Coup de coeur 💓
Titre : Promesses
Auteur : Ovidiu BARON
Parution : Nombre 7 (2024)
Pages : 64
Présentation de l'éditeur :
Il ne s’agit pas d’un village nommé ni d’une ville précise, mais d’espaces psychiques et émotionnels que ces deux concepts représentent. Il s’agit à la fois d’un retour et d’un départ, de la réparation d’une liaison corrompue, mais aussi d’une rupture définitive.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Avis :
Parti de Roumanie pour ses études, Ovidiu Baron est revenu y mener une carrière artistique, entre organisation de festivals, expositions dans des musées et écriture. Il en a gardé les déchirures d’un transfuge, dont son dernier recueil de poésie, rédigé en français, se fait le reflet mélancolique.La Roumanie de l’auteur, celle inoubliable de l’enfance, c’est la campagne simple et laborieuse, où entre vaches et récolte du maïs, on se couchait tôt le soir pour économiser l’électricité. Mais c’est surtout le souvenir enchanté de galopades pieds nus entre gamins, le goût des fruits, du jus de raisin fraîchement tiré et d’un dessert au lait, ou encore le paysage de vergers et de forêts depuis la fenêtre de cuisine de sa grand-mère. Chaque poème ou presque relie l’adulte à ses liens d’alors, parents, grands-parents, tantes, vieux professeur et premier amour, et dès le premier vers – « J’aurais pu naître et mourir là-bas et rien (…) ne m’aurait été étranger » –, apparaît le déchirement qui a tout transformé.
« devant la porte mes parents me font un signe de la main »
« y a des gens et des poèmes qui disent que les parents ne cessent jamais d’attendre leurs enfants »
« rien dans ma vie ne ressemble à leurs projections »
« je ne savais pas que les chiens tenaient à s’évader »
« je n’ai plus les clés de ma mémoire »
« trop de contrastes des moi antagoniques »
« et ma mémoire un coffre-fort dont j’ai égaré à tout jamais la clé »
« devant nous des promesses
derrière nous le temps
Il y a ceux qui partent et surtout ceux qui restent »
L’enfant que fut l’auteur aimait lire, fait grave puisque « ceux qui lisent quittent le village » et ensuite « on n’en [entend] jamais rien parler ». Lui est revenu, mais la voyante qu’avait consulté sa mère avait raison. Il est « devenu quelqu’un », mais « installé dans les histoires de [s]es livres / [il n’est] plus apte à comprendre le monde et tout le monde [le fuit] ». Ce monde qu’il aimait et qu’il a quitté ne l’a pas attendu. Son père est mort. Ses anciennes amours ont vécu. Et lui surtout n’est plus le même, transfuge éternellement ambivalent, un pied dans un vieux monde qu’il ne reconnaît et qui ne le reconnaît plus tout à fait, un pied dans une nouvelle identité dont les promesses avaient donc ce prix.
De cet écartèlement entre deux identités, l’auteur a fait une oeuvre poétique pleine d’une mélancolie universelle, qui parle de la fragilité et du temps qui passe jusqu’à vous voler vos affections les plus chères. Coup de coeur. (5/5)
« j’ai été vraiment triste je vous le jure
j’ai creusé ma mémoire pour retrouver son visage (…)
je n’ai pas pu pleurer »
Citations :
parce que lire c’est vivre
tu lis un livre tu gagnes une vie
jour après jour vie après vie
toujours nostalgique d’une autre vie
passée rêvée ou pas encore
devant nous des promesses
derrière nous le temps
il y a ceux qui partent et surtout ceux qui restent
et qui rient
le rire diaboliquement amoureux de la vie
c’est lui qui est devant nous
qui semble poser des questions
garde le silence sans se taire
tue en caressant
il n’apprend même pas ses leçons il lit répète mon père en s’éloignant
alors mon garçon si tu lis seulement laisse tomber
Il faut aller récolter le maïs
dehors mon arrière-grand-père nous attend
ne le laissez plus lire dit-il
cela les prédispose à fumer
et encore ce qui est plus grave c’est que
ceux qui lisent quittent le village
y en a au moins trois qui sont partis et on n’en a jamais rien entendu parler
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