â–Ľ

mardi 18 janvier 2022

[Swarthout, Glendon] Homesman

 



Coup de coeur đź’“

 

Titre : Homesman (The Homesman)          

Auteur : Glendon SWARTHOUT

Traduction : Laura DERAJINSKI

Parution : en anglais (Etats-Unis) en 1988
                   en français en 1992
                   (titre : Le Chariot des damnĂ©s)
                   et en 2014 (Gallmeister)

Pages : 288

 

 

 

 

 

PrĂ©sentation de l'Ă©diteur :    

Au cœur des grandes plaines de l'Ouest, au milieu du XIXe siècle, Mary Bee Cuddy est une ancienne institutrice solitaire qui a appris à cultiver sa terre et à toujours laisser sa porte ouverte. Cette année-là, quatre femmes, brisées par l'hiver impitoyable et les conditions de vie extrêmes sur la Frontière, ont perdu la raison. Aux yeux de la communauté des colons, il n'y a qu'une seule solution : il faut rapatrier les démentes vers l'Est, vers leurs familles et leurs terres d'origine. Mary Bee accepte d'effectuer ce voyage de plusieurs semaines à travers le continent américain. Pour la seconder, Briggs, un bon à rien, voleur de concession voué à la pendaison, devra endosser le rôle de protecteur et l'accompagner dans son périple.

Inoubliable portrait d’une femme hors du commun et de son compagnon taciturne, aventure et quĂŞte Ă  rebours, Homesman se dĂ©vore de la première Ă  la dernière page.

  

Le mot de l'Ă©diteur sur l'auteur : 

Glendon Swarthout naĂ®t Ă  Pinckey, dans le Michigan,  en 1918. Sa première activitĂ© professionnelle est un job d'Ă©tĂ© dans un resort du lac Michigan, oĂą il joue de l'accordĂ©on dans un orchestre pour dix dollars la semaine.

DiplĂ´mĂ© de l'universitĂ© du Michigan Ă  Ann Arbor, Glendon Swarthout commence par Ă©crire des publicitĂ©s pour Cadillac. Après une annĂ©e de cette activitĂ©, il se lance dans le journalisme puis dans la rĂ©daction de ses premiers romans. Il publie son premier roman, Willow run, en 1943.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est envoyĂ© en Europe et participe Ă  un seul combat dans le sud de la France avant d'ĂŞtre renvoyĂ© aux États-Unis. Ă€ son retour, il enseigne Ă  l'universitĂ© du Michigan et Ă©crit de nouveaux romans. C'est après la première adaptation cinĂ©matographique en 1958 de l'une de ses Ĺ“uvres, Ceux de Cordura, qu'il peut se consacrer pleinement Ă  l'Ă©criture.

Swarthout devient un auteur prolifique et s'illustre dans quasiment tous les genres littĂ©raires de fiction Ă  l'exception de la science-fiction. Il laisse derrière lui une Ĺ“uvre foisonnante et inclassable. Il est nĂ©anmoins surtout reconnu comme un des plus grands spĂ©cialistes de l’Ouest amĂ©ricain et du western.

Il est l'auteur de seize romans, dont plusieurs best-sellers. Neuf d’entre eux ont Ă©tĂ© portĂ©s Ă  l’écran, dont Le Tireur, qui fut le dernier film de John Wayne et The Homesman, second film de Tommy Lee Jones. Deux fois nommĂ© pour le prix Pulitzer, laurĂ©at de nombreux prix littĂ©raires, Glendon Swarthout meurt le 23 septembre 1992 en Arizona. 

 

Avis :

TraumatisĂ©es par les terribles Ă©preuves qui plombent leur quotidien dans les grandes plaines de l’Ouest amĂ©ricain au XIXe siècle, quatre Ă©pouses de colons ont sombrĂ© dans la dĂ©mence. Leur petite communautĂ© dĂ©cide de les rapatrier dans leurs familles demeurĂ©es Ă  l’Est. Une femme et un homme se chargent de les convoyer dans un pĂ©riple qui doit durer des semaines : Mary Bee Cuddy, ex-institutrice cĂ©libataire reconnue pour son esprit charitable et ses capacitĂ©s Ă  cultiver sa terre seule, et Briggs, voleur de concession Ă  qui cet engagement doit Ă©pargner la potence.

L’on est bien loin de La petite maison dans la prairie ou des westerns classiques lorsque l’on dĂ©couvre les histoires de ces quatre malheureuses, chacune plus affligeante et tragique l’une que l’autre. IsolĂ©es, d’interminables et implacables hivers durant, dans leurs rudimentaires maisons-terriers creusĂ©es dans la terre, trimant comme des bĂŞtes pour d’alĂ©atoires rĂ©coltes qui ne leur Ă©pargnent ni la faim ni les dettes, Ă©puisĂ©es par les grossesses puis dĂ©vastĂ©es par une mortalitĂ© infantile accablante, ces Ă©pouses de colons sont usĂ©es Ă  vingt ans, si encore elles ne s’effondrent pas auparavant. Comme il est tout autant impossible pour les maris de survivre avec une moitiĂ© dĂ©sormais inutile que de quitter la concession oĂą ils ont tout investi, ne leur reste plus qu’à renvoyer ces ombres d’épouses lĂ  oĂą ils les ont trouvĂ©es, dans des familles qui les placeront peut-ĂŞtre dans les asiles qui n’existent pas sur la Frontière. Mais le trajet-retour est lui-mĂŞme une gageure : comment mener sans encombre, au travers d’un territoire hostile, quatre femmes folles Ă  lier, d’ailleurs elles-mĂŞmes possiblement dangereuses ?

C’est un duo improbable qui se lance dans l’aventure. Mary Bee est une femme mûre que son éducation et son intégrité, autant que son autorité, sa solidité et son indépendance, rendent bien trop déconcertante pour les hommes de son époque et condamnent à une insupportable solitude. Briggs est un chien errant transformé par ses déboires en dur-à-cuire sans foi ni loi, rustre mais parfaitement adapté à ce brutal bout du monde où vient se disloquer jusqu’à la notion-même d’humanité. Ces deux-là vont devoir s’entendre pour faire face aux mille épreuves et dangers de leur sinistre convoyage, dont le noir récit parviendra néanmoins à offrir quelques fugaces et touchantes éclaircies dans une plaine aussi oppressante que splendide, puis dans une ville toute aussi surprenante, où le pire côtoie le meilleur.

Cet anti-western singulièrement féministe présente une bien sombre, mais très réaliste vision de la Conquête de l’Ouest, quand des convois de pionniers, partis au prix d’immenses sacrifices au devant d’un Ouest fabuleux, essuyèrent de terribles désillusions et firent surtout la fortune d’affairistes et de spéculateurs sans scrupules. Une lecture passionnante, bouleversante et terriblement noire, qui remet à l’endroit une mémoire historique pervertie par le mythe. Coup de coeur. (5/5)
 

 

Citations :

Vue du ciel, Loup devait ressembler Ă  un amas de bouses de bison. Vue de la terre ferme, c’était un Ă©parpillement de cabanes et de petits bâtiments, certains en terre, d’autres en bois, parfois les deux, Ă©rigĂ©s ici et lĂ  dans un vallon, et au milieu serpentait une route principale maculĂ©e de boue et de crottin. Dans la ville se trouvaient un magasin gĂ©nĂ©ral et une Ă©picerie oĂą le courrier, quand il Ă©tait acheminĂ©, Ă©tait distribuĂ© ; une banque avec un comptoir, un bureau et un coffre-fort ; un saloon avec un fĂ»t de whiskey et un bar constituĂ© de plusieurs planches posĂ©es sur des trĂ©teaux ; un parc d’engraissement oĂą l’on vendait les chevaux et les mules et oĂą l’on abattait les porcs et les bĹ“ufs Ă  la demande locale ; et l’entreprise de Buster Shaver, constituĂ©e d’une forge aux murs de bois, d’une remise en planches et d’une Ă©curie surmontĂ©e d’un toit couvert de broussailles. Par beau temps Ă  Loup, on comptait près d’une centaine d’habitants et de chiens, sauf le dimanche. Par mauvais temps, on en comptait moitiĂ© moins, chiens y compris.

C’était une tempĂŞte de glace, un phĂ©nomène climatique typique des Grandes Plaines. Des nuages de cristaux de glace presque aussi fins que de la farine Ă©taient projetĂ©s au ras du sol par un vent rugissant. Aucun homme, aucun animal ne pouvaient les affronter. Ă€ dĂ©couvert, le visage d’un homme Ă©tait aussitĂ´t maculĂ© de givre, ses paupières gelaient, son souffle se coupait et ses vĂŞtements Ă©taient soudain si constellĂ©s de glace que son corps tout entier s’en trouvait figĂ©. Seule la protection du chariot et de la bâche sauva ces voyageurs. La bâche se mit Ă  claquer et les fouetta avec une telle violence qu’ils durent l’attraper et la tirer avant de la lester de tout leur poids. MĂŞme dans leur maigre abri, les animaux souffraient terriblement. Au bout d’une heure, leurs corps furent recouverts de glace ; au bout de deux heures, leurs tĂŞtes Ă©taient grosses comme des paniers en osier, entourĂ©es d’une couche de glace crĂ©Ă©e par leur respiration congelĂ©e. BientĂ´t, ni les mules ni les chevaux ne purent soutenir ce fardeau encombrant, aussi inclinèrent-ils la tĂŞte contre le sol. Des heures durant, la tempĂŞte attaqua le chariot et ses occupants. (…)
Vers le matin, le vent cessa de souffler aussi brusquement qu’il avait commencé et le seul bruit sur terre était celui des animaux qui respiraient par les orifices dans la glace au niveau de leurs naseaux. Il faisait encore nuit noire, mais l’obscurité finit par se délaver en gris, puis un immense soleil doré se hissa à l’horizon, le premier soleil qu’ils aient vu depuis onze jours, et, en quelques minutes, ses rayons transformèrent le paysage de glace en un paysage de diamants. Il brillait d’une intensité presque divine. Le sol semblait recouvert d’un feu blanc d’un mètre d’épaisseur.
 
Garn et Arabella Sours, tout juste mariĂ©s, lui Ă  dix-huit ans et elle, Ă  seize, Ă©taient venus en chariot dans l’Ouest trois printemps plus tĂ´t avec la famille du jeune homme â€“ son père, sa mère et deux jeunes frères. Ils Ă©taient trop jeunes pour se marier, s’était-on plaint, mais le père de Garn Ă©tait impatient de partir. Les deux adolescents, profondĂ©ment amoureux et risquant de dĂ©pĂ©rir s’ils se voyaient sĂ©parĂ©s, avaient eu des Ă©pousailles hâtives et avaient passĂ© leur nuit de noces Ă  l’arrière d’un chariot au milieu du campement. Arabella abandonnait derrière elle une grande famille chaleureuse et elle avait eu le mal du pays pendant un mois. Ă€ Glenwood, les parents de Garn avaient fourni aux jeunes mariĂ©s un chariot, du bĂ©tail, des provisions ainsi que quelques meubles, puis ils avaient traversĂ© le fleuve Missouri, longĂ© la Platte River comme tous les autres migrants, et ils avaient ensuite pris la direction du nord pour trouver une concession dans le Territoire. Le benjamin de la fratrie, Bert, âgĂ© de treize ans, s’était noyĂ© dans une rivière en crue qu’ils avaient essayĂ© de franchir Ă  guĂ©, et son corps n’avait jamais Ă©tĂ© repĂŞchĂ©. Ils ne trouvèrent pas de concessions voisines, comme Garn et son père l’avaient envisagĂ©, aussi durent-ils acheter des terres Ă  une cinquantaine de kilomètres les uns des autres. Garn et Belle avaient alors bâti un abri et une Ă©table creusĂ©s dans la terre, la mĂ©thode la plus facile. Ils avaient choisi un ravin orientĂ© Ă  l’est et s’étaient mis Ă  l’œuvre avec des pelles sur le flanc ouest de la paroi. Au bout d’une semaine, ils avaient fait une excavation de quatre mètres de large sur cinq de profondeur dans le versant de la colline. Garn avait fabriquĂ© une porte et une petite fenĂŞtre qu’il avait installĂ©es cĂ´te Ă  cĂ´te, il avait comblĂ© les interstices avec de la terre, puis il avait percĂ© un petit trou vers le haut et y avait fait passer le tuyau du poĂŞle jusqu’au niveau de l’herbe de prairie au-dessus de la maison. C’était une habitation douillette, chaude en hiver et fraĂ®che en Ă©tĂ©, Belle y avait disposĂ© Ă  sa convenance un lit neuf, une table et deux chaises. Elle Ă©tait trop jeune pour possĂ©der une malle, aussi cachait-elle ses babioles et son camĂ©e rose sous le matelas. Puis ils avaient creusĂ© l’étable Ă  quelques mètres dans le ravin, Garn avait poli la vitre de leur fenĂŞtre et installĂ© des toilettes extĂ©rieures, il avait embauchĂ© un homme qui possĂ©dait un bĹ“uf et une charrue, il avait achetĂ© des semences et en un mois, M. et Mme Sours Ă©taient propriĂ©taires fonciers, fermiers, et heureux comme des poissons dans l’eau. Au bout de quatre mois, elle Ă©tait enceinte de quatre mois et son ventre s’était dĂ©jĂ  arrondi. Garn redressait les Ă©paules sous tant de nouvelles responsabilitĂ©s et ils s’effondraient dans leur lit chaque soir, morts de fatigue.

Le cĹ“ur de Garn se serrait en pensant Ă  elle. Et la vue de sa femme lui faisait honte. Il l’avait Ă©pousĂ©e bien trop jeune, il l’avait emmenĂ©e dans des contrĂ©es trop sauvages, il ne lui avait donnĂ© qu’un trou dans la terre pour vivre. Quel endroit infernal, avait dit Jessup, pour grandir quand on est une fille. Oh, c’était lui, Garn, qui Ă©tait fautif. Mais comment aurait-il pu deviner Ă  quel point elle devrait travailler dur, ici ? Comment aurait-il pu deviner qu’elle aurait trois bĂ©bĂ©s en trois ans ? Comment aurait-il pu deviner qu’Arabella Sours, la plus belle femme qu’il ait jamais vue, finirait parfois par paraĂ®tre aussi vieille que sa propre mère ?

 

 

Du mĂŞme auteur sur ce blog :

 
 

 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire