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samedi 9 mars 2019

[Ariyoshi, Sawako] Le crépuscule de Shigezo



Coup de coeur 💓💓

 

Titre en Français : Le crépuscule de Shigezo

Titre original : ææƒšăźäșș

                        Kƍkotsu no hito

                        (Les annĂ©es du crĂ©puscule)

Auteur : Sawako ARIYOSHI

Traducteur : Jean-Christian BOUVIER

Parution originale : 1972

Parution française : 1986, puis 2018

Editeur : Stock, puis Mercure de France

Pages : 320





PrĂ©sentation de l'Ă©diteur :   

Étant donnĂ© son Ăąge et son Ă©tat mental, il n’allait plus ĂȘtre possible de laisser Shigezo seul la nuit. Nobutoshi et Akiko le regardaient avec inquiĂ©tude. Assis Ă  cĂŽtĂ© d’eux, il semblait ne rien entendre. Il Ă©tait tournĂ© vers le jardin, l’air hĂ©bĂ©tĂ©, les yeux Ă©teints, comme perdu dans un rĂȘve lointain.
« Qu’allons-nous faire ? demanda Akiko

– C’est la premiĂšre fois que je vois un ĂȘtre humain complĂštement gĂąteux! explosa Nobutoshi. Et il faut que ce soit mon pĂšre! Je ne peux pas le supporter!»

Devenu veuf, Shigezo est recueilli par son fils et sa belle-fille. Et c’est sur celle-ci, Akiko, que va reposer cette lourde charge, avec les problĂšmes concrets que cela implique. Mais alors que le vieil homme glisse vers une seconde enfance, elle dĂ©couvrira qu’il symbolise peut-ĂȘtre l'amour le plus authentique, le plus dĂ©sintĂ©ressĂ© qu’elle ait jamais connu.

 

Avis :

Nous sommes dans les annĂ©es soixante-dix. Akiko vit avec son mari et son fils dans un petit pavillon d’un quartier populaire de Tokyo. Le dĂ©cĂšs subit de sa belle-mĂšre lui laisse soudain la charge de son beau-pĂšre, Shigezo, ĂągĂ© de quatre-vingt-quatre ans et montrant des signes inquiĂ©tants de sĂ©nilitĂ©. AprĂšs avoir cherchĂ© toutes les solutions, Akiko va devoir mettre son activitĂ© professionnelle entre parenthĂšses, accueillir Shigezo chez elle et le materner vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Elle va dĂ©couvrir tout le sordide de la maladie et du stade ultime de la vieillesse, mais aussi s’attacher de plus en plus au vieil homme qu’elle accompagnera jusqu’au bout avec tendresse et humanitĂ©. 

L’histoire soulĂšve la question du vieillissement de la population japonaise. Les chiffres Ă©voquĂ©s par l’auteur sont trĂšs pessimistes. En rĂ©alitĂ©, aujourd’hui, presque 30 % des Japonais ont plus de 65 ans, ce qui en fait la population la plus ĂągĂ©e au monde. Comment gĂ©rer le douloureux problĂšme de la dĂ©pendance ? Dans les annĂ©es soixante-dix (et sans doute encore aujourd'hui ?), peu de solutions Ă©taient Ă  la disposition des familles, les maisons de retraite Ă©tant rĂ©servĂ©es aux personnes en bonne santĂ© physique et mentale. Il Ă©tait donc encore trĂšs frĂ©quent de voir cohabiter les diffĂ©rentes gĂ©nĂ©rations, au dĂ©triment de l’activitĂ© professionnelle de l’épouse, encore jugĂ©e trĂšs secondaire :
Ils ne voulaient pas reconnaĂźtre l’apport financier du travail d’une femme dans les revenus du mĂ©nage. Elles se faisaient plaisir en travaillant au-dehors et c’était eux qui supportaient avec patience et indulgence le laisser-aller du mĂ©nage.
C’est donc aussi la place de la femme dans la sociĂ©tĂ© japonaise qui est ici en jeu : le mari d’Akiko ne se sentira jamais concernĂ© par la prise en charge de son pĂšre et ne lĂšvera jamais le petit doigt pour aider son Ă©pouse dans ce qu’il ne considĂšre que des tĂąches domestiques, mĂȘme lorsqu’elle en perdra le sommeil et risquera de compromettre sa propre santĂ©.

Au global, Sawako Ariyoshi nous livre une rĂ©flexion sur la vie et la mort : les personnages du roman prennent soudain conscience de leur propre finitude. Ils dĂ©couvrent la peur de mal vieillir et de connaĂźtre une dĂ©chĂ©ance pire que la mort elle-mĂȘme :
- A l'Ă©poque fĂ©odale, les paysans Ă©taient maintenus dans un Ă©tat de subsistance minimale. C'est pareil avec la mĂ©decine d'aujourd'hui, elle empĂȘche les vieillards de mourir sans les faire vivre pour autant.
- Depuis trois ans il est alitĂ© avec une infirmiĂšre qui s'occupe de lui en permanence : il ne peut avaler que des aliments liquides. J'imagine que, malgrĂ© sa condition de bonze, il doit avoir quelque pĂ©chĂ© terrible Ă  expier... Vous comprenez pourquoi je prĂ©fĂšre dire qu'il est Ă  la retraite. Les gens qui meurent sont moins Ă  plaindre que lui... C'est terrible Ă  dire, mais quand on est rĂ©duit Ă  cela, j'ai l'impression que la vie ne vaut plus la peine d'ĂȘtre vĂ©cue.
- Non, personne ne s'inquiĂšte pour moi. Vous savez, nous les vieux, on gĂȘne plus qu'autre chose : ils attendent tous que je meure. Moi non plus je ne demandais pas Ă  vivre si longtemps mais, si je me suicide, on aura du mal Ă  marier mes petits-enfants... Il faut nous entraider pour dĂ©ranger les jeunes le moins possible... Si l'on ne fait pas assez d'exercices, physiques et mentaux, le corps s'affaiblit et l'on devient vite sĂ©nile. 

Nouveau coup de coeur pour la profondeur et l’élĂ©gance de l’écriture de Sawako Ariyoshi. (5/5)


Le coin des curieux :

EspĂ©rance de vie Ă©levĂ©e, taux de natalitĂ© trĂšs bas, immigration trĂšs faible : le Japon connaĂźt un dĂ©clin dĂ©mographique depuis la fin des annĂ©es 2000. Certains projections statistiques voient la population japonaise tomber à
 zĂ©ro en l’an 3000. La premiĂšre consĂ©quence est l’accĂ©lĂ©ration de son vieillissement : les plus de 65 ans reprĂ©sentent aujourd’hui 27 % des Japonais, ce devrait ĂȘtre 40 % en 2040. 
ProblĂšmes  de dĂ©penses pour la SĂ©curitĂ© Sociale, de paiement des retraites, de prise en charge des personnes ĂągĂ©es : l’État tente d’intervenir depuis le dĂ©but des annĂ©es 1990, lançant plan aprĂšs plan. Peu d’effet notable, si ce n’est un arrĂȘt de la baisse de la fĂ©conditĂ© (1,5 enfant par femme).
Jusqu’au milieu des annĂ©es 1980, la politique sociale comptait sur la prise en charge des parents vieillissants par leurs enfants, trois gĂ©nĂ©rations vivant ainsi frĂ©quemment sous le mĂȘme toit. Aujourd’hui, il n’est plus pensable de demander Ă  des enfants souvent uniques de gĂ©rer parents et grands-parents.
Vieillir au Japon est souvent devenu synonyme d’angoisse. Pour pallier Ă  leur pauvretĂ© et Ă  leur solitude, on voit de plus en plus de personnes ĂągĂ©es au Japon commettre des larcins pour se faire arrĂȘter, et bĂ©nĂ©ficier ainsi du gĂźte et du couvert de la prison. 



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