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jeudi 22 septembre 2022

[Yan, Lianke] Les jours, les mois, les années

 


 

Coup de coeur đź’“

 

Titre :  Les jours, les mois, les annĂ©es
            (Nian yue ri)     

Auteur : YAN Lianke

Traduction : Brigitte GUILBAUD

Parution : 2002 en chinois,
                  2009 en français (Picquier)

Pages : 160

 

 

 

 

 

 

PrĂ©sentation de l'Ă©diteur : 

Une terrible sécheresse contraint la population d’un petit village de montagne à fuir vers des contrées plus clémentes. Incapable de marcher des jours durant, un vieil homme demeure, en compagnie d’un chien aveugle, à veiller sur un unique pied de maïs. Dès lors, pour l’aïeul comme pour la bête, chaque jour vécu sera une victoire sur la mort. Ce livre est d’une force et d’une beauté à la mesure de cette plaine couronnée de montagnes dénudées où flamboie un soleil omniprésent. Le roman de Yan Lianke est un hymne à la vie. La fragilité et la puissance de la vie, et la volonté obstinée de l’homme de la faire germer, de l’entretenir, d’en assurer la transmission. C’est un acte de foi, aux confins du conte et du chant, à la langue comme jaillie de la nuit des temps ou des profondeurs les plus intimes de l’être.

 

 

Le mot de l'Ă©diteur sur l'auteur :  

NĂ© en 1958 dans une famille de paysans illettrĂ©s du Henan, Yan Lianke a d’abord Ă©tĂ© Ă©crivain officiel de l’armĂ©e, avant de composer des Ĺ“uvres puissantes et empreintes de libertĂ©, souvent mises Ă  l’index par la censure. « Je ne veux me rendre ni au pouvoir politique ni au marchĂ©. Je prĂ©fère garder ma dignitĂ©, mĂŞme si cela signifie mourir de faim. J’ai cette conviction dans le sang. » Yan Lianke a reçu en 2014 le prix Franz Kafka pour l’ensemble de son Ĺ“uvre. 
Yan Lianke est d’abord  traduit et publiĂ© en français avant d’être traduit dans plus de vingt langues.

 

 

Avis :

Un vieillard, que ses forces déclinantes ont empêché de partir avec les autres habitants du village, se retrouve seul pour affronter la sécheresse et la famine. Avec son chien aveugle, il tente de survivre, quelques jours, des semaines, puis des mois, luttant contre un soleil de plomb, une invasion de rats et même une horde de loups. Son seul gage d’avenir est de réussir à faire pousser, coûte que coûte, son ultime pied de maïs.

Le vieil homme, le chien et le pied de maĂŻs : tel aurait pu ĂŞtre le titre de cette fable, que, connaissant la dissidence politique de Yan Lianke en Chine, il n’est pas très difficile de deviner lourde de sens.

Au premier degrĂ©, le rĂ©cit est un conte tragique, aux consonances presque fantastiques. Deux pauvres crĂ©atures, de plus en plus exsangues, se retrouvent en butte Ă  une sĂ©rie d’épreuves et de calamitĂ©s d’une ampleur absolument inĂ©dite et dĂ©vastatrice. Quand tout le monde a fui, tous deux rĂ©sistent avec l’énergie du dĂ©sespoir, compensant leur faiblesse par leur dĂ©termination et leur ruse, repoussant jour après jour une Ă©chĂ©ance que tout dĂ©signe pourtant inĂ©luctable. A la stĂ©rilitĂ© soudaine de leur terre, assĂ©chĂ©e par l’implacabilitĂ© quasi surnaturelle d’un astre chauffĂ© Ă  blanc, s’ajoutent les fĂ©roces attaques d’ennemis organisĂ©s en bandes : sournoise marĂ©e de rats peu ragoĂ»tants, dĂ©vastant tout son son passage ; sanguinaire horde de loups resserrant inexorablement son machiavĂ©lique et terrifiant encerclement. Luttant pied Ă  pied dans un combat de chaque instant qui les emmène insensiblement vers demain, le vieillard et le chien unissent leurs efforts pour sauver la fragile pousse verte qui doit laisser une chance Ă  l’avenir, si ce n’est le leur, peut-ĂŞtre au moins celui de la gĂ©nĂ©ration suivante, si jamais elle revient un jour au village.

C’est ainsi que derrière la silhouette du vieil homme solitairement obstiné à sauver son pied de maïs pour de futures semences, finit par s’imposer l'image de l’écrivain, s’évertuant à préserver de l’étouffement la modeste pousse de liberté qu’est sa parole dans le chaos et la violence de l’oppression, avec l’espoir qu’elle essaime et trouve un jour une relève, pour peu que tous les intellectuels de Chine osent faire de même.

Acte de foi en l’inaliénabilité fondamentale de la liberté, ce texte magnifique d’espoir et de poésie, porté par une langue de toute beauté, est un bouquet d’émotions sur l’autel de l’humanité bafouée par l’oppression. C’est aussi une œuvre admirable de courage, qui par bien des aspects, m’a fait penser à celles d’Ahmet Altan. L’un comme l’autre, ces deux écrivains continuent à faire entendre leur voix, malgré l’oppression subie dans leur pays respectif. Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citations :  

Le chien continuait Ă  le regarder sans comprendre.
Tu ne veux pas parler, tant pis. L’homme poussa un soupir. Un peu déprimé, il alluma sa pipe. Face à l’obscurité, il dit, comme c’est bon d’être jeune, d’avoir un corps fort et une femme la nuit. Si la femme est intelligente, au retour du champ, elle t’apporte de l’eau, et si ton visage est en sueur, elle te passe un éventail. Les jours de neige, elle te chauffe le lit. Si durant la nuit vous vous êtes retrouvés, et que tu te lèves tôt le matin pour aller au champ, elle te dit de te reposer encore un moment. Vivre de cette façon, il inspira énergiquement une bouffée de sa pipe, puis expira longuement, caressa le chien et poursuivit, vivre de cette façon, c’est vivre comme les immortels.
Il demanda, tu as eu ce genre de vie toi, l’aveugle ?
Le chien demeura silencieux.
Il dit, qu’en dis-tu, l’aveugle, est-ce que ce n’est pas pour ce genre de vie que les hommes viennent au monde ? Il ne laissa guère au chien le loisir de rĂ©torquer, se rĂ©pondit immĂ©diatement Ă  lui-mĂŞme, certainement, je dis que oui. Puis il dit encore, mais quand on est vieux c’est diffĂ©rent, quand on est vieux on vit seulement pour un arbre, un brin d’herbe, des petits enfants. C’est toujours mieux de vivre que d’être mort.
 
L’horizon rouge du couchant se faisait de plus en plus mince et l’aïeul entendait le froissement des rayons qui se retiraient comme un pan de soie. Ramassant les grains émiettés au creux de la pierre, il songea qu’une journée encore venait de s’achever, et qu’il ignorait comment il pourrait passer la suivante

 

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