lundi 17 novembre 2025

[Clermont-Tonnerre, Adélaïde (de)] Je voulais vivre

 




 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Je voulais vivre

Auteur : Adélaïde de CLERMONT-TONNERRE

Parution : 2025 (Grasset)

Pages : 480

 

  

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Par une nuit glaciale, le père Lamandre recueille une fillette de six ans venue frapper avec insistance à sa porte. L’enfant aux yeux admirables tremble de froid et de faim. Elle a les pieds en sang dans ses souliers à boucles d’argent, mais refuse de répondre aux questions qui lui sont posées. Le vieux prêtre ne saura que son prénom  : Anne. Vingt ans plus tard, Anne est devenue Lady Clarick. Richissime, courtisée, elle a l’oreille des grands et le cardinal de Richelieu ne jure que par elle. Pourtant, dans l’ombre, quatre hommes connaissent son vrai visage et sont prêts à tout pour la punir de ses forfaits. Manipulatrice sans foi ni loi, intrigante, traîtresse, empoisonneuse, cette criminelle au visage angélique a traversé les siècles et la littérature  : elle se nomme Milady.
Voici venu le temps d’écarter la légende pour rencontrer la femme. Même un personnage de fiction peut réclamer justice. Ce roman inoubliable, écrit d’une voix puissamment contemporaine, rend vie à Milady et nous offre son histoire dont Dumas a semé les indices dans Les Trois Mousquetaires.
Magnifique portrait d’une femme libre menant, pour sa survie, un jeu dangereux. Dans une époque où trop d’hommes voudraient la contraindre et la posséder, elle se bat – jusqu’à la transgression ultime – pour son pays, pour son idéal et pour sa liberté. 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Adélaïde de Clermont-Tonnerre, ancienne élève de l’École normale supérieure, est journaliste et romancière. Fourrure (Stock) a été récompensé par cinq prix littéraires, dont le prix des Maisons de la Presse et le prix Sagan, suivi par Le Dernier des nôtres (Grasset), Grand Prix du roman de l’Académie française 2016, traduit en dix langues. Et enfin, Les Jours heureux (Grasset, 2021), prix Cabourg du roman.

 

 

Avis :

Espionne au service du cardinal de Richelieu, manipulatrice, séductrice et meurtrière, Alexandre Dumas avait fait de Milady l’ennemie des mousquetaires, une femme fatale fascinante mais vouée à la condamnation, dont le destin dramatique résonne comme une sanction morale. Son passé reste volontairement opaque, renforçant son aura de mystère et de menace.

Prenant le risque de désamorcer la part d’ombre qui faisait la force du personnage, Adélaïde de Clermont-Tonnerre choisit de l’éclairer autrement en la dotant d’une profondeur psychologique. Commençant par une enfance abandonnée et meurtrie, elle lui donne une biographie détaillée, une intériorité et une parole qui raconte ses blessures et ses désirs. La même protagoniste se révèle une héroïne tragique, animée par une soif de liberté et une rage de survivre. Insistant sur son humanité et sa vulnérabilité, le décalage de point de vue transforme le monstre en femme écrasée par les contraintes de son siècle, qui ose revendiquer son droit à l’existence. 

Cette réinvention se lit comme une interrogation sur la manière dont les récits fondateurs ont façonné notre imaginaire collectif, souvent au détriment des personnages féminins. Mettant en lumière les biais du passé, elle propose une lecture plus empathique et nuancée, inscrite dans un mouvement plus vaste où la fiction contemporaine relit les classiques pour interroger la mémoire culturelle et restituer la parole aux figures longtemps marginalisées. L’on pense ainsi à Jean Rhys redonnant une identité à la « folle du grenier » de Jane Eyre dans Wide Sargasso Sea, ou à Margaret Atwood qui revisite l’histoire de Grace Marks dans Alias Grace. Plutôt que de prétendre corriger les classiques de manière anachronique, ces œuvres les illuminent autrement. Elles rappellent que les récits naissent d’un temps donné, et qu’il nous appartient de les relire en gardant à l’esprit leurs zones d’ombre et leurs oublis. 

Ainsi, la Milady revisitée par Adélaïde de Clermont-Tonnerre apparaît comme le contrepoint d’un destin littéraire façonné par les valeurs du XIXᵉ siècle. Chez Dumas, elle incarne la femme jugée dangereuse parce que, séductrice, indépendante et insoumise, elle échappe aux rôles assignés. Dans l’univers du roman, cette transgression des normes sociales et morales ne pouvait qu’appeler la punition, et sa mort devient la sentence exemplaire infligée à celle qui avait osé défier l’ordre masculin. En lui offrant une histoire et une parole, Je voulais vivre déplace ce jugement : sans nier sa noirceur, le roman en révèle les causes et met en lumière une femme broyée par les carcans sociaux de son temps. 
 
Palpitant et audacieux, ce récit élégant et lucide réussit l’exercice périlleux d’éviter l’anachronisme, tout en invitant à relire les classiques avec la conscience qu’ils reflètent, parfois de manière insidieuse, les représentations sociales de leur siècle. Loin de trahir l’œuvre originelle, il en approfondit la lecture en lui donnant une portée presque sociologique, révélant combien la fiction éclaire autant les imaginaires que les structures d’une époque. (4/5)

 

Citations :

Partout en Europe, un mot glorieux le précède désormais : « Toute ville assiégée par Vauban, ville prise, toute ville défendue par Vauban, ville imprenable. »


« Un monastère sans bibliothèque, c’est comme une citadelle sans munitions. » (Saint Benoît)


Vous avez reçu à la naissance le don de la beauté, c’est une chose merveilleuse si vous la confiez à Dieu ou à un être digne de vous, mais elle peut devenir votre malédiction. Je sais que l’idée du mariage vous révolte. J’espère que vous reviendrez sur votre décision. Je doute que vous puissiez vous satisfaire d’une vie de prière et, pour nous autres femmes, il n’est de liberté sans dommages. Si malgré les conseils dont je vous presse, vous deviez persister dans l’idée de suivre un autre chemin, il vous faudra du courage et des appuis…


Je fus frappée par cette liberté de mœurs. Au couvent de Templemars, puis dans le Berry, l’existence de ce type de relation n’avait jamais été évoquée. Même sœur Mary, qui parlait sans détour et m’avait décrit avec force détails les intrigues de la cour au temps de sa jeunesse, ne m’avait pas présenté clairement ces jeux d’amour. Venue de ma province, détournée du droit chemin par un prêtre, mariée à Olivier dont l’intransigeance m’avait coûté si cher, je me rendais compte que j’avais été violemment punie, que j’avais manqué de mourir pour une faute qui n’aurait pas incommodé grand monde ici. À condition d’être bien nés, et d’avoir des protecteurs puissants, les prêtres, les hommes, les femmes, les jeunes filles et les jeunes garçons y suivaient leur plaisir, ce qui n’empêchait ni les mariages ni la vie commune. Les principes de la religion ne semblaient s’appliquer qu’aux bourgeois et aux humbles, ou servaient à faire tomber en disgrâce ceux qui avaient cessé de plaire. Les puritains s’en offusquaient, promettant le royaume à une damnation certaine, quand cette canaillerie enchantait l’héritier du trône. 


 

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