mardi 3 décembre 2024

[Bouraoui, Nina] Grand seigneur

 



 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Grand seigneur

Auteur : Nina BOURAOUI

Parution : 2024 (JC Lattès)

Pages : 250

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

A la mort de son père, face à la douleur, Nina Bouraoui se tourne vers l’écriture, vers la « puissance surnaturelle des mots » : pour retrouver son père ou qu’il lui adresse un signe. C’est le portrait d’un homme, d’un père, dont la vie était hautement romanesque et ce sont tous les souvenirs qui reviennent, ce qui lui était attaché : une enfance, l’Algérie, l’amour, un art de jouer, des secrets.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Née en 1967, Nina Bouraoui est romancière. Elle est notamment l’auteur de La voyeuse interdite (prix du Livre Inter 1991), Mes mauvaises pensées (prix Renaudot 2005), et plus récemment Tous les hommes désirent naturellement savoir (Lattès, 2018) et Otages, (Lattès, 2020, prix Anaïs Nin).

 

Avis :

En 2022, Nina Bouraoui perdait son père. En un hommage sobre et bouleversant, elle entremêle ses souvenirs au récit de sa fin de vie dans un service de soins palliatifs.

Né en Kabylie de parents épiciers, Rachid Bouraoui était devenu haut fonctionnaire, diplomate et gouverneur de la banque centrale d’Algérie. Il avait aussi participé à la libération des otages américains en Iran en 1981. Lui qui ne parlait jamais de ses missions était la fierté de sa famille et passait aux yeux de ses filles pour un héros mystérieux, souvent en voyage et peut-être même un peu espion. Réfugié en France au début de la guerre d’Algérie, à l’instigation de son frère bientôt porté disparu alors qu’il avait rejoint les rangs du FLN, il s’y était marié avec une Bretonne, la mère de l’auteur, et n’était rentré en Algérie qu’après l’Indépendance, pour la quitter à nouveau, cette fois définitivement, en 1981, alors que s’y s’annonçaient de terribles violences. Il avait cinquante-six ans, espéra longtemps un rappel qui ne vint jamais et assista de loin aux années de plomb et à la guerre civile. Il ne retourna chez lui qu’à la toute fin de son existence, quand, malade, il alla y liquider maison et papiers.

Lorsque, réduit à l’ombre de celui qu’il était, il entre en soins palliatifs pour ce que tous savent ses derniers jours, c’est d’abord le père, le modèle et le héros de toujours, « le chef, le garant, le protecteur » qui laisse son épouse et ses filles éplorées. C’est aussi la « moitié de son histoire », sa part d’identité algérienne, qui se dérobe soudain irrémédiablement sous les pieds de l’auteur qui, née en Bretagne, aura passé en Algérie les quatorze premières années de sa vie pour ne plus jamais y revenir ensuite, laissant la déchirure, vécue d’autant plus dramatiquement qu’elle s’est faite sans adieux ni empaquetage de souvenirs, s’emplir d’ombre et de silence. Alors, dans cette chambre, ce jardin et ces couloirs du centre de soins palliatifs où, jour après jour, se tissent les rituels d’une attente lourde d’émotions dont la restitution minutieuse semble vouloir encore en retarder l’échéance, l’introspection de l’auteur s’approfondit à mesure que les souvenirs se pressent. Le mourant ayant déjà sombré dans l’inconscience, c’est dans la tête de sa fille que les images d’une vie avec lui défilent, ombres et secrets désormais à jamais impénétrables.

Un récit poignant, d’une grande sobriété, qui, au travers d’une expérience très personnelle, nous renvoie à notre condition universelle de mortels. Tandis que l’auteur inventorie le passé au moment de se projeter dans un avenir sans son père, c’est ni plus ni moins « l’idée de [s]a propre mort » qu’elle apprend à accepter. (4/5)

 

Citations :

La maladie, la mort bâtissent une communauté, celle des Inconsolables qui se reconnaissent, s’entraident, avancent main dans la main dans une obscurité étrangère à celui que le sort n’a pas frappé.

Les morts ou presque morts vivent dans les vivants et meurent une seconde fois quand les vivants, s’ils sont sans descendance, viennent à mourir à leur tour.

« Perdre un père c’est perdre une partie de son toit. Si l’on compare la vie à une maison, la mienne est à demi à l’air libre » ; je saisis aujourd’hui le sens de ses mots et je comprends l’image, en effet, il manque déjà quelque chose à ma construction, même si mon père est encore vivant, mais sa mort prochaine, inévitable hélas je crois dresse un nouveau dessin de ma vie et me donne le vertige. Si lui « part », qui va « partir » après ? Comme si une mort en entraînait une autre, ce qui est faux, mais ma culpabilité reste plus grande que la réalité et je sais combien je pourrais me punir de survivre au patriarche, par égocentrisme et par masochisme, l’un n’avançant jamais sans l’autre chez moi.

Il faut être en paix avec les morts avant leur mort.

 

 

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