel de Lucie. Les thèmes abordĂ©s sont nombreux : entre le poids de la culpabilitĂ© suscitĂ©e par le suicide d’un proche et le travail de sape du dĂ©ni et des secrets, la difficultĂ© de se construire dans une relation parentale sclĂ©rosante Ă  vie, les rĂ©flexions sur la crĂ©ation artistique et la dĂ©couverte de l’art de la marionnette, l’intĂ©rĂŞt rebondit sans jamais flĂ©chir, savamment entretenu par une intrigue riche en surprises. La plume affĂ»tĂ©e de Sophie Bassignac a l’art du mot juste et nous dessine des personnages tout en nuances et contrastes, Ă©voquĂ©s avec tant de vĂ©ritĂ© qu’ils en crèvent les pages.

EclairĂ© par une pointe d’humour dĂ©calĂ© et parfois cruel, pimentĂ© d’observations percutantes et rĂ©digĂ© dans un style dynamique, voici un roman très attachant, dotĂ© d’une singulière personnalitĂ© et d’une vraie authenticitĂ©. Une très jolie surprise et un très gros coup de coeur. (5/5)



Citations :

La vie n’est ni un parcours linĂ©aire dont notre naissance et notre mort seraient les points A et B, ni un cercle parfait refermĂ© sur lui-mĂŞme Ă  la manière des contes de fĂ©es. Croire Ă  ces figures-lĂ , c’est ignorer nos errances, leur beautĂ© et leur essentielle inutilitĂ©. Le destin n’est que l’histoire relue et corrigĂ©e de notre vie, une histoire qui commence par la fin, Ă©crite par les autres le lendemain de notre mort.

Nos références culturelles sont les signes extérieurs de notre richesse intérieure.

Une crĂ©ation chassant l’autre, il faut avancer, aller vers le mieux, courir après cet inconnu qu’on porte en soi et dont on ignore la forme qu’il prendra. L’artiste crĂ©e son propre suspense et joue son va-tout avec un plaisir onaniste qui, sans cesse, le rĂ©gĂ©nère et le ravage.

Philippe avait la grippe. Il avait repoussĂ© son voyage en Afrique du Sud et traĂ®nait sa misère Ă  la maison. Nous vivons ensemble depuis vingt ans mais notre appartement ressemble plus Ă  une gare de transit qu’Ă  un lieu oĂą nous nous posons. Philippe malade et moi coincĂ©e dans mon sas prĂ©-spectacle, nous imitions une vie de couple ordinaire et faisions l’expĂ©rience de la promiscuitĂ©. AssommĂ© par la fièvre, Philippe ressemblait Ă  ces jouets mĂ©caniques qui, arrĂŞtĂ©s dans leur course par un obstacle, cherchent en brĂ»lant l’Ă©nergie de leur pile comment se retourner pour reprendre leur course en sens inverse. Incapable de se concentrer, il ouvrait des livres qu’il abandonnait sur le canapĂ©, son habituel  enthousiasme en berne et son humeur maussade. Souffrants, les hommes sont des enfants qui veulent qu’on leur prĂ©pare les coquillettes que leur faisaient leurs mères. Sa prĂ©sence prolongĂ©e Ă  la maison s’apparentait Ă  une expĂ©rience pĂ©rilleuse. PerturbĂ©e, notre habitude de n’en avoir aucune se dĂ©rĂ©glait exactement comme son opposĂ©e chez les autres.

Changer, c’est se renier. C’est pourquoi on change si peu. C’est accepter d’avoir perdu du temps, admettre qu’on s’est trompĂ© et qu’on a gâchĂ© une partie de notre unique et prĂ©cieuse existence.


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