Coup de coeur 💓
Titre : La Vallée des Lazhars
Auteur : Soufiane KHALOUA
Parution : 2023 (Agullo)
Pages : 244
Présentation de l'éditeur :
Une Renault 18 gravit une pente et fait une arrivée tonitruante dans la nuit. À son bord, Haroun, « cousin préféré » d’Amir, revient d’un exil de trois ans. Il vient assister au mariage de sa sœur Farah, fiancée à un membre du clan d’en face, les Hokbani, qui vouent aux Ayami une haine réciproque et immémoriale. Haroun apporte avec lui les histoires haletantes de ses aventures dans tout le Maghreb. Mais petit à petit, derrière ses récits luxuriants, Amir découvre une autre version, une réalité différente, intimement liée à la vallée et à ses secrets.
La Vallée des Lazhars est l’histoire d’une jeunesse qui se heurte à des frontières de toutes sortes et qui tente de s’en affranchir, par la verve, le panache, la désobéissance – par une solution qui lui est une seconde nature, l’exil.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Avis :
Il a alors vingt ans et étudie le droit à Paris. Cet été-là, six ans après y être jamais retournés, lui et son père reviennent au pays à l’occasion d’un mariage. Ils vont retrouver la famille au grand complet, dans leur ferme originelle toujours accrochée à flanc de montagne, en surplomb de la Vallée des Lazhars et à un jet de pierre de la frontière algérienne. Leur arrivée tient du passage vers un autre monde, alors que sur la route écrasée de soleil serpentant au bord du vide, leur camionnette croise, fonçant dans un envol de poussière, les véhicules déglingués des « trabendos », les contrebandiers de cigarettes qui quadrillent la région. Avant de leur laisser l’accès à ses habitants, la montagne semble dresser son décor aride et escarpé pour rappeler à ses deux fils prodigues combien leur attachement à cette terre, « banale en vérité, sèche et incohérente, sans grand charme », est prodigieusement viscéral.
Pourtant, les Ayami ne sont plus les seigneurs qui, autrefois, régnaient fièrement sur ce versant de la montagne. Leur clan, que « personne entre Fès à l’ouest et Tlemcen à l’est » n’ignore, s’est affaibli à mesure de sa diaspora, et même sa matriarche, la tante d’Amir, sent désormais ses forces et sa mémoire décliner. Cela n’arrange évidemment pas l’ancestrale rivalité qui, pour on ne sait plus quelle raison, les oppose au clan ennemi des Hokbani, quant à lui florissant de l’autre côté de la vallée. Aussi, le mariage que l’on s’apprête malgré tout à célébrer entre la cousine d’Amir et un homme Hokbani est-il l’objet de toutes les tensions. Pour enflammer la haine qui couve, il suffirait peut-être d’un incident, possiblement sous les traits du fougueux et charismatique Haroun, le cousin qu’Amir admire tant, et qui, de retour pour les noces après trois années de mystérieuse absence – personne ne sait pourquoi il avait fui les Lazhars pour l’Algérie –, déclenche autour de lui des réactions pour le moins vives et contrastées. C’est que Haroun n’a que faire des coutumes et des conventions. Et puisqu’il est lui-même amoureux d’une jeune fille Hokbani, la belle Fairhouz, il est prêt à enfreindre toutes les règles pour triompher des obstacles qui l’attendent.
Le retour aux sources d’Amir qui, tel un voyage initiatique, lui fait explorer ses origines en même temps que le passé de sa famille, dans une constante confrontation entre ses identités française et lazhari, mais aussi entre tradition et modernité dans une région reculée du Maroc, se transforme ainsi en histoire d’honneur et d’amour – déclinaison maghrébine du mythe de Roméo et Juliette – , toute d’aventures rebondissantes, de personnages attachants et de paysages envoûtants. Un premier roman puissamment nostalgique, en tout point réussi. Coup de coeur. (5/5)
Citations :
Parmi tous ces gens, certains nous appelaient les « vacanciyines », d’autres nous réservaient un sobriquet plus agressif et dérivé d’« immigrés », les « zmagrias » ; j'avais appris à me méfier de ces derniers.
Ce qui rend une personne brillante, ça n’est pas sa capacité à parler de sujets profonds, mais celle de rendre profondes les choses les plus futiles.
Je secouais la tête, incrédule.
- Pourquoi est-on allés chez eux aujourd’hui ?
- Ils nous ont invités.
- Mais on ne les aime pas, et c’est réciproque…
- Eh bien, souviens-t’en : notre famille est hospitalière avec son pire ennemi, si son pire ennemi tombe malade, elle va à son chevet, s’il meurt, elle le porte dans son linceul jusqu’au cimetière. C’est pareil pour eux.
- C’est idiot. J’ai perdu une après-midi avec des gens que je n’aime pas.
- Quand ils t’invitent, tu acceptes leur hospitalité. Et quand ils viennent chez toi, tu accueilles avec hospitalité. Quand tu hais, il n’y a que l’hospitalité qui te permet de ne pas oublier ce qui est important.
Il s’était arrêté pour me parler en me regardant dans les yeux : je rougis. Je n’étais pas habitué à ce ton solennel de la part de mon père, alors je fis une grimace sceptique, par pudeur. Il me saisit par le bras et repris patiemment :
- Une naissance, un mariage, une mort, ça, c’est important. L’hospitalité fait que tu es avec eux lors de chacun de ces événements. Tu les hais, mais tu n’oublies jamais qu’ils sont heureux ou malheureux des mêmes choses que toi, qu’on a ce point en commun.
- Et qu’est-ce que ça fait, qu’on ait ce point en commun ?
- Ca fait qu’on ne s’entretue pas, répondit mon père, la mine grave. On ne s’entretue pas parce qu’on est mortels, qu’on est semblables, on meurt et on donne naissance. Tu ne tues pas celui que tu as félicité pour la naissance de son enfant. Si tu oublies ça, si tu ne rends pas visite à ton ennemi, tu t’enterres dans ta haine, tu deviens mesquin, et être mesquin, c’est la pire des choses. Etre mesquin, c’est oublier la mort, et oublier la mort, c’est oublier Dieu.
Il me relâcha, se remit en marche et conclut en reprenant son sourire ironique :
- Cette hospitalité est notre unique titre de noblesse. Elle nous permet de haïr sans jamais en venir au meurtre. Les Ayami ont cette noblesse, et les Hokbani aussi. C’est ça, être lazhari.
L’été s’achevait, très vite je reprendrais mes habitudes et mes relations en France, et la vie vécue aux Lazhars serait brusquement rompue. C’était un curieux phénomène, cette migration annuelle de milliers de familles sur les routes de France et d’Espagne. Un cortège de Renault Espace, de Renault trafic, de Peugeot J5. Pour toute une génération, le voyage dans ces camionnettes inconfortables était naturel. Elles transportaient des familles nombreuses en leur sein et des vies entières sur leurs porte-bagages. Partir moins chargé n’était pas envisageable, parce que nous n’allions pas en vacances, nous n’allions pas nous détendre ni explorer des terres, ce n’était pas du tourisme : c’était un déménagement. Nous allions vivre notre deuxième vie où, en même temps que notre langue, notre personnalité entière changeait.
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