Coup de coeur đź’“đź’“
Titre : Du rififi Ă Wall Street
Auteur : Vlad EISINGER (Antoine BELLO)
Parution : 2020 (Gallimard)
Pages : 320
Présentation de l'éditeur :
Du rififi à Wall Street démarre comme un hommage au roman noir
américain et au roman-feuilleton rocambolesque, pour déboucher sur une
interrogation plus vaste des pouvoirs de la littĂ©rature. C’est une
poupée russe : un roman dans un roman. C'est enfin un livre sur les
moyens de dire le réel. Eisinger pense, comme Truman Capote avant lui,
qu'on peut prendre des libertés avec la réalité pour mieux la dire.
Un mot sur l'auteur :
Antoine Bello est un écrivain et entrepreneur franco-américain né à Boston en 1970.
Avis :
En panne d’inspiration, l’Ă©crivain Vlad Eisinger accepte de rĂ©diger une monographie sur une entreprise de tĂ©lĂ©communications amĂ©ricaine et sur son charismatique patron Tar. Lorsque le projet tombe Ă l’eau, l’auteur, dĂ©sespĂ©rĂ©ment fauchĂ©, se rabat sur une autre commande, cette fois-ci pour une collection de True Fiction : sous un pseudonyme, il se lance dans la rĂ©daction d’un polar Ă trois sous, oĂą un Ă©crivain chargĂ© de rĂ©diger l’histoire d’une entreprise pĂ©trolière dĂ©couvre les malversations de son dirigeant et se retrouve la proie de terribles tueurs. Le succès inattendu du livre attire l’attention de Tar, et Vlad se voit Ă son tour plongĂ© dans des aventures en tout point semblables Ă celle de son hĂ©ros, comme si la rĂ©alitĂ© rattrapait la fiction.
Ce qui frappe dans ce roman est d’abord sa vertigineuse et paroxystique mise en abyme, puisque trois rĂ©cits s’enchâssent les uns dans les autres, amenant le vĂ©ritable auteur, Antoine Bello, Ă s’esquiver derrière un de ses protagonistes et Ă lui laisser signer son Ĺ“uvre Ă sa place. En vĂ©ritable virtuose, le romancier utilise les codes de la littĂ©rature populaire pour nous servir une brillante et amusante dĂ©monstration de ce qui fait d’un livre une Ĺ“uvre d’art : Ă l’instar de son maĂ®tre Truman Capote qui ne cesse de traverser son texte, que ce soit par des rĂ©fĂ©rences Ă ses procĂ©dĂ©s littĂ©raires, ou par la crĂ©ation d’un protagoniste qui porte son nom, Antoine Bello explore la capacitĂ© de l’oeuvre Ă saisir et Ă restituer l’essence d’une rĂ©alitĂ© ou d’un personnage au travers d’une interprĂ©tation parfois très libre. Ainsi, un dĂ©tail inventĂ© mais judicieusement choisi peut, mieux que tout, illustrer et exprimer la vĂ©ritĂ© intrinsèque et la nature profonde des ĂŞtres. C’est d’ailleurs le propre de l’art de s’affranchir du rĂ©el pour trouver le chemin le plus direct jusqu’Ă l’âme.
Les aventures rocambolesques de Vlad Eisinger et de Tom Capote servent ainsi de prĂ©textes Ă une rĂ©flexion sur la littĂ©rature et le mĂ©tier d’Ă©crivain. Si l’inspiration et le gĂ©nie ne se commandent pas, rien se sauraient contraindre leur Ă©panouissement lorsqu’ils sont au rendez-vous : Vlad rencontre le succès quand, dĂ©sinhibĂ© par l’anonymat de son pseudo, il rĂ©ussit mieux que jamais Ă exprimer ses obsessions malgrĂ© les contraintes mercantiles imposĂ©es par son Ă©diteur. Son roman populaire et alimentaire devient sa meilleure production, quand, jusqu’alors, la pression de la notoriĂ©tĂ© et de l’ambition Ă©touffait ses capacitĂ©s crĂ©atives.
Hommage au grand Truman Capote comme aux forçats de l’Ă©criture alimentaire, ce livre original et astucieux s’avère un exercice de virtuositĂ© bluffant et convaincant, oĂą le divertissement et le pastiche servent de fondements Ă une rĂ©flexion aussi amusante qu’intĂ©ressante sur la crĂ©ation littĂ©raire et sur les libertĂ©s qu’il faut savoir prendre avec la vĂ©ritĂ© pour mieux la dire. Coup de coeur. (5/5)
Ce qui frappe dans ce roman est d’abord sa vertigineuse et paroxystique mise en abyme, puisque trois rĂ©cits s’enchâssent les uns dans les autres, amenant le vĂ©ritable auteur, Antoine Bello, Ă s’esquiver derrière un de ses protagonistes et Ă lui laisser signer son Ĺ“uvre Ă sa place. En vĂ©ritable virtuose, le romancier utilise les codes de la littĂ©rature populaire pour nous servir une brillante et amusante dĂ©monstration de ce qui fait d’un livre une Ĺ“uvre d’art : Ă l’instar de son maĂ®tre Truman Capote qui ne cesse de traverser son texte, que ce soit par des rĂ©fĂ©rences Ă ses procĂ©dĂ©s littĂ©raires, ou par la crĂ©ation d’un protagoniste qui porte son nom, Antoine Bello explore la capacitĂ© de l’oeuvre Ă saisir et Ă restituer l’essence d’une rĂ©alitĂ© ou d’un personnage au travers d’une interprĂ©tation parfois très libre. Ainsi, un dĂ©tail inventĂ© mais judicieusement choisi peut, mieux que tout, illustrer et exprimer la vĂ©ritĂ© intrinsèque et la nature profonde des ĂŞtres. C’est d’ailleurs le propre de l’art de s’affranchir du rĂ©el pour trouver le chemin le plus direct jusqu’Ă l’âme.
Les aventures rocambolesques de Vlad Eisinger et de Tom Capote servent ainsi de prĂ©textes Ă une rĂ©flexion sur la littĂ©rature et le mĂ©tier d’Ă©crivain. Si l’inspiration et le gĂ©nie ne se commandent pas, rien se sauraient contraindre leur Ă©panouissement lorsqu’ils sont au rendez-vous : Vlad rencontre le succès quand, dĂ©sinhibĂ© par l’anonymat de son pseudo, il rĂ©ussit mieux que jamais Ă exprimer ses obsessions malgrĂ© les contraintes mercantiles imposĂ©es par son Ă©diteur. Son roman populaire et alimentaire devient sa meilleure production, quand, jusqu’alors, la pression de la notoriĂ©tĂ© et de l’ambition Ă©touffait ses capacitĂ©s crĂ©atives.
Hommage au grand Truman Capote comme aux forçats de l’Ă©criture alimentaire, ce livre original et astucieux s’avère un exercice de virtuositĂ© bluffant et convaincant, oĂą le divertissement et le pastiche servent de fondements Ă une rĂ©flexion aussi amusante qu’intĂ©ressante sur la crĂ©ation littĂ©raire et sur les libertĂ©s qu’il faut savoir prendre avec la vĂ©ritĂ© pour mieux la dire. Coup de coeur. (5/5)
Citations :
J’avais souvent regrettĂ© d’avoir quittĂ© le Wall Street Journal en 2007, juste avant que n’Ă©clate la crise financière. « C’est quand la marĂ©e se retire qu’on voit qui nageait tout nu », a coutume de dire Warren Buffett. Le reflux des marchĂ©s et la fin de l’argent facile avaient mis au jour un vĂ©ritable musĂ©e des horreurs : les appartements en construction qui changeaient trois ou quatre fois de main pendant les travaux ; les municipalitĂ©s endettĂ©es Ă taux variable dans des monnaies exotiques ; les banques suisses qui enseignaient Ă leurs clients comment frauder le fisc…
Je prends la peine de prĂ©ciser ce point car un malentendu circule sur les Ă©crivains. Il se dit que nous piloterions nos personnages comme des automates. Rien n’est plus faux. Une fois jetĂ© sur le papier, un personnage cesse d’obĂ©ir Ă son crĂ©ateur. Il prend une vie propre, dĂ©veloppe des penchants alcooliques ou se rĂ©vèle incroyablement vulgaire au moment oĂą l’on s’y attend le moins. Tom Ă©tait nĂ© sans crier gare dans mon imagination. Nous devions maintenant faire connaissance.
On ne pouvait nier qu’il fĂ»t un Ă©crivain : il vivait de sa plume, rĂ©vĂ©rait Faulkner et possĂ©dait pas moins de douze dictionnaires. D’un autre cĂ´tĂ©, je ne l’imaginais pas s’arrachant les cheveux sur une phrase et encore moins soucieux de laisser une Ĺ“uvre qui lui survivrait. Tom Ă©tait une crĂ©ature hybride, un auteur qui ne prĂ©tendait pas ĂŞtre un artiste, un homme de lettres plus prĂ©occupĂ© par son plan de retraite que par sa postĂ©ritĂ©.
Au fond, travailler sous pseudonyme pour une collection de seconde zone m’avait dĂ©sinhibĂ©. J’avais Ă©crit sans me soucier de la critique, en prĂ©sumant que mes lecteurs seraient rares et peu exigeants. N’ayant ni rĂ©putation Ă dĂ©fendre, ni Ă me prĂ©occuper de la place que ce nouvel opus prendrait dans mon Ĺ“uvre, j’avais donnĂ© libre cours Ă ma verve, sans sentir derrière mon Ă©paule le regard dĂ©sapprobateur de mes maĂ®tres en littĂ©rature. Bref, je dĂ©couvrais un peu tard les vertus de la littĂ©rature sous contrainte : forcez un Ă©crivain Ă composer un livre sans utiliser la lettre « e » ou Ă en situer l’action dans une station mĂ©tĂ©orologique au Groenland et il vous rĂ©vĂ©lera le fond de son âme plus sĂ»rement que si vous lui laissiez carte blanche. Nos obsessions trouvent toujours Ă s’exprimer, surtout quand elles ont l’impression qu’on cherche Ă les en empĂŞcher.
Je prends la peine de prĂ©ciser ce point car un malentendu circule sur les Ă©crivains. Il se dit que nous piloterions nos personnages comme des automates. Rien n’est plus faux. Une fois jetĂ© sur le papier, un personnage cesse d’obĂ©ir Ă son crĂ©ateur. Il prend une vie propre, dĂ©veloppe des penchants alcooliques ou se rĂ©vèle incroyablement vulgaire au moment oĂą l’on s’y attend le moins. Tom Ă©tait nĂ© sans crier gare dans mon imagination. Nous devions maintenant faire connaissance.
On ne pouvait nier qu’il fĂ»t un Ă©crivain : il vivait de sa plume, rĂ©vĂ©rait Faulkner et possĂ©dait pas moins de douze dictionnaires. D’un autre cĂ´tĂ©, je ne l’imaginais pas s’arrachant les cheveux sur une phrase et encore moins soucieux de laisser une Ĺ“uvre qui lui survivrait. Tom Ă©tait une crĂ©ature hybride, un auteur qui ne prĂ©tendait pas ĂŞtre un artiste, un homme de lettres plus prĂ©occupĂ© par son plan de retraite que par sa postĂ©ritĂ©.
Au fond, travailler sous pseudonyme pour une collection de seconde zone m’avait dĂ©sinhibĂ©. J’avais Ă©crit sans me soucier de la critique, en prĂ©sumant que mes lecteurs seraient rares et peu exigeants. N’ayant ni rĂ©putation Ă dĂ©fendre, ni Ă me prĂ©occuper de la place que ce nouvel opus prendrait dans mon Ĺ“uvre, j’avais donnĂ© libre cours Ă ma verve, sans sentir derrière mon Ă©paule le regard dĂ©sapprobateur de mes maĂ®tres en littĂ©rature. Bref, je dĂ©couvrais un peu tard les vertus de la littĂ©rature sous contrainte : forcez un Ă©crivain Ă composer un livre sans utiliser la lettre « e » ou Ă en situer l’action dans une station mĂ©tĂ©orologique au Groenland et il vous rĂ©vĂ©lera le fond de son âme plus sĂ»rement que si vous lui laissiez carte blanche. Nos obsessions trouvent toujours Ă s’exprimer, surtout quand elles ont l’impression qu’on cherche Ă les en empĂŞcher.
Cette prĂ©face (Cercueils sur mesure de Truman Capote), Ă laquelle j’avais Ă peine prĂŞtĂ© attention Ă l’Ă©poque, Ă©tait capitale. Car elle disait que pour cerner le vraiment vrai, il Ă©tait parfois nĂ©cessaire de sacrifier le vrai tout court ; ou, dans le cas prĂ©sent, que pour parvenir Ă l’essence du meurtre diabolique, il Ă©tait permis de conglomĂ©rer plusieurs affaires distinctes. Je comprenais les rĂ©serves que pouvait inspirer une telle approche. En qualifiant son texte de « rĂ©cit vĂ©ridique », Capote avait peut-ĂŞtre poussĂ© le bouchon un peu loin. Mais personnellement, cela m’Ă©tait Ă©gal, car il avait atteint Ă un degrĂ© de vĂ©ritĂ© incomparable. De mĂŞme que l’Autoportrait Ă l’oreille coupĂ©e Ă©tait plus authentique que n’importe quel selfie, Capote avait produit un faux plus vrai que nature.
(…)
Quel Ă©tait mon projet Ă l’origine ? J’avais rĂŞvĂ© d’Ă©crire un roman d’un genre nouveau, Ă mi-chemin entre la fiction et la rĂ©alitĂ©, afin d’exprimer l’essence profonde de Black et de son dirigeant. Tar ne m’avait pas laissĂ© aller au bout de mon idĂ©e, mais celle-ci n’avait, selon moi, rien perdu de sa puissance. N’avais-je pas d’ailleurs atteint mon but sans le savoir ? Car, Ă la rĂ©flexion, ma peinture transposĂ©e de Black Ă©tait plus conforme Ă la vĂ©ritĂ© que l’insipide monographie pour laquelle on m’avait engagĂ©. La fiction s’Ă©tait, une nouvelle fois, rĂ©vĂ©lĂ©e plus pĂ©nĂ©trante que le journalisme d’investigation. Je comprenais Ă prĂ©sent pourquoi Truman Capote s’Ă©tait permis d’agrĂ©ger plusieurs affaires distinctes pour Ă©crire Cercueils sur mesure : son texte romancĂ© exprimait la vĂ©ritĂ© mieux que tous les rapports de police du monde rĂ©unis.
Laser volait par cynisme, Tar par philanthropie : deux manifestations d’un mĂŞme orgueil, deux faces d’une seule vĂ©ritĂ©. Soudain, je regrettai de ne pas pouvoir terminer mon livre. Car j’aurais atteint mon objectif de dĂ©part, j’aurais cernĂ© la vĂ©ritĂ© au moyen de la fiction, en montrant la terrifiante diversitĂ© du capitalisme.
(…)
Quel Ă©tait mon projet Ă l’origine ? J’avais rĂŞvĂ© d’Ă©crire un roman d’un genre nouveau, Ă mi-chemin entre la fiction et la rĂ©alitĂ©, afin d’exprimer l’essence profonde de Black et de son dirigeant. Tar ne m’avait pas laissĂ© aller au bout de mon idĂ©e, mais celle-ci n’avait, selon moi, rien perdu de sa puissance. N’avais-je pas d’ailleurs atteint mon but sans le savoir ? Car, Ă la rĂ©flexion, ma peinture transposĂ©e de Black Ă©tait plus conforme Ă la vĂ©ritĂ© que l’insipide monographie pour laquelle on m’avait engagĂ©. La fiction s’Ă©tait, une nouvelle fois, rĂ©vĂ©lĂ©e plus pĂ©nĂ©trante que le journalisme d’investigation. Je comprenais Ă prĂ©sent pourquoi Truman Capote s’Ă©tait permis d’agrĂ©ger plusieurs affaires distinctes pour Ă©crire Cercueils sur mesure : son texte romancĂ© exprimait la vĂ©ritĂ© mieux que tous les rapports de police du monde rĂ©unis.
Laser volait par cynisme, Tar par philanthropie : deux manifestations d’un mĂŞme orgueil, deux faces d’une seule vĂ©ritĂ©. Soudain, je regrettai de ne pas pouvoir terminer mon livre. Car j’aurais atteint mon objectif de dĂ©part, j’aurais cernĂ© la vĂ©ritĂ© au moyen de la fiction, en montrant la terrifiante diversitĂ© du capitalisme.
Rebonsoir Cannetille, tu m'apprends quelque chose. J'ignorais qu'Antoine Bello dont j'ai lu tous les livres sous son nom avec aussi écrit des romans sous pseudo. Merci pour l'info. Bonne soirée.
RĂ©pondreSupprimerBonjour Dasola, un pseudo pour mystifier plus encore le lecteur, amusant !
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