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mercredi 21 avril 2021

[R. Maya] Si j'écris... #MoiAussi

 






Coup de coeur đź’“

Titre : Si j'écris... #MoiAussi

Auteur : Maya R.

Parution : Chèvre-feuille étoilée (2021)

Pages : 118






 

 

PrĂ©sentation de l'Ă©diteur :  

Pendant un an, entre 4 et 5 ans, l’auteure de ce rĂ©cit fut agressĂ©e sexuellement par un homme de son entourage. Par peur, honte et sentiment de culpabilitĂ©, elle ne dit rien Ă  ses parents mais dessine, puis, très tĂ´t, se confie Ă  son journal intime. 
À l’époque où sur les réseaux sociaux les témoignages ne cessent de se multiplier sous les hashtags #MeToo, ainsi que les manifestes pour que la peur change de camp, ce recueil de textes et de dessins apporte sa pierre à l’édifice.


Le mot de l'Ă©diteur sur l'auteur : 

Née en 1957 à Paris. Maya R. a vécu majoritairement en Algérie de 1958 à 1976, puis s’est installée en France. Elle a poursuivi des études d’architecture à Paris UP1 et Montpellier, où elle a obtenu son diplôme en 1986, tout en élevant sa fille Émilie née en 1981. Elle a aussi suivi une licence d’art plastique en 1979/1980 à l’université de Vincennes.
Femme de mĂ©nage, auxiliaire dans un hĂ´pital psychiatrique, surveillante puis enseignante contractuelle de technologie dans des collèges pour financer ses Ă©tudes, elle a pu vivre la condition des sans-grades vulnĂ©rables face Ă  leur hiĂ©rarchie.
Plus tard, architecte D.P.L.G., elle a exercĂ© comme salariĂ©e puis indĂ©pendante Ă  une Ă©poque ou les femmes Ă©taient encore rares dans ce mĂ©tier. Elle s’est formĂ©e tout au long de sa vie pour ĂŞtre respectĂ©e professionnellement et pour porter les valeurs Ă©cologiques auxquelles elle est attachĂ©e. Elle a pris sa retraite depuis janvier 2020.
Issue de deux parents artistes, elle écrit et dessine depuis son enfance.


Avis :

Abusée sexuellement un an durant, entre ses 4 et 5 ans, par un homme de son entourage, l’auteur a toujours conservé le silence, ne parvenant à s’exprimer que dans ses dessins et dans son journal intime. Désormais parvenue à la soixantaine, et après une vie à lutter contre la honte et le sentiment de culpabilité qui continuent à l’étreindre inexorablement, elle entreprend de rassembler ses dessins et ses écrits d’hier et d’aujourd’hui, pour nous livrer son témoignage. Il aura fallu pour cela que la vague #MoiAussi l’encourage à enfin oser prendre la parole.

Comment ne pas se sentir autant consternĂ© qu’indignĂ©, Ă  la lecture de ce court, mais si touchant livre, d’abord par les agressions rĂ©pĂ©tĂ©es, secrètement subies dans l’enfance par l’auteur, puis par le traumatisme portĂ© silencieusement sa vie durant ? Pour la victime, la peine est double, et Ă  perpĂ©tuitĂ©, puisqu’au choc des agressions viennent s’ajouter, d’une part l’impunitĂ© du coupable, d’autre part le poison d’une honte et d’un sentiment de culpabilitĂ© Ă©ternellement entretenus par le silence et l’indiffĂ©rence. Il est ainsi grandement dĂ©rangeant de constater, que des signaux envoyĂ©s par l’enfant, puis par l’adulte qu’elle est devenue, personne n’a jamais eu cure. Il n’est pas jusqu’aux psys, consultĂ©s dans les annĂ©es quatre-vingt, qui ne minimisèrent les faits et leur impact sur l’auteur, l’empĂŞchant durablement dans son travail de reconstruction. 

Phase essentielle dans la rĂ©silience de l’auteur, ce tĂ©moignage est aussi un appel et un sincère plaidoyer, Ă  l'ombre des Ă©crits de Boris Cyrulnik : le sauvetage des victimes passe d’abord par la libĂ©ration de leur parole. Il faut dĂ©velopper l’écoute, apprendre Ă  dĂ©tecter les signaux faibles, encourager l’expression des enfants abusĂ©s, notamment au travers de la crĂ©ation artistique. MalgrĂ© la gravitĂ© du sujet, les courts textes qui jalonnent le cheminement de l’auteur, les dessins qu’elle commente et dĂ©code, se parcourent avec une Ă©tonnante facilitĂ©. Exempts de pathos et de colère, ses mots sont le rĂ©sultat d’une profonde maturation. Choisis avec le plus grand soin, ils impressionnent par leur profondeur et par ce dĂ©licat souci d’autrui que savent dĂ©velopper les personnes qui ont souffert.

Etape courageuse dans le parcours personnel de l’auteur, précieux éclairage pour mieux écouter et aider les enfants victimes de pédophilie, ce témoignage bouleversant ne laissera personne indifférent. Remarquablement rédigé, il bénéficie également d’une grande qualité d’impression qui met en valeur ses si parlantes illustrations. Coup de coeur. (5/5)


Citations :

Si le paradis sur terre est éphémère, l’enfer est une prison durable, quand il passe entre autres par la peur, la honte et le mépris de soi.

Je sais qui tu as Ă©pousĂ©, je sais que tu l’as souvent battue. Plus tard, bien plus tard, je te plaindrai. Combien d’autres hommes te ressemblent ? Que vous a t-ton fait pour vous conduire Ă  ressentir ce dĂ©goĂ»t, ce rejet, vis-Ă -vis du plaisir fĂ©minin ? Peut-ĂŞtre reprĂ©sente-t-il une menace Ă  vos yeux, car si vous n’arrivez pas Ă  le satisfaire, vous craignez la honte de l’adultère ? Probablement, pour en arriver lĂ , faut-il avoir souffert ou manquer totalement de confiance en soi. Quand on s’aime soi-mĂŞme, quand on aime tout court, rien de l’autre ne peut devenir repoussant. Des gens heureux me l’ont dit. Sans l’avoir vĂ©rifiĂ©, je les crois.

On mystifie l’autre et on se fait mal quand on accepte une relation exempte d’attirance. Dans des domaines aussi délicats que la sexualité, chaque mot, chaque acte, selon leur niveau de sincérité, peut mener au paradis comme en enfer. La théorie est inutile, l’intuition et l’honnêteté sont les seuls recours possibles. Mais quand on est jeune, on l’ignore. Il faudrait aider les jeunes à attendre la lumière de l’amour.

Malgré tout, je ne me sentirai jamais normale. Des fantômes resteront toujours cachés dans mes oubliettes, de temps en temps, ils sortent la tête, ils grimacent. Au début, j’ai cru les avoir domptés, même si j’en ai occulté certains. En fait, c’est ma peur que j’ai apprivoisée. Elle reste sensible.

C’est une machine infernale, ce piège Ă  honte. Il n’est mĂŞme pas nĂ©cessaire de subir la brĂ»lure du noir regard de l’autre, l’érythème de sa dĂ©ception, ses aboiements de reproches. Il suffit de les imaginer. Les autres vivent-ils la mĂŞme chose que moi ? Quand bien mĂŞme l’indemne, le normal, s’abstiendrait de toute rĂ©action, au moment oĂą je l’imagine dĂ©tenteur de mon secret, non seulement je revis mentalement les scènes passĂ©es comme si j’y Ă©tais toujours, mais en plus, j’ai une peur atroce d’être souillĂ©e par son mĂ©pris et son dĂ©goĂ»t. La honte, telle un poison, se diffuse lentement, contaminant chacune de mes cellules. Progressivement, ma joie se dilue, mon assurance s’efface. L’effet toxique de ma crainte dĂ©forme chacune de mes pensĂ©es, chacune de mes paroles l’exhale, chacun de mes gestes le contient. A un stade avancĂ©, le monstre, tel un alien, prend possession de moi, le miroir me renvoie une image mĂ©connaissable, je me sens gauche et laide.
 
A cette honte, s’associe souvent la culpabilitĂ©. Comme beaucoup, j’ai pensĂ© : «  Je suis responsable d’avoir acceptĂ©. Si les autres voient le mal et pas moi, c’est que quelque chose en moi est profondĂ©ment malsain. Â» On imagine rarement que le malsain, c’est justement celui qui voit le mal partout.

Pauvre, pauvre humanité, tu parcours les étoiles, mais tu ne réussis pas à régler les problèmes affectifs de tes membres sur la Terre.

Depuis le début de ce témoignage, je mesure l’importance et le poids des mots. D’abord les mots pour libérer, ensuite les mots pour comprendre, puis enfin, peut-être, les mots pour résoudre. Dire permet dans un premier temps d’espérer être entendu, reconnu, et surtout respecté. Dire est insuffisant si les mots se perdent, sont incompris, voire instrumentalisés.

 

2 commentaires:

  1. Bonjour,
    Beau billet, bien sûr d'actualité, mais touchant. Il révèle
    que ce sujet n'est certes pas un épiphénomène mais surtout un grave problème qui existe depuis très - trop - longtemps...

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    1. Bonjour,
      Merci pour votre commentaire.
      Un problème d'une ampleur longtemps insoupçonnée. On a d'autant plus mal au coeur en lisant ce livre que l'auteur enfant s'est exprimée à sa façon, sans être entendue. Puis plus tard, adulte, sans plus de résultat. Il faut cesser d'être sourd, aveugle et muet : les victimes ne peuvent "cicatriser" dans le silence et l'indifférence...

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