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vendredi 2 septembre 2022

[Malka, Richard] Le droit d'emmerder Dieu

 




 

Coup de coeur đź’“đź’“

 

Titre : Le droit d'emmerder Dieu

Auteur : Richard MALKA

Parution : 2021 (Grasset)

Pages : 96

 

 

 

 

 

 

PrĂ©sentation de l'Ă©diteur :    

C’est à nous, et à nous seuls, qu’il revient de réfléchir, d’analyser et de prendre des risques pour rester libres. Libres de nous engager et d’être ce que nous voulons. C’est à nous, et à personne d’autre, qu’il revient de trouver les mots, de les prononcer, de les écrire avec force, pour couvrir le son des couteaux sous nos gorges.
À nous de rire, de dessiner, d’aimer, de jouir de nos libertés, de vivre la tête haute, face à des fanatiques qui voudraient nous imposer leur monde de névroses et de frustration – en coproduction avec des universitaires gavés de communautarisme anglo-saxon et des intellectuels qui sont les héritiers de ceux qui ont soutenu parmi les pires dictateurs du XXe siècle, de Staline à Pol Pot.


Ainsi plaide Richard Malka, avocat de Charlie Hebdo, lors du procès des attentats de janvier 2015. Procès intellectuel, procès historique, au cours duquel l’auteur retrace, avec puissance, le cheminement souterrain et idéologique du Mal. Chaque mot pèse. Chaque mot frappe. Ou apporte la douceur, évoquant les noms des disparus, des amis, leurs plumes, leurs pinceaux, leur distance ironique et tendre.
Bien plus qu’une plaidoirie, un éloge de la vie libre, joyeuse et éclairée.

 

 

Le mot de l'Ă©diteur sur l'auteur : 

Richard Malka, cĂ©lèbre avocat, romancier, scĂ©nariste de romans graphiques, est l’auteur de Tyrannie (Grasset, 2018, en cours d’adaptation en sĂ©rie), et, avec Georges Kiejman, d’Eloge de l’irrĂ©vĂ©rence (Grasset, 2019).

 

 

Avis :

Ce livre est la publication intégrale de la plaidoirie de l’auteur, avocat de Charlie Hebdo, lors du procès des attentats de janvier 2015. Richard Malka y revient sur la genèse de la crise des caricatures, retraçant comment une manipulation mêlant vrais et faux dessins a entrepris d’enflammer les esprits dès 2006, comment la plupart des personnalités en vue, politiques et intellectuelles, ont aussitôt cédé du terrain dans des prises de position visant l’apaisement, et comment la réprobation générale a fait de Charlie Hebdo la cible désignée aux exactions que l’on connaît.

Dans une argumentation remontant aux apports fondamentaux des EncyclopĂ©distes et de leur esprit critique au siècle des Lumières, l’auteur s’alarme de nos doutes et de nos compromissions face Ă  la terreur, tandis qu’ils ouvrent la porte Ă  la remise en cause d’acquis aussi essentiels que la libertĂ© de penser, d’objecter, de s’exprimer. Renoncer Ă  critiquer une religion, c’est accepter la mise au pas de la pensĂ©e et de la raison, prĂ´ner l’inaccessibilitĂ© de certaines idĂ©es au dĂ©bat, laisser la conviction s’imposer par la force. ReconnaĂ®tre la supĂ©rioritĂ© absolue d’une religion, c’est permettre l’intolĂ©rance autant que soumettre l’intelligence, c’est faire le lit de l’obscurantisme et du despotisme : une triste rĂ©alitĂ© oĂą se dĂ©battent bien des peuples aujourd’hui privĂ©s de la plus Ă©lĂ©mentaire libertĂ©, et qui ne devrait pouvoir prĂ©tendre mettre un pied dans le pays des Droits de l’Homme sans rencontrer une rĂ©action catĂ©gorique, franche et massive.

Alors quand, au nom d’une certaine conception – toute humaine –, de la suprématie divine, les locaux d’un organisme de presse sont incendiés, ses rédacteurs assassinés, un professeur décapité, rester sans réaction, ou pire, céder à l’intimidation d’une quelconque façon, revient à accepter le ver dans le fruit, comme s’il n’allait pas finir par le dévorer tout entier. Une forme de lâcheté dont, appliquée à un autre contexte d’extrême intolérance, celui des années trente, on a vu l’exorbitant prix qu’elle peut mener à payer ensuite…

Richard Malka nous livre un texte pesé dans chacun de ses mots, aussi fulgurant dans son imparable argumentation que touchant dans sa tendresse manifeste pour ses amis de Charlie Hebdo, tués pour quelques traits de crayon symbolisant notre liberté face à l’oppression de l’obscurantisme. Un livre essentiel, à mettre entre toutes les mains, qui ne peut que forcer le respect pour cet homme menacé et contraint de vivre sous protection. Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citations :

Le sens de ce procès, c’est aussi de dĂ©montrer que le droit prime sur la force. Tout cela serait dĂ©jĂ  beaucoup, et suffisant, pour n’importe quel procès. Mais pas pour celui-lĂ , pas au regard des crimes commis. Les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher ne sont pas seulement des crimes. Ils ont une signification, une portĂ©e politique, philosophique, mĂ©taphysique. Les attentats commis par les frères Kouachi et par Amedy Coulibaly convergent vers la mĂŞme idĂ©e. Ils sont indissociables, ils ont Ă©tĂ© prĂ©parĂ©s de concert, ils ont le mĂŞme but. Quand Coulibaly tue des Juifs, il ne tue pas que des Juifs, il tue l’Autre. Le Juif, c’est l’Autre. Sous toutes les latitudes, Ă  toutes les Ă©poques de l’humanitĂ©, de l’Égypte ancienne Ă  l’Allemagne nazie, des ghettos de Pologne aux quartiers rĂ©servĂ©s du Maghreb, en passant par les shtetls de Bessarabie.          
Le Juif, c’est celui qui est différent, qui garde son identité à travers les millénaires, qui refuse de se fondre. C’est l’idée de l’irréductible singularité, donc de la diversité. Charlie Hebdo aussi, c’est l’Autre. Celui qui est libre, libertaire, qui s’exprime sans entraves et, pire, qui rit de ceux dont la pensée totalitaire refuse la différence. Le sens de ces crimes, c’est l’annihilation de l’Autre, de la différence. Si l’on ne répond pas à cela, alors on se sera arrêté au milieu du chemin, on aura sanctionné l’acte, le crime, sans appréhender sa portée.
 

C’est toute la problĂ©matique de ce procès et la solution est simple. Vous avez organisĂ© cette audience en deux temps bien distincts : le temps des victimes et celui des accusĂ©s. De la mĂŞme manière, je crois qu’il faut accepter qu’il n’y ait pas un, mais deux procès en un : celui des accusĂ©s, et celui des idĂ©es que l’on a voulu assassiner et enterrer. Ce sont les fameuses « valeurs rĂ©publicaines Ă©branlĂ©es Â» qu’évoque le prĂ©sident Hayat dans son ordonnance autorisant l’enregistrement de ce procès.
 

C’est Ă  nous, et Ă  nous seuls, qu’il revient de s’engager, de rĂ©flĂ©chir, d’analyser et parfois de prendre des risques pour rester libres d’être ce que nous voulons. C’est Ă  nous et Ă  personne d’autre qu’il revient de trouver les mots, de les prononcer, de les Ă©crire pour couvrir le son des couteaux sur nos gorges.         
Ă€ nous de rire, de dessiner, de jouir de nos libertĂ©s, de vivre la tĂŞte haute, face Ă  des fanatiques qui voudraient nous imposer leur monde de nĂ©vroses et de frustrations, en coproduction avec des universitaires gavĂ©s de communautarisme anglo-saxon et d’intellectuels, hĂ©ritiers de ceux qui ont soutenu parmi les pires dictateurs du XXe siècle, de Staline Ă  Pol Pot.         
C’est Ă  nous de nous battre, comme l’a dit Riss, pour rester libres. Nous et ceux qui nous succĂ©deront. VoilĂ  ce qui se joue aujourd’hui.         
Et rester libres, cela implique de pouvoir encore parler librement, sans être menacés de mort, abattus par des kalachnikovs ou décapités. Or ce n’est plus le cas dans notre pays.
 
 
C’est aujourd’hui qu’il faut se battre, aujourd’hui que cela se joue.          
Alors comment en est-on arrivĂ© lĂ  ? Qu’est-ce que c’est que cette guerre qui oppose des dessinateurs avec des crayons ou des enseignants avec leurs tableaux noirs Ă  des fanatiques armĂ©s de kalachnikovs ou de couteaux de boucherie ? Par quel enchevĂŞtrement d’idĂ©es, de faits historiques, de discours et d’évĂ©nements en est-on arrivĂ© Ă  cette situation oĂą, pour la première fois dans le monde occidental depuis au moins la fin de la guerre, un journal, après avoir Ă©tĂ© dĂ©cimĂ©, est obligĂ© de se retrancher dans un bunker Ă  l’adresse secrète ? Et enfin, qui a nourri le crocodile en espĂ©rant ĂŞtre le dernier Ă  ĂŞtre mangĂ©, pour citer Churchill Ă  l’aube de la Seconde Guerre mondiale, parce que c’est toujours la mĂŞme histoire : quand on est confrontĂ© Ă  des phĂ©nomènes qui nous font peur, certains choisissent de pactiser. Mais Ă  un moment, le crocodile munichois devient tellement gros, Ă  force d’être nourri de nos renoncements, que ce qui aurait pu ĂŞtre arrĂŞtĂ© avec un peu de courage devient un monstre qui menace de nous engloutir. Et lĂ , le prix Ă  payer pour rester libres devient beaucoup plus Ă©levĂ©.


La science a cet avantage sur la religion qu’elle peut se déjuger sans se discréditer. La raison progresse par ses erreurs quand la foi meurt de ses errements.


Cinq ans plus tard, forts de cet exemple, une dizaine d’hommes se réunissent. Ils s’appellent D’Alembert, Diderot, Rousseau… (…)
Et leur Ĺ“uvre va devenir l’EncyclopĂ©die, immĂ©diatement mise Ă  l’Index par le pape pour hĂ©rĂ©sie. Ils ont regardĂ© le monde dĂ©barrassĂ© de Dieu, ils l’ont regardĂ© sous l’angle de la raison et tout va changer. Le monde ne sera plus jamais le mĂŞme, on change de paradigme.          
En quelques annĂ©es, on va passer d’une sociĂ©tĂ© qui Ă©cartelait en place publique Ă  Beccaria qui rĂ©clame l’abolition de la peine de mort. On va revendiquer l’égalitĂ© entre les hommes et les femmes, c’était inimaginable jusqu’alors. En quelques annĂ©es, des voix s’élèvent pour exiger l’égalitĂ© pour les Juifs et l’abolition de l’esclavage. Les encyclopĂ©distes ont changĂ© le monde et les valeurs bourgeoises – le travail, la transmission des connaissances â€“ vont remplacer les valeurs aristocratiques – la gloire par les armes, l’élitisme.


Les rĂ©volutionnaires sont les enfants des encyclopĂ©distes et ils savent ce qu’ils leur doivent. Alors lorsqu’en 1789, ils proclament la DĂ©claration des droits de l’homme et du citoyen, ils vont sacraliser la libertĂ© d’expression et, pour la première fois dans l’histoire de l’humanitĂ©, dĂ©clarer qu’il s’agit d’une libertĂ© fondamentale avec une magnifique formule, celle de Mirabeau, rĂ©servĂ©e Ă  cette seule libertĂ©, « l’un des droits les plus prĂ©cieux de l’homme Â». Ils savent que c’est la libertĂ©-mère et que sans elle, aucune autre ne peut exister.
 
 
Renoncer Ă  la libre critique des religions, renoncer aux caricatures de Mahomet, ce serait renoncer Ă  notre histoire, Ă  l’EncyclopĂ©die, Ă  la RĂ©volution et aux grandes lois de la Troisième RĂ©publique, Ă  l’esprit critique, Ă  la raison, Ă  un monde rĂ©gi par les lois des hommes plutĂ´t que par celles de Dieu. Ce serait renoncer Ă  enseigner que l’homme est cousin du singe et ne provient pas d’un songe, renoncer aussi Ă  ce que la Terre ne soit pas totalement ronde. Ce serait renoncer Ă  considĂ©rer la femme comme l’égale d’un homme. Ce serait renoncer Ă  ce que les homosexuels ne soient pas punis de mort après d’atroces supplices, et je prĂ©cise que, curieusement, les 72 pays au monde oĂą l’homosexualitĂ© reste une abomination sont Ă  peu près les mĂŞmes que ceux oĂą le dĂ©lit de blasphème continue Ă  exister. Ce serait renoncer Ă  jouer la pièce de Charb sur les escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes comme on a dĂ©jĂ  renoncĂ© Ă  jouer l’IdomĂ©nĂ©e de Mozart ou le Mahomet de Voltaire parce que la peur a gagnĂ©. Les auteurs ont bien compris que, lorsque les islamistes dĂ©sapprouvaient une Ĺ“uvre, ils voulaient non seulement supprimer celle-ci, mais aussi l’auteur de l’œuvre. Ce serait renoncer Ă  l’indomptable libertĂ© humaine pour vivre enchaĂ®nĂ©s.


Oui, il faut prendre des risques pour essayer de faire en sorte que nos enfants ne vivent pas dans le monde des Kouachi, des Coulibaly et des Imran Khan. La liberté de critique des idées et des croyances, c’est le verrou qui garde en cage le monstre du totalitarisme.


Les croyances ne peuvent jamais exiger le respect. Seuls les hommes y ont droit. Aucune croyance, aucune idée, aucune opinion ne peut exiger de ne pas être débattue, critiquée, caricaturée.


Le problème, c’est que la religion catholique a causĂ© bien plus de morts que toutes les autres. La Saint-BarthĂ©lemy, c’est trois mille morts Ă  Paris en une seule nuit. Ce bâtiment entier ne suffirait pas Ă  en organiser le procès. Et trente mille morts en France la nuit en question. Les croisades et l’Inquisition additionnĂ©es, ce sont des millions de morts. Et pour en revenir Ă  l’islam dans une pĂ©riode rĂ©cente : deux cent mille morts en AlgĂ©rie durant la dĂ©cennie noire, quatre cent mille morts en Syrie, les YĂ©zidis massacrĂ©s…     
Non, les religions ne sont pas faites que de paix et d’amour, elles sont ce que les hommes en font. (…)
Les religions ont structuré l’humanité en lui apportant une morale, mais elles peuvent aussi conduire au pire.


Ces personnes comprennent-elles que renoncer à la liberté d’expression, cela reviendrait aussi à abandonner des millions de musulmans, des journalistes, des intellectuels, des écrivains, des femmes, des étudiants qui se battent pour vivre libres. Si le pays des Lumières renonçait à cette liberté, ils n’auraient plus aucun espoir. Nous ne pouvons pas les laisser tomber. Ils ont besoin de nous pour continuer à espérer.
 
 
Je ne sais pas quelle direction nous prendrons, celle du crépuscule des Lumières ou celle d’une nouvelle aube. Dans tous les cas, il y aura probablement, et malheureusement, d’autres attentats, d’autres morts et d’autres procès. Alors autant que ce soit pour redevenir ce peuple qui, il y a bien longtemps, inspira l’idée de liberté au monde, celle de l’acceptation de l’Autre. C’est notre rêve commun depuis trois cents ans et nous n’en avons pas de rechange. Il n’y a pas de salut dans la lâcheté. J’espère que nous ne serons pas la génération qui aura tourné le dos à son histoire et à son avenir.


 

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