Coup de coeur đź’“
Titre : Le fils de l'homme
Auteur : Jean-Baptiste DEL AMO
Editeur : Gallimard
Parution : 2021
Pages : 240
Présentation de l'éditeur :
Après plusieurs annĂ©es d’absence, un homme resurgit dans la vie de sa
compagne et de leur jeune fils. Il les entraîne aux Roches, une vieille
maison isolĂ©e dans la montagne oĂą lui-mĂŞme a grandi auprès d’un
patriarche impitoyable. Entourés par une nature sauvage, la mère et le
fils voient le père étendre son emprise sur eux et édicter les lois
mystérieuses de leur nouvelle existence. Hanté par son passé, rongé par
la jalousie, l’homme sombre lentement dans la folie. BientĂ´t, tout
retour semble impossible.
Après Règne animal, Jean-Baptiste Del Amo continue d’explorer le thème de la transmission de la violence d’une gĂ©nĂ©ration Ă une autre et de l’Ă©ternelle tragĂ©die qui se noue entre les pères et les fils.
Après Règne animal, Jean-Baptiste Del Amo continue d’explorer le thème de la transmission de la violence d’une gĂ©nĂ©ration Ă une autre et de l’Ă©ternelle tragĂ©die qui se noue entre les pères et les fils.
Un mot sur l'auteur :
Jean-Baptiste Del Amo est le pseudonyme de Jean-Baptiste Garcia, né à Toulouse en 1981. Ses nouvelles et romans, traduits dans de nombreux pays, lui ont valu plusieurs prix, dont le Goncourt du Premier Roman. Le fils de l'homme est son cinquième roman.
Avis :
Soudain rĂ©apparu après des annĂ©es d’absence et de silence, un homme convainc sa compagne, enceinte d’un autre, et son fils de neuf ans, de le suivre aux Roches, une bâtisse difficilement accessible et Ă peine habitable, perdue loin de tout dans la montagne. Leur rustique sĂ©jour au vert tourne rapidement Ă l’aigre, alors que le père, dĂ©vorĂ© par le passĂ© et par la jalousie, rĂ©vèle peu Ă peu ses vĂ©ritables intentions, en mĂŞme temps que les signes d’une folie grandissante. La mère et le fils rĂ©alisent bientĂ´t qu’ils sont prisonniers des Roches…
Aucun nom ne personnalise le rĂ©cit, qui, construit autour des seules mentions, Ă consonance biblique, d’un père, d’une mère et d’un fils, se pare de toute Ă©vidence de la portĂ©e universelle annoncĂ©e par le titre et soulignĂ©e par le prologue. En commençant par nous renvoyer aux âges prĂ©historiques, dans l’Ă©vocation accablante d’ĂŞtres usĂ©s par la constante lutte pour leur survie, selon des règles sauvages et violentes transmises de père en fils, l'introduction du roman nous place d’emblĂ©e face Ă la perception de notre insignifiance et de notre infinie solitude dans l’immensitĂ© glacĂ©e et minĂ©rale de l’univers. Le malheur semble inhĂ©rent au destin humain, dans une Ă©ternelle tragĂ©die rejouĂ©e Ă chaque gĂ©nĂ©ration. Et comme son père avant lui, l’homme au centre de la narration ne manquera pas de transmettre la malĂ©diction de la douleur, de la violence et de la haine.
DĂ©sespĂ©rĂ©ment noire, la tonalitĂ© du rĂ©cit n’autorise aucune Ă©claircie. D’emblĂ©e chargĂ© d’angoisse, le texte avance au rythme des observations du fils de neuf ans, instinctivement conscient de la menace en germe dans l’Ă©trangetĂ© du père. Pour Ă©pouser la progression de son regard sur cet homme sorti de nulle part qui tient pourtant son sort et celui de la mère dans ses mains, la narration se nourrit des dialogues elliptiques, puis des monologues paternels de plus en plus hallucinĂ©s, qui laissent entrevoir en pointillĂ©s un passĂ© tourmentĂ©. Le langage corporel, retranscrit avec une exceptionnelle prĂ©cision, prend le relais d’une analyse psychologique totalement absente. Et, tandis que se prĂ©cisent les failles d’une personnalitĂ© en train de reproduire une histoire en de maints points semblable Ă celle vĂ©cue une gĂ©nĂ©ration plus tĂ´t, l’isolement dans une nature magnifiquement dĂ©crite dans tout ce qu’elle peut comporter de menaces et de dangers quand on s’y retrouve abandonnĂ© comme un nourrisson sans ressources ni dĂ©fenses, achève d’alourdir le climat anxiogène qui pèse sur le lecteur depuis la première page.
Il ne se passe au final que peu de choses dans cette histoire. Mais le pessimisme accablant et l’atmosphère menaçante du rĂ©cit entretiennent un sentiment vivace de vulnĂ©rabilitĂ© face Ă l’impondĂ©rable tragĂ©die de la destinĂ©e humaine. TravaillĂ© dans son expression et son vocabulaire, le style s’Ă©lève souvent vers d’admirables hauteurs, et, nonobstant deux infimes mais surprenantes incohĂ©rences, c’est un livre en tout point remarquable qui rĂ©ussit ici Ă nous rĂ©galer. Coup de coeur. (5/5)
Aucun nom ne personnalise le rĂ©cit, qui, construit autour des seules mentions, Ă consonance biblique, d’un père, d’une mère et d’un fils, se pare de toute Ă©vidence de la portĂ©e universelle annoncĂ©e par le titre et soulignĂ©e par le prologue. En commençant par nous renvoyer aux âges prĂ©historiques, dans l’Ă©vocation accablante d’ĂŞtres usĂ©s par la constante lutte pour leur survie, selon des règles sauvages et violentes transmises de père en fils, l'introduction du roman nous place d’emblĂ©e face Ă la perception de notre insignifiance et de notre infinie solitude dans l’immensitĂ© glacĂ©e et minĂ©rale de l’univers. Le malheur semble inhĂ©rent au destin humain, dans une Ă©ternelle tragĂ©die rejouĂ©e Ă chaque gĂ©nĂ©ration. Et comme son père avant lui, l’homme au centre de la narration ne manquera pas de transmettre la malĂ©diction de la douleur, de la violence et de la haine.
DĂ©sespĂ©rĂ©ment noire, la tonalitĂ© du rĂ©cit n’autorise aucune Ă©claircie. D’emblĂ©e chargĂ© d’angoisse, le texte avance au rythme des observations du fils de neuf ans, instinctivement conscient de la menace en germe dans l’Ă©trangetĂ© du père. Pour Ă©pouser la progression de son regard sur cet homme sorti de nulle part qui tient pourtant son sort et celui de la mère dans ses mains, la narration se nourrit des dialogues elliptiques, puis des monologues paternels de plus en plus hallucinĂ©s, qui laissent entrevoir en pointillĂ©s un passĂ© tourmentĂ©. Le langage corporel, retranscrit avec une exceptionnelle prĂ©cision, prend le relais d’une analyse psychologique totalement absente. Et, tandis que se prĂ©cisent les failles d’une personnalitĂ© en train de reproduire une histoire en de maints points semblable Ă celle vĂ©cue une gĂ©nĂ©ration plus tĂ´t, l’isolement dans une nature magnifiquement dĂ©crite dans tout ce qu’elle peut comporter de menaces et de dangers quand on s’y retrouve abandonnĂ© comme un nourrisson sans ressources ni dĂ©fenses, achève d’alourdir le climat anxiogène qui pèse sur le lecteur depuis la première page.
Il ne se passe au final que peu de choses dans cette histoire. Mais le pessimisme accablant et l’atmosphère menaçante du rĂ©cit entretiennent un sentiment vivace de vulnĂ©rabilitĂ© face Ă l’impondĂ©rable tragĂ©die de la destinĂ©e humaine. TravaillĂ© dans son expression et son vocabulaire, le style s’Ă©lève souvent vers d’admirables hauteurs, et, nonobstant deux infimes mais surprenantes incohĂ©rences, c’est un livre en tout point remarquable qui rĂ©ussit ici Ă nous rĂ©galer. Coup de coeur. (5/5)
Citations :
Il observe l’inextricable lacis vĂ©gĂ©tal contre lequel il lui faut lutter pour avancer, les troncs partout luisants, les racines arachnĂ©ennes qui affleurent sous l’humus. L’odeur de la forĂŞt lui monte Ă la tĂŞte et le dĂ©sĂ©quilibre. Il ne perçoit plus la prĂ©sence des autres chasseurs. Il lui semble que la forĂŞt l’a poussĂ© dans des profondeurs organiques, ce terrain accidentĂ© et poisseux oĂą elle orchestre ses fermentations secrètes. Il prend appui sur l’Ă©corce dĂ©trempĂ©e des arbres, tire son pied d’un trou d’eau, d’une liane, s’extirpe du grand pourrissement qui nourrit la terre et fera au printemps rejaillir de sa matrice une vie impitoyable. Le jour sourd face Ă lui, rayonne par-delĂ les troncs.
L’enfant entrevoit sur le bas-cĂ´tĂ© une croix de chemin supportant le corps blĂŞme d’un christ Ă la peau de mĂ©tal, parcourue de plaques de lichen ou de rouille. Les derniers lambeaux de brume se dissipent brusquement et le contour distinct du massif surgit. La nuit porte maintenant en elle l’attente de l’aube, cette infime variation qui dĂ©tache les contours du monde sans qu’ils soient encore intelligibles, laissant seulement paraĂ®tre des degrĂ©s d’obscuritĂ©. Un voile jusqu’alors invisible se dĂ©chire ; tout ce qui se tenait retranchĂ© dans la coulisse de la nuit est soudain baignĂ© par une lueur bleuâtre qui ne semble pas provenir de l’extĂ©rieur des choses mais plutĂ´t Ă©maner d’elles, une phosphorescence livide qui suinterait des pierres, du bitume, du tronc des pins et de la frondaison des arbres.
La fin de l’Ă©tĂ© s’Ă©tire en une langueur hypnotique, nuits torpides durant lesquelles mĂŞme la pierre des Roches exsude sa moiteur, journĂ©es accablĂ©es de soleil, aubes irrĂ©elles, nĂ©buleuses, bientĂ´t tranchĂ©es net par la lame du jour, crĂ©puscules d’un rouge de forge s’effondrant l’instant d’après dans des tĂ©nèbres empourprĂ©es, des noirs de fusain.
L’enfant entrevoit sur le bas-cĂ´tĂ© une croix de chemin supportant le corps blĂŞme d’un christ Ă la peau de mĂ©tal, parcourue de plaques de lichen ou de rouille. Les derniers lambeaux de brume se dissipent brusquement et le contour distinct du massif surgit. La nuit porte maintenant en elle l’attente de l’aube, cette infime variation qui dĂ©tache les contours du monde sans qu’ils soient encore intelligibles, laissant seulement paraĂ®tre des degrĂ©s d’obscuritĂ©. Un voile jusqu’alors invisible se dĂ©chire ; tout ce qui se tenait retranchĂ© dans la coulisse de la nuit est soudain baignĂ© par une lueur bleuâtre qui ne semble pas provenir de l’extĂ©rieur des choses mais plutĂ´t Ă©maner d’elles, une phosphorescence livide qui suinterait des pierres, du bitume, du tronc des pins et de la frondaison des arbres.
La fin de l’Ă©tĂ© s’Ă©tire en une langueur hypnotique, nuits torpides durant lesquelles mĂŞme la pierre des Roches exsude sa moiteur, journĂ©es accablĂ©es de soleil, aubes irrĂ©elles, nĂ©buleuses, bientĂ´t tranchĂ©es net par la lame du jour, crĂ©puscules d’un rouge de forge s’effondrant l’instant d’après dans des tĂ©nèbres empourprĂ©es, des noirs de fusain.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire