J'ai aimé
Titre : Ils appellent ça l'amour
Auteur : Chloé DELAUME
Parution : 2025 (Seuil)
Pages : 176
Présentation de l'éditeur :
Parce qu’elle a laissé ses amies
organiser leur escapade durant ce week-end de trois jours, Clotilde se
retrouve dans une ville qu’elle avait rayée de la carte. Ici, il y a
vingt ans, elle a vécu avec Monsieur, un homme qui fit d’elle sa Madame
sous prétexte de lui faire du bien. C'est ainsi que Clotilde se
dépouilla d'elle-même, jusqu'à devenir un simple objet, mais un objet
d'amour.
De son assujettissement d’alors, Clotilde a encore honte, et elle a beaucoup de mal à se découdre la bouche pour reconnaître les faits. La preuve : ni Adélaïde, ni Judith, ni Bérangère, ni Hermeline ne connaissent cette histoire, et aucune ne se doute qu’à deux rues de leur location, dans son immense maison, habite toujours Monsieur.
Clotilde se demande si libérer sa parole pourrait aider la honte à enfin changer de camp.
De son assujettissement d’alors, Clotilde a encore honte, et elle a beaucoup de mal à se découdre la bouche pour reconnaître les faits. La preuve : ni Adélaïde, ni Judith, ni Bérangère, ni Hermeline ne connaissent cette histoire, et aucune ne se doute qu’à deux rues de leur location, dans son immense maison, habite toujours Monsieur.
Clotilde se demande si libérer sa parole pourrait aider la honte à enfin changer de camp.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Née en 1973, Chloé Delaume est écrivain. Adepte de l’autofiction et de littérature expérimentale, elle a notamment écrit Le Cri du sablier et Dans ma maison sous terre.
Avis :
Dans ce roman bref et tendu, traversé par une colère sourde, Clotilde, le personnage principal, revient dans la ville où, vingt ans plus tôt, elle a subi une relation d’emprise avec un homme plus âgé – un « Monsieur » qui l’a façonnée, réduite et effacée. Ce retour l’oblige à affronter une mémoire traumatique, longtemps reléguée dans l’ombre, et à se confronter à la honte, au silence et à la dépossession.
Comme souvent chez Chloé Delaume, le texte, situé entre autobiographie et autofiction, adopte une forme résolument radicale et engagée. Clotilde n’est pas Chloé, mais elle en porte les blessures et les colères, transfigurées en matière à la fois littéraire et politique servant de socle à un dispositif critique et à une écriture de combat. Immédiatement reconnaissable, la langue scande et répète dans une musicalité douloureuse, sur un rythme poétique qui fascine autant qu’il peut irriter – notamment lorsqu’il s’accompagne d’une écriture inclusive, marqueur militant en cohérence avec le propos, mais qui peut aussi renforcer une impression de surcharge idéologique.
La colère qui traverse le récit s’installe comme une tension permanente, refusant toute conciliation. Elle ne désigne pas un homme en particulier, mais un système patriarcal diffus, insidieux et destructeur. Cette dénonciation s’accompagne d’un rejet des normes affectives traditionnelles, valorisant la sororité face à une vie en couple perçue comme aliénante. Le texte n’entend pas panser les blessures, mais les exposer et sortir du cadre imposé. Si cette posture est légitime dans son cri, elle laisse peu de place à la complexité des relations humaines, au point de suggérer un désaveu global du lien amoureux.
La parution simultanée de ce livre et de La nuit au coeur de Nathacha Appanah, lui aussi consacré à l’emprise masculine, appelle naturellement la comparaison. Tandis que Chloé Delaume adopte une démarche résolument frontale – chaque mot, comme en boxe, semblant vouloir forcer le silence à partir d’une expérience subjective, sans détour ni adoucissement –, Nathacha Appanah, à l’inverse, privilégie la délicatesse, le tissage patient de récits pluriels et une mise en contexte sociale et historique qui donne à la douleur une profondeur collective. L’une incise sans ménagement pour sonder la plaie, l’autre en esquisse doucement les contours pour mieux contenir la souffrance. D’un côté, cela grince et heurte ; de l’autre, tout cherche à s’apaiser dans la nuance et la finesse introspective.
Sur le plan politique, Ils appellent ça l’amour s’inscrit dans une démarche féministe affirmée, peu soucieuse de diplomatie. Le « Monsieur » n’est pas un personnage isolé, mais le symptôme d’un système qui autorise, banalise et perpétue l’emprise. La narration expose et accuse avec une vigueur adossée à une vérité nécessaire, mais qui peut aussi déranger par son intransigeance.
En définitive, ce texte s’impose comme une œuvre de l’intime traversée par une urgence politique. La voix qui s’y déploie n'a que faire d'apaisement ou de consensus : elle revendique, s’insurge et dérange. En écho à celle de Nathacha Appanah, plus feutrée et contextuelle, elle rappelle que la littérature peut être un lieu de mémoire et de réparation, mais aussi de fracture. Ce livre se lit comme un manifeste, fondé sur le présupposé troublant d’un désaccord profond entre les sexes, où l’amour semble avoir perdu sa légitimité. Une telle radicalité fascine autant qu’elle inquiète, laissant le lecteur face à une parole qui n’a pas pour but de rassembler, mais de secouer. (3,5/5)
Clotilde sait combien la précarité joue un rôle déterminant dans le choix de l’encouplement, peut-être même autant que les carences affectives.
Monsieur était Monsieur, mais il était comme tant d’hommes que leur compagne excuse pour éviter d’admettre que le prince est un loup. Ça déchire tellement le cœur de voir soudain luire l’émail et le pointu de sa dentition, de constater que même si Not all men, dans la chambre à coucher se pourlèche un prédateur. Monsieur était Monsieur et elle, Clotilde Mélisse, se demande si ses amies, mis à part Hermeline, sont concernées aussi. Est-ce que Judith, Adélaïde et Bérangère occultent ou minimisent des souvenirs où leur prince s’est soudain révélé être un loup ? Est-ce qu’elles se sont, comme elle, cousu la bouche ? Clotilde se dit que, si ça se trouve, le dedans de plein de femmes par la honte est rongé.
Si je suis de ce récit la narratrice, c’est pour aider l’autrice autant que l’héroïne à trouver l’antidote, et permettre à leurs sœurs d’imposer leur refus en un chœur sororal ; j’existe pour que le réel soit enfin modifié.
N’oubliez pas que céder ne sera jamais consentir.
Si nombreux, oui, légion. En haut de la pyramide, toujours les intouchables à chaque plainte nous contemplent et nous crachent à la gueule. La célébrité reste le meilleur des talismans pour échapper aux foudres de ce qui serait la Justice. Tant que ne tomberont pas les ogres les plus en vue, les prédateurs conserveront la victoire culturelle. Pour ceux en haut de la pyramide, jusqu’à ceux qui forment sa base, la culpabilité reste une terre étrangère.
Comme souvent chez Chloé Delaume, le texte, situé entre autobiographie et autofiction, adopte une forme résolument radicale et engagée. Clotilde n’est pas Chloé, mais elle en porte les blessures et les colères, transfigurées en matière à la fois littéraire et politique servant de socle à un dispositif critique et à une écriture de combat. Immédiatement reconnaissable, la langue scande et répète dans une musicalité douloureuse, sur un rythme poétique qui fascine autant qu’il peut irriter – notamment lorsqu’il s’accompagne d’une écriture inclusive, marqueur militant en cohérence avec le propos, mais qui peut aussi renforcer une impression de surcharge idéologique.
La colère qui traverse le récit s’installe comme une tension permanente, refusant toute conciliation. Elle ne désigne pas un homme en particulier, mais un système patriarcal diffus, insidieux et destructeur. Cette dénonciation s’accompagne d’un rejet des normes affectives traditionnelles, valorisant la sororité face à une vie en couple perçue comme aliénante. Le texte n’entend pas panser les blessures, mais les exposer et sortir du cadre imposé. Si cette posture est légitime dans son cri, elle laisse peu de place à la complexité des relations humaines, au point de suggérer un désaveu global du lien amoureux.
La parution simultanée de ce livre et de La nuit au coeur de Nathacha Appanah, lui aussi consacré à l’emprise masculine, appelle naturellement la comparaison. Tandis que Chloé Delaume adopte une démarche résolument frontale – chaque mot, comme en boxe, semblant vouloir forcer le silence à partir d’une expérience subjective, sans détour ni adoucissement –, Nathacha Appanah, à l’inverse, privilégie la délicatesse, le tissage patient de récits pluriels et une mise en contexte sociale et historique qui donne à la douleur une profondeur collective. L’une incise sans ménagement pour sonder la plaie, l’autre en esquisse doucement les contours pour mieux contenir la souffrance. D’un côté, cela grince et heurte ; de l’autre, tout cherche à s’apaiser dans la nuance et la finesse introspective.
Sur le plan politique, Ils appellent ça l’amour s’inscrit dans une démarche féministe affirmée, peu soucieuse de diplomatie. Le « Monsieur » n’est pas un personnage isolé, mais le symptôme d’un système qui autorise, banalise et perpétue l’emprise. La narration expose et accuse avec une vigueur adossée à une vérité nécessaire, mais qui peut aussi déranger par son intransigeance.
En définitive, ce texte s’impose comme une œuvre de l’intime traversée par une urgence politique. La voix qui s’y déploie n'a que faire d'apaisement ou de consensus : elle revendique, s’insurge et dérange. En écho à celle de Nathacha Appanah, plus feutrée et contextuelle, elle rappelle que la littérature peut être un lieu de mémoire et de réparation, mais aussi de fracture. Ce livre se lit comme un manifeste, fondé sur le présupposé troublant d’un désaccord profond entre les sexes, où l’amour semble avoir perdu sa légitimité. Une telle radicalité fascine autant qu’elle inquiète, laissant le lecteur face à une parole qui n’a pas pour but de rassembler, mais de secouer. (3,5/5)
Citations :
Monsieur était Monsieur, mais il était comme tant d’hommes que leur compagne excuse pour éviter d’admettre que le prince est un loup. Ça déchire tellement le cœur de voir soudain luire l’émail et le pointu de sa dentition, de constater que même si Not all men, dans la chambre à coucher se pourlèche un prédateur. Monsieur était Monsieur et elle, Clotilde Mélisse, se demande si ses amies, mis à part Hermeline, sont concernées aussi. Est-ce que Judith, Adélaïde et Bérangère occultent ou minimisent des souvenirs où leur prince s’est soudain révélé être un loup ? Est-ce qu’elles se sont, comme elle, cousu la bouche ? Clotilde se dit que, si ça se trouve, le dedans de plein de femmes par la honte est rongé.
Si je suis de ce récit la narratrice, c’est pour aider l’autrice autant que l’héroïne à trouver l’antidote, et permettre à leurs sœurs d’imposer leur refus en un chœur sororal ; j’existe pour que le réel soit enfin modifié.
N’oubliez pas que céder ne sera jamais consentir.
Si nombreux, oui, légion. En haut de la pyramide, toujours les intouchables à chaque plainte nous contemplent et nous crachent à la gueule. La célébrité reste le meilleur des talismans pour échapper aux foudres de ce qui serait la Justice. Tant que ne tomberont pas les ogres les plus en vue, les prédateurs conserveront la victoire culturelle. Pour ceux en haut de la pyramide, jusqu’à ceux qui forment sa base, la culpabilité reste une terre étrangère.
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